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Brésil : Ce que les États-Unis craignent le plus avec l'arrivée de Lula au pouvoir

8 Novembre 2022, 18:31pm

Publié par Bolivar Infos

 

 

Qualifier les élections brésiliennes de « libres, justes et crédibles » comme l’a fait Biden réduit la possibilité que Jair Bolsonaro puisse hurler à la fraude et refuser d'accepter sa défaite. Les analystes ont interprété les paroles du Gouvernement de Biden sur les élections brésiliennes comme une preuve que Washington était en faveur de Lula et contre son adversaire qu'on a appelé le « Trump des tropiques. » Ce raisonnement est trompeur pour ne pas dire complètement erroné.

 

Ce qui préoccupe le plus Washington, c'est la réémergence d'un mouvement fort des pays non-alignés et la possibilité qu'il soit dirigé par un progressiste comme Lula. Pendant ses deux mandats présidentiels précédents, Lula a été un porte-parole du Sud. Depuis lors, le panorama politique mondial a changé. Il y a un nombre croissant de Gouvernements idéologiquement hétérogènes qui étaient soumis aux États-Unis et qui a présent défient les diktats de Washington et créent un terrain fertile pour un bloc de pays non-alignés.

 

La totale incapacité des superpuissances, en particulier des États-Unis et des pays d'Europe occidentale, à forger un accord pour mettre fin au conflit en Ukraine ouvre l'espace pour un dirigeant comme Lula qui, dans le passé, s'est illustré dans des négociations avec des personnalités de différentes orientations politiques.

 

La politique étrangère en tête

 

Lula a gagné les élections avec à peine 50,9 % des voix. Comme lors de ses périodes présidentielles antérieures (2003–2011), le centre et la droite, y compris les partis alliés à Bolsonaro, vont contrôler le Congrès. Cette balance du pouvoir défavorable va probablement pousser Lula à faire des concessions au niveau intérieur comme l'éventuel assouplissement de sa promesse électorale d'obliger les riches à payer plus d’impôts. Mais indubitablement, la pression va être moindre dans le domaine de la politique étrangère et Lula va être bien placé pour réaliser sa promesse électorale de jouer un rôle important dans les affaires de la région et du monde. Dans son discours de victoire à Sao Paulo le 30 octobre, il a promis de corriger le statut international du Brésil qui est devenu « un État paria » à cause du mépris de Bolsonaro pour la diplomatie et à cause de ses commentaires insolites comme quand il la rendu responsable la Chine du COVID et Leonardo DiCaprio des incendies dans l'Amazonie en 2019.

 

Juste après son arrivée au pouvoir en 2003, l'establishment de Washington a vu Lula comme un modéré fiable, le contraire des « démagogues perturbateurs » comme Hugo Chavez, Evo morales Nestor Kirchner. L'ancien ministre des affaires étrangères du Mexique, Jorge Castañeda, dans son fameux livre « Ce qui reste de la gauche : récit des gauches latino-américaines» considère Lula comme sensé et pragmatique (dans le bon sens du terme) et l'oppose à la « mauvaise gauche » de Chavez et compagnie qu'il qualifie de « populiste » et « d’anti-américaine. »

 

Mais la qualification positive de l'action de Lula a changé en 2010 et elle a changé non pas suite aux politiques domestiques de Lula mais à cause de sa politique étrangère, en particulier de sa reconnaissance de l'État palestinien sur la base des frontières d'avant 1967 après quoi une demi-douzaine d'autres Gouvernements latino-américains ont fait la même chose. La même année, Lula, selon les mots de Reuters, « a irrité Washington » à cause de ses conversations avec Mahmoud Ahmadinejad et de sa défense du programme d'énergie nucléaire de l’Iran.

