Argentine : Un homme de la Maison-Blanche à la Maison Rose ?
Par Jorge Falcone
Face a une inflation effrénée et à une série de concessions aux patrons du pays (Vicente, agro-dollars, le gazoduc Nestor Kirchner), le parti au pouvoir bouge son avant-dernière pièce en unifiant les ministère de l’économie, de la production et de l’agriculture et en déplaçant ainsi ceux qui ont été jusqu’à présent les ministres de ces trois domaines en faveur du troisième espace de la coalition dirigée par Sergio Thomas Massa, un ami proche de du Gouvernement yankee. Si la manœuvre ne fonctionne pas, il ne reste plus qu’à jouer la reine. Mais comme il reste encore un an avant les prochaines élections, sans actions audacieuse pour porter atteinte au porte-monnaie des minorités privilégiées, à l’horizon apparaît la possibilité de sacrifier le dernier capital politique que conserve le péronisme institutionnel. À partir de là, le peuple ne peut plus attendre que plus d’ajustements et de répression.
Des câlins pour l’oligarchie et la culpabilisation des pauvres pour leur propre pauvreté
Complétant une ronde d’hésitations face aux puissants, la Banque Centrale a accordé « des bénéfices » au patronat agraire afin de l’encourager à vendre sa récolte de soja conservée dans des silos de façon obscène.
Bien qu’il ne s’agisse pas d’une mesure de dévaluation directe ou d’une baisse des retenues, cette initiative est destinée à leur offrir deux choses : la garantie que leurs pesos ne perdront pas de valeur face au dollar et un accès limité au dollar pour les particuliers, bien meilleur marché que les dollars financiers.
Cette mesure ne concerne que la vente de soja et sera en vigueur jusqu’au 31 août.
Concrètement, si par hasard un producteur vend des haricots avec ce mécanisme, pour chaque 1000 $, il pourra mettre en dépôt à vue (de l’argent qu’il peut retirer immédiatement comme dans une caisse d’épargne) 70 %, c’est-à-dire 700 dollars dont la valeur évoluera de la même façon que celle du dollar officiel.
Les 30 % restant, c’est-à-dire 300 $, il peut les verser au marché unique de change pour acquérir des dollars. Jusqu’à présent, s’il voulait le faire en tant qu’entreprise, il devait justifier la demande de devises aussi bien pour importer que pour payer des dettes ou faire des cadeaux.
Ainsi, pendant que le Gouvernement s’occupait de séduire le pouvoir réel, les médias hégémoniques continuent de diffamer le mouvement piquetero qui représente sans doute le principal obstacle aux grands ajustements que demande le FMI.
Selon une enquête réalisée au niveau national, presque 80 % des Argentins de la classe moyenne sont peu ou pas d’accord avec les plans sociaux. La majorité relie cette assistance qu’apporte l’État à des mots comme « vague » et considère « nécessaire » qu’elle se transforme en travail.
Les sondages des instituts Trespuntozero et Grupo de Opinión Pública (GOP) considèrent comme appartenant à la classe moyenne des individus qui remplissent les critères d’occupation et de niveau d’études qu’utilise la société européenne pour l’opinion et l’investigation des marchés pour cette catégorie.
Leurs sondages révèlent que 79,8 % de ce groupe est peu ou pas d’accord avec les plans sociaux alors que seulement 18,4 % est très ou assez d’accord avec eux.
Ce n’est pas étonnant : la campagne médiatique destinée à diaboliser les exclus du système est en train de donner ses premiers fruits. Dans ces cas, la violence institutionnelle est toujours précédée par le discrédit de sa cible principale.
Continuité et rupture avec 2001
Dans l’Argentine blessée de cette époque, aucune personne au jugement sain n’aurait parié que «le pire était le mieux. » Pour le reste, les explosions sociales sans nord évident arrivaient à peine à conditionner la qualité d’une future reconstruction de la gouvernabilité bourgeoise comme c’est arrivé en 2003. Mais certains indicateurs socio-économiques doivent être comparés dans le contexte actuel avec celui du pire tremblement de terre institutionnel du siècle en cours.
Malgré l’impasse –nous ignorons si elle sera longue ou brève– déterminée par la désignation du nouveau super ministre, de nombreux analystes comparent la situation qui vient de se créer dans le pays avec celle qui a été le prélude à l’explosion sociale de décembre 2001. Rappelons-nous qu’une des grandes causes de cet effondrement a été la politique monétaire de l’époque connue comme « convertibilité » et consistant en une parité de change entre le peso et le dollar.
Cela avait ôté au Gouvernement toute possibilité de manœuvre et fait que quand la situation est devenue ingérable à cause de l’absence de dollars, la seule option a été de rompre cette parité et de «peser » les dépôts en provoquant une dévaluation qui a fait descendre le peso au quart de sa valeur par rapport à la monnaie étasunienne.
Revenir sur cette situation rappelle des images comme celles de manifestants frappant sur des casseroles devant les banques.
