Cuba: Un Me Too à la Cubaine
Par Laura Serguera Lio
Le troubadour cubain Fernando Bécquer a été déclaré coupable d’abus obscène et condamné après une procédure pénale lors de laquelle 6 femmes l'ont accusé de violences sexuelles devant les tribunaux. On pourrait résumer ainsi à grands traits le résultat d'une croisade légale, de communication et émouvante qui, pendant presque un an, a tenu en éveil ceux qui se sont solidarisés avec les survivantes de ces violences, ont cherché à ce que l’affaire reste ouverte et ont réclamé la justice. L'histoire est plus compliquée que ce résumé.
Le 8 décembre 2021, les réseaux sociaux se sont fait l’écho des témoignages de 5 femmes qui disaient avoir subi des abus sexuels perpétrés par Bécquer d’une façon très similaire. La consommation provoquée par une accusation publique de cette sorte sans précédent à Cuba a argumenté quand, immédiatement, beaucoup d'autres s’y sont jointes à partir de profils personnels et de médias et ont déclaré avoir subi la même expérience pendant plus de 20 ans. Tout à coup, le fait d'utiliser la religion pour inciter les victimes, en général très jeunes, à réaliser des actes sexuels contre leur volonté semblait très fréquent chez cet homme et, ce qui est pire, était connu de son entourage.
Moins d'une semaine plus tard, la célèbre écrivain Elaine Vilar Madruga a été la première à porter plainte devant la police. Elle ouvrait ainsi un dossier pénal dont nous n'avons presque rien su pendant 10 mois, jusqu'à ce que ce 19 octobre, soit révélée la sentence du tribunal municipal du centre de La Havane : 5 de privation de liberté commués en limitation de liberté.
Même si le respect de la vie privée en tant que principe irréfutable de respect de la dignité humaine et de protection face a l'interférence de tiers dans une procédure judiciaire est un droit suprême de tout accusé, il s’oppose, dans ce cas, au harcèlement ouvert et systématique des plaignantes ou de ceux qui se solidarisent avec elles.
Les apparitions répétées de Fernando Bécquer dans des espaces publics de loisirs ont également contrasté avec cela mais aucune mesure préventive qui l'en empêche ne pesait sur lui et enfin, l'information concernant sa culpabilité, sans précisions sur une sentence dont tout indique qu'elle n'inclurait pas l'internement bien qu’il soit condamné à la peine maximale prévue pour les abus obscènes aggravés.
L'absence d'antécédents chez l'accusé et la gravité attribuée à ce délit par le code pénal en vigueur qui le sanctionne de peines pouvant aller jusqu'à 2 ans de privation de liberté, et la répétition du délit contre plusieurs personnes tout au long du temps pourraient expliquer la nature d'une condamnation qui donne la victoire… à moitié.
Pour beaucoup insuffisante, surtout si on tient compte du fait qu'on ne connaît pas les détails de l'application de cette peine, au-delà du dénouement de l’affaire contre Fernando Bécquer, celle-ci et sa conclusion font sonner l'alarme sur la nécessité d'un système judiciaire dans lequel on incorpore de façon efficace la perspective de genre aussi bien de façon transversale qu'à travers la création d'organes spécialisés comme le suggérent des activistes et des spécialistes.
Evidemment, ce n'est pas un processus dont le résultat peut être apprécié immédiatement mais la mise en place de politiques et de mesures en ce sens est urgente, pas seulement pour l’avancée que peut représenter l'application de formules de justice de restauration mais parce qu’on doit réduire la re-victimisation et garantir l'accompagnement de professionnels avec des savoirs et des outils qui leur permettent de comprendre et de guider les processus dans leur juste ampleur.
Mais même ainsi, le verdict du procès verbal pour abus obscène contre Fernando Bécquer, marque un avant et un après en ce qui concerne les délits sexuels à Cuba. Depuis le démontage des préjugés machistes qui essayaient de nier les abus pour ne pas se limiter à des pratiques déterminées ni avoir mesuré la violence physique jusqu'à la gifle donnée à la présomption d'impunité, pas d'innocence, dont aussi bien l’accusé que tant d’autres hommes dont certains sont des personnalités médiatiques, ont fait étalage en évitant de nier les faits pour les justifier directement en brandissant des offenses machistes contre celles qui les dénoncent et une soi-disant campagne d’agression de l’image du musicien pour raisons politiques.
Mais les calomnies démontées, la vérité de si nombreuses femmes qui se sont exposées à différentes formes de re-victimisation étant établie, étant établi par un tribunal que la violence de genre de type sexuel ne se limite pas à la pénétration ou à la contrainte explicite, il est maintenant bon de jeter un coup d'œil sur l'éducation intégrale à la sexualité dont on besoin nos enfants et nos adolescents pour prévenir, affronter et éradiquer fléau, sur la formation en matière de genre, au-delà des juges, également pour les officiers de police, le personnel de santé, les enseignants et tous les professionnels qui doivent prendre soin de survivants de phénomènes de cette sorte, sur les espaces sûrs, sur les réseaux de soutien dont l'ouverture et la coordination avec des organisations et des entités de conseil juridique et sanitaire pressent, sur la communication qui instruit, oriente et combat les préjugés et les stéréotypes…
Parler de victoire absolue serait insensé quand la non-conformité de la sentence s'est fait sentir même parmi les plaignantes. Nier la victoire, serait injuste envers le courage de ces femmes qui ont obtenu beaucoup plus qu'une vengeance personnelle : une réussite pour toutes celles qui vivons dans notre pays. Ça a été la première bataille d’un Me Too à la Cubaine. Je ne saurais dire si l'escarmouche s'est achevée ce 19 octobre car toutes les parties impliqués, la plaignante, l'accusé, le ministère public, ont le droit de faire appel. Je ne saurais dire non plus quelle est l’ampleur de la conquête car définitivement le défi n'est pas un système punitif avec des condamnations sévères mais l'élimination de toutes les formes de violence envers la femme. Je ne sais pas non plus quelle sera la prochaine lutte dans cette offensive mais je veux penser que malgré les insatisfactions, nous vivons aujourd'hui dans un pays un peu plus sûre qu’hier.
Traduction Françoise Lopez pour Bolivar infos
Source en espagnol :
https://www.resumenlatinoamericano.org/2022/10/21/cuba-la-primera-batalla-de-un-me-too-tropical/
URL de cette article :
http://bolivarinfos.over-blog.com/2022/10/cuba-un-me-too-a-la-cubaine.html