 

Après cela, Lula n'était plus un « bon homme de gauche » ou une réponse saine au populisme irresponsable mais était devenu un populiste. Le Wall Street Journal intitulait un article sur le premier tour des élections présidentielles que  Lula a gagné contre Bolsonaro le 2 octobre « Le populisme gagne les élections brésiliennes. » L'auteur de l’article, Mary Anastasia O’Grady, éditrice du journal, écrivait: « Encore une fois, le candidat Lula promet de la modération. Son avantage politique est son image de populiste bienveillant. »

 

La rhétorique est un élément important du populisme mais dans le cas de Lula, ce qui préoccupe les États-Unis, ce sont les actions concrètes qui pourraient miner l’hégémonie nord-américaine. Cette menace vient essentiellement des 5 pays économiquement forts qui composent le BRICS: le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud. À Washington, les analystes sceptiques ont appelé les sommets du BRICS « ateliers de sales coups » de Gouvernement qui ont peu ou rien en commun. C'était le sens du tweet de Mike Pompeo juste avant la fin de sa période comme secrétaire d'État. Pompeo écrivait : « Vous souvenez-vous du BRICS ? » Et ensuite, il insinuait que la crainte de l'Inde et du Brésil envers la Russie et la Chine a rendu cette organisation totalement inopérante.

 

Dans une interview accordé de sa prison en 2019, Lula déclarait:  « Le BRICS n'a pas été créé en tant qu'instrument de défense mais pour être un instrument d'attaque. » Ses références au BRICS, à la CELAC (dont Bolsonaro s'est retiré) et à l’UNASUR pendant la campagne électorale ont renforcé ce message. Après avoir rencontré Lula le lendemain des élections, le président argentin Alberto Fernandez a dit : « Avec Lula, maintenant, l’Argentine va avoir un activistes dans notre effort » pour intégrer le BRICS.

 

Washington voit l'expansion du BRICS comme une menace aggravée par la présence de la Russie et de la Chine dans l'organisation. Dans les semaines finales de la campagne présidentielle, la National Endowment for Democracy (NED) a écrit : « Avec l'expansion du BRICS… pour inclure l'Argentine, l'Iran  et éventuellement l'Égypte, l'Arabie Saoudite et la Turquie, la Russie peut acquérir encore plus d'alliés, ce qui représenterait un pourcentage important du produit intérieur brut de la population mondiale. »

 

Jusqu'à quel point Lula est-il « neutre" ?

 

Washington ne peut être satisfait de la position de Lula sur le conflit ukrainien. Lula a insisté pour que le BRICS joue un rôle dans la recherche d'une solution négociée et affirmé qu'il était prêt à servir de négociateur. Selon les mots de Telesur, Lula a dit que « la paix peut-être obtenue sur la table d’un bistrot, ce qui a provoqué l'inquiétude des diplomates de l'Ukraine et du Brésil. »

 

Mais ce qui empêche les concepteurs de la politique nord-américaine de dormir la nuit, ce n'est pas seulement la crainte que Lula se rapproche plus de la Russie et de la Chine que de Washington (ce qui n'est pas certain). À la différence de Washington, Lula reconnaît la légitimité de la démocratie vénézuélienne et, selon les mots de Ben Norton, a dit à des médias locaux que Juan Guaido  est «  un criminel de guerre qui devrait être en prison. » Quelques jours avant les élections, Lula a dit à The Economist: « Ils parlent seulement du Nicaragua, de Cuba et du Venezuela. Personne ne parle du Qatar. Personne ne parle des États-Unis. »

 

Après que le Parti des Travailleurs de Lula ait perdu le pouvoir en 2016, Lula a insisté sur le fait que la principale faute du BRICS est de ne pas avoir lancé une nouvelle monnaie pour servir de rival au dollar. Dans une interview accordée depuis sa prison, Lula a dit : « Quand j'ai abordé le problème d'une nouvelle monnaie, Obama m'a appelé et m'a demandé : « Etes-vous en train d'essayer de créer une nouvelle monnaie, une sorte de nouvel euro ? » J'ai dit « non. Je suis seulement en train d'essayer de nous débarrasser du dollar. » En 2022, la perspective d'une monnaie de réserve du BRICS est beaucoup plus prometteuse et en plus, les 5 pays membres soutiennent cette idée. Évidemment, cette année, la monnaie de chacun des membres du BRICS a dépassé l’euro.

 

L'utilisation politique du dollar par les États-Unis va au-delà de la rivalité avec la Russie et la Chine puisque les sanctions internationales imposées pas Washington ont amené une souffrance aiguë aux peuples du Sud dont Cuba, le Venezuela, le Nicaragua et l’Iran.