En effet, le système bancaire était au centre de la crise et a été en grande partie la cause de la colère qui a motivé les protestations. La mèche qui a mis le feu aux poudres a été ce qu’on a appelé la « limitation » : une restriction sur le retrait d’argent des comptes bancaires destinée à freiner une fuite massive de capitaux.
Trois semaines après que cette mesure ait été mise en place, Fernando de la Rúa démissionnait et fuyait la Maison Rose au milieu de protestations massives.
En décembre 2020, les prêts en dollars atteignaient 36 600 000 000 de $ et représentaient 83 % des dépôts bancaires. Aujourd’hui de telles réserves manquent.
11 mois avant cette débâcle, la Banque Centrale avait perdu 22 000 000 000 de ses réserves internationales et terminé l’année avec des réserves d’un peu plus de 15 000 000 000.
Cette crise est survenue après un frein mis à la croissance économique. Aujourd’hui, certains analystes parlent d’un certain rebond de l’économie bien que cette réactivation ne se vérifie pas dans le quotidien de la grande majorité.
De la Rúa avait pris la tête d’une coalition intitulée « L’alliance » qui s’est divisée peu de temps après son arrivée au pouvoir avec la démission du vice-président Carlos «Chacho» Alvarez seulement 10 mois après qu’il ait assumé sa charge.
Avec cette dernière modification du cabinet, notre président aggrave son isolement en cédant à ses alliés des domaines clés de l’administration centrale et en payant un prix très élevé pour avoir détrôné une ministre de l’économie qui agissait avec tambours et trompettes jusqu’à il y a un peu moins de 15 jours et d’avoir rendu à Scioli son ambassade au Brésil.
Dans cette situation, il faut tenir compte du fait que justement la crise de 2001 a amené des millions d’Argentins a commencer à recevoir des subsides de l’État, une aide qui aujourd’hui a été remise en question sans qu’il y ait d’alternatives significatives pour la remplacer.
La hausse des prix est peut-être le facteur le plus préoccupant de l’actuelle crise économique puisqu’il a fait tomber des millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté (et que celle-ci a atteint des niveaux supérieurs à ceux de 2001.)
De plus, on estime que 2022 finira avec une inflation proche de 80 %. Et les salaires sont restés très à la traîne.
Mais les experts remarquent que l’inflation n’a pas été un facteur important à l’approche de la crise de 2001.
Le chômage, en revanche, a été un facteur important de cette crise puisqu’à l’époque, il atteint des niveaux record. Deux mois avant la démission de de la Rúa, il atteignait 18,3 % de la population. Au premier trimestre de cette année, Il en touche déjà 7%.
Enfin, la donnée qui semble le plus alarmer ceux qui craignent que l’Argentine tombe dans un nouveau défaut –ou cessation de paiement de la dette extérieure– comme celui qu’elle a déclaré en 2020 : la vertigineuse augmentation du risque pays qui aujourd’hui se rapproche des 3 000 points et augmente beaucoup plus que dans le reste de la région.
Dans ce contexte, on peut comprendre la préoccupation. Mais ce chiffre reste loin de celui de 2001 quand le risque pays est arrivé à 5500 points.
Mais, face a la rupture du contrat électoral qui a amené le Front de Tous au Gouvernement, le mécontentement social augmente et les manifestations de protestation aussi.
Du labyrinthe, on sort par en haut
Dans la base de la pyramide sociale qui murmure, on considère de plus en plus comme la mère de toutes les batailles le refus de l’accord avec le FMI.
D’autres part, l’Etat actuel semble ne pas être viable. Il s’impose de créer un fonds national de développement, constitué par les ressources qui n’iront pas au paiement des dettes frauduleuses, une réserve qui devrait être au service de l’économie populaire –particulièrement dans le secteur alimentaire– et diriger la distribution planifiée des aliments qui devraient être sous le contrôle social du peuple organisé.
En même temps, il est urgent de développer la transformation des matières premières pour leur ajouter de la valeur et contribuer à la réorganisation du territoire en générant de nouveaux pôles de production.
Ces initiatives devront s’appuyer sur un processus constituant qui, allant du simple au complexe, permette de regrouper les forces sociales émergentes dans un Front Populaire en dehors du bipartisme régnant sujet à un électoralisme qui ne mène à rien.
Ce qui est sûr, c’est qu’il y a la faim et qu’il existe une relation directe entre celle-ci et la propriété terrienne. Enfin, ce fléau exige aussi qu’on convoque les paysans appauvris et les peuples originaires en démocratisant l’accès à la terre, un bien qui ne doit pas être le soutien des affaires agricoles mais de la nourriture indispensable au peuple.
La crise en cours accable mais l’un des indicateurs les plus encourageants à prendre en compte actuellement est le chemin de l’unité qui commence à parcourir les secteurs les plus affectés de la société, ceux qui, face à un panorama aussi contraignant devraient décider des grandes lignes de leurs propres programmes d’urgence nationale.
Traduction Françoise Lopez pour Bolivar infos
Source en espagnol :
URL de cet article :