Équateur : Les gagnants et les perdants
Par Leonardo Parrini
La mobilisation populaire est arrivée à sa fin avec les « accords de paix » signés entre les représentants du Gouvernement et la CONAIE et la grande question qui se pose au pays est : qui sont les gagnants et les perdants de la grève nationale organisée par le mouvement indigène ? En termes fonctionnels et même romantiques, on dit que « la démocratie a gagné », que « le pays a perdu » que nous sommes « des frères qui devons nous réconcilier à présent. » Et ce bilan est reproduit dans les médias d’information qui redeviennent de mauvaise augure pour les perspectives futures.
Le patronat sort les comptes en millions de pertes dans des transactions commerciales non réalisées et des exportations qui n’ont pas pu se faire. Pour sa part, l’État évalue la destruction des infrastructures routières, les pertes en installations et véhicules de la police ou de l’armée. Et les histoires émouvantes d’humbles commerçants de rue qui ont tout perdu ne manquent pas. Personne ne doute que cela fasse partie de l’inventaire d’une protestation sociale qui n’est pas la cause mais l’effet des politiques d’un État absent ou déconnecté des demandes du peuple.
Le plus grave, comme si la vie ne valait rien, c’est que peu de gens évoquent les pertes humaines en morts et en centaines de blessés qui ont fait à nouveau partie du paysage de violence répressive pendant les semaines de la mobilisation populaire. Au-delà de l’inventaire tangible du coût social ou individuel de la grève, il est aussi important ou plus important encore d’évaluer qui sont les gagnants et les perdants en termes politiques, lors d’une journée qui a été la chronique d’une protestation sociale annoncée. Par euphémisme, on dit que « la Paix a gagné », cet état qu’à grand-peine nous évaluons comme absence de guerre sans considérer que la paix d’une nation représente en dernier recours la convivialité harmonieuse d’un pays obtenue grâce a un accord social avec la justice et en démocratie, une situation qui est loin d’être réelle en Équateur.
Il est évident que le Gouvernement a fini politiquement discrédité et ce serait le premier intérêt du succès du mouvement indigène qui sort renforcé dans son organisation et politiquement de la grève en ayant mis en évidence l’arrogance d’un président qui a tout le temps refusé de s’asseoir à la même table pour dialoguer avec ses interlocuteurs de la direction indigène qu’il a méprisée et qualifiée « d’opportuniste et de terroriste. » Dans cette erreur politique flagrante du régime, expression de l’arrogante condition de classe de ses représentants, le Gouvernement a engagé sa parole déjà discréditée pour défendre le modèle néolibéral socialement remis en question, avec un coût politique élevé. Dans ce Gouvernement, il traîne un reste de la partidocratie de la droite -PSC, ID- qui s’est unie pour sauver le modèle patronal bancaire même au prix des personnes qui le représentent au pouvoir.
Les représentants indigènes ont réussi à rendre visibles les revendications ethniques et territoriales comme celle du non élargissement de la frontière pétrolière dans les zones ancestrales protégées, la dérogation du décret 95 et de la réforme du décret 151 sur les permis minier en zone de protection hydrique. La réduction en centimes des prix de l’essence et le fait de remettre sur le tapis de la discussion la focalisation de la subvention sur les combustibles. Il reste à discuter la condition de l’Équateur en tant que « dernière frontière minière de la planète » et de l’industrie de l’extraction comme « politique d’État. » Les peuples ancestraux ont réussi cette fois à rendre visible, selon leurs dirigeants, le fait que la mine « n’est pas une industrie amicale, » étant donné que dans tous les projets il existe des conflits communautaires encouragés par leurs détracteurs.
Parmi les réussites de la grève, le mouvement indigènes obtenu la réforme de la loi organique de circonscriptions territoriales qui est entré en vigueur en mai 2020 et a pour objet de réguler la planification de la circonscription de l’Amazonie et son nombre de territoire, d’établir des politique, des grandes lignes, des règles spéciales destinées à garantir le développement humain et le respect des droits de la nature entre autres. De plus, la CONAIE a réussi à faire s’engager l’État sur le contrôle des prix spéculatifs des produits de consommation courante, une augmentation du « bon de développement humain » à 55 $, la levée de l’état d’exception et la formation d’une commission de la vérité destinée à enquêter sur la répression policière et militaire. Tout le paquet d’accords signé par l’organisation indigène avec les représentants du Gouvernement doit être contrôlé par un suivi et, au terme de 90 jours, devra montrer des réalisations concrètes.
Bilan politique
En termes politiques, la mobilisation populaire a rendu à l’Etat la responsabilité des politiques sociales en rendant a ses institutions l’obligation de gouverner en fonction des nécessités collectives et pas seulement de groupes économiques infiltrés dans le pouvoir. Les « accords de paix » on fait un bilan négatif dans lequel le modèle néolibéral et ses représentants doivent rectifier ces politiques dictées par le Fonds Monétaire International et assumées généreusement dans le pays, à savoir des réformes du travail et des impôts, des privatisation des services publics dans le domaine de la santé, de l’éducation et de la sécurité sociale entre autres.
La sortie de la crise a commencé à s’entrevoir comme une « alternative faussée » qui compterait avec l’absence de l’ambassade nord-américaine en réponse aux nouveaux temps de la géopolitique impériale de ne pas encourager de coups d’Etat militaires dans le style des années 70 dans la région de latino-américaine. Des solutions de « nouveaux changements du pouvoir » ne sont même pas suspectes aux yeux des citoyens. Par conséquent, aujourd’hui, les conditions ne sont pas réunies pour des solutions politiques de style militaire et dictatorial en marge de l’ordre constitutionnel de nos pays.
De sorte que la pression conjoncturelle s’est transformée en une pause qui « a sauvé » circonstanciellement le modèle politique et économique en vigueur peut-être en sacrifiant l’image personnelle du président qui la représente. Cette perte officielle était inscrite dans l’absence d’une autorité fiable, dans le cumul d’indécisions du président et dans la contradiction flagrante avec ses propres décisions durant son gouvernement. À la fin, tout cela s’est traduit par une action bureaucratique sans capacité politique de soutenir un programme de gouvernement et sans capacité technique pour le mettre en œuvre.
Dans un autre domaine, le Législatif accuse la perte d’action politique à son initiative et d’incidence dans les grands problèmes nationaux. Le régime a été astucieux en refusant de dialoguer avec la médiation de l’Assemblée nationale, en discréditant ses représentants face au traitement des affaires pertinentes de la problématique du pays. À partir de là, il redevient clair pour les Equatoriens qui sont les leurs égitimes représentants et qui ont perdu le droit de l’être.
La facture que devront payer les perdants aux élections du mois de février prochain car le peuple avec son vote châtiment leur fera payer la dette avec les besoins urgents du peuple historiquement non résolus reste en suspens.
Traduction Françoise Lopez pour Bolivar infos
Source en espagnol :
https://www.resumenlatinoamericano.org/2022/07/04/ecuador-ganadores-y-perdedores/
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