 

La consigne d'un « monde multipolaire » fréquemment invoquée par Lula vise l'apparition de blocs différents incluant celui des pays non-alignés. Un article de Foreign Policy, écrit par un expert en sécurité nationale pendant l'été 2022, reflète la pensée de beaucoup à Washington qui sont inquiets à propos du non-alignement : « Quand le système international est défaillant ou absent… il n'est pas surprenant que les dirigeants embrassent le non-alignement. Alors, les États-Unis, la Russie, la Chine ou d'autres superpuissances font pression sur des pays moins puissant pour qu’ils choisissent leur camp. Ces pays vont jouir de plus d’autonomie stratégique, ce qui pourrait créer un monde plus pauvre et plus cruel puisque les pays réduisent leur dépendance extérieure et renforcent le contrôle chez eux. »

 

Certaines personnes de gauche rejettent aussi la consigne du « monde multipolaire. » L’activistes politique Greg Godels qualifie la multipolarité  de « notion créée à l'origine par des enseignants bourgeois qui cherchaient des outils pour comprendre la dynamique des relations mondiales, » et il ajoute : « iI n'y a aucune garantie que les pôles qui émergeraient ou défieraient les pôles des  superpuissances… représentent un pas en avant ou un pas en arrière, simplement parce qu'ils sont alternatifs. »

 

En théorie, Godels a raison mais jusqu'à présent, au XXIe siècle, la multipolarité a été un mouvement et une consigne nettement progressistes. Il est vrai que la présence du Gouvernement raciste de Narendra Modi ou de celui de l'Arabie Saoudite dans le BRICS fait douter de la nature progressiste de ce groupe. La surprenante décision récente de l'Arabie Saoudite de rejeter le plan de Biden de pomper plus de pétrole pour faire baisser les prix internationaux et en même temps porter préjudice à Poutine ne signifie pas qu'il soit moins réactionnaire. Mais c'est précisément la raison pour laquelle le rôle de dirigeant d’un progressiste comme Lula au niveau mondial est si important.

 

Il faut se souvenir que le mouvement des non-alignés a été fondé dans les années 50 par des dirigeants comme Josip Broz Tito, Gamal Abdel Nasser et Kwame Nkrumah, qui étaient très loin d'être « neutres » puisqu’ils étaient tous de gauche et engagés envers le socialisme. Le mouvement a joué un rôle important en faveur de la décolonisation, du désarmement, de l’opposition au racisme et à l’apartheid.

 

De même, Lula est loin d'être «neutre. » Évidemment, il n'a pas caché qu'il soupçonnait les enquêteurs nord-américains d'avoir collaboré avec les procureurs brésiliens pour le faire emprisonner, une accusation qui a été bien prouvée par l'agence de presse Brasilwire.

La plus importante démonstration que le pragmatisme de Lula n’éclipse pas sa défense de positions de principe en politique étrangère est sa reconnaissance de l'État palestinien et le fort soutien qu'il a reçu en retour de la communauté palestinienne aussi bien au Brésil qu’à l’étranger. Au premier tour des élections présidentielles, Lula a obtenu 592 voix sur la Rive Occidentale contre 52 pour Bolsonaro.

 

Une fois de plus, l’Amérique latine est le seul point brillant pour les politiques et les objectifs progressistes. Lula est bien placé pour être le dirigeant de la vague progressiste qui a balayé l'Amérique latine depuis la victoire d’Andrés Manuel López Obrador en 2018.

 

Mais la principale inconnue est de savoir si Lula va mettre sa perspicacité à l'épreuve en jouant un rôle en faveur d'une multipolarité progressiste pour un mouvement croissant au niveau mondial qui est en train de défier l'hégémonie nord-américaine et qui comprend des positions différentes dans le spectre politique.

 

Traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos

 

Source en espagnol:

https://www.resumenlatinoamericano.org/2022/11/07/brasil-lo-que-mas-teme-washington-del-presidente-lula-da-silva/

URL de cet article:

http://bolivarinfos.over-blog.com/2022/11/bresil-ce-que-les-etats-unis-craignent-le-plus-avec-l-arrivee-de-lula-au-pouvoir.html