Colombie: Interview de Gustavo Pétro à l’occasion de ses 100 premiers jours de gouvernement
–Comment voyez-vous vos 100 premiers jours ? Les imaginiez-vous ainsi ?
–Ils ont été plus faciles que ce que je pensais. J'ai réussi des choses difficiles. La majorité parlementaire, l'approbation de projets forts. La réforme fiscale est sur le point d'être approuvée. Il y a une défense des citoyens, de l’environnement, dans mon Gouvernement. La loi sur la paix qui permet juridiquement de négocier avec les guérilleros et les trafiquants de drogue. Et les niveaux d'acceptation du Gouvernement continuent à être élevés. Il y a de gros nuages économiques, évidemment. La chute du peso devrait nous mettre dans une expectative au niveau des exportations, ce qui est logique, mais nous n'avons pas d'appareil de production. Nous avons une économie pétrolière ankylosée.
-A quels pactes êtes-vous arrivé avec Nicolas Maduro ?
–Il n'y a pas de pactes secrets. Le problème de la frontière va plus lentement que ce que je pensais. Pendant les années pendant lesquelles nous n'avons pas eu de relations, la Colombie et le Venezuela, une époque de vide de l'État, s'est créé un pouvoir mafieux sur le commerce avec une capacité énorme de destruction de la population qui devait passer d'un côté à l'autre de la frontière. En l'ouvrant maintenant, nous devons affronter ce type de structure criminel.
–Et avez-vous la capacité militaire suffisante pour les affronter ?
–Oui et encore plus si nous nous coordonnant avec le Venezuela. Ce qui se passe, c'est que ça retarde le retour à la normalité entre les pays. J'ai proposé que la Venezuela entre à la CIDH et ça a été le sujet de ma conversation personnelle avec lui, qu'il accepte le fait que la démocratie libérale fait partie de l'ordre du jour progressiste en Amérique latine.
–Ça a été osé de parler avec Maduro en personne de démocratie libérale pendant votre visite à Caracas ?
–Oui. Si on regarde les dernières victoires électorales, celle de Boric, celle de Lula, la mienne, il y a un changement en Amérique latine. C'est la victoire de grands fronts démocratiques, c'est la gauche face au fascisme. Rejeter la démocratie libérale amène à la dictature et à l'autoritarisme comme ça a été le cas dans certains pays d'Amérique latine.
–Vous parlez du Venezuela ?
–(Rires). Je parle de pays autoritaires en Amérique latine en général. Défendre la démocratie libérale me semble important pour toute l'Amérique latine et pour le Venezuela. Est-ce difficile ? C'est très difficile parce qu’il y a toujours la destruction physique. Nos droites ne sont pas démocratique. Une fois les droites au pouvoir, elles tuent. C'est la grande crainte qu’il y a au Venezuela.
–Guaido a dit dans une interview accordée à EL PAÍS que vous n'étiez pas du tout naïf et que vous étiez certainement conscient que Maduro pourrait être en train de gagner du temps en affirmant qu'il reviendra dans les organismes internationaux mais qu’il finira par ne pas le faire.
–Je sens chez Maduro qu'il est décidé à faire des élections en 2024. Je peux me tromper mais c'est l'impression que j'ai. C'est son objectif.
–Peut-il y avoir des élections libres et contrôlable au Venezuela ?
–Oui et il doit y avoir un accord de garantie pour celui qui perd, quel qu'il soit. Le perdant. doit être respecté au Venezuela. Il ne doit pas y avoir d'ingérence dans la décision libre du peuple vénézuélien.
–Il a proposé une amnistie.
–Oui, totale.
–C'est-à-dire table rase et recommencer à zéro.
–Peut-être.
–Washington observe de près votre rapprochement avec Maduro mais a besoin de certains gestes du président du Venezuela et fait pression sur vous avec des décisions comme le fait de ne pas permettre que CONVIASA, la compagnie aérienne d'État vénézuélienne, revienne à Bogotá comme elle le fait dans d'autres pays de la région sans problème. Sentez-vous cette pression des États-Unis ?
–Que CONVIASA ne vole pas entre Bogotá et Caracas est une crainte de notre Gouvernement et des entreprises qui ne veulent pas s'exposer à des sanctions.
- Cela suppose-t-il une pression dans votre relation avec le Venezuela ?
–Oui, nous pouvons dire oui.
–Quel est l'état de la négociation avec l'ELN ?
- Ils sont en train de nommer leur équipe de négociation, leurs porte-parole. Nous aussi avons défini les nôtres mais je ne rendrai pas encore leur nom public.
- L'Espagne s'est proposée comme médiateur dans ce processus mais actuellement n’y joue aucun rôle. Maduro a-t-il mis son veto à la présence de Pedro Sanchez ?
- Non, Maduro ne m'a jamais dit ça. Ce qu’on sait, c'est que l'Espagne a favorisé l'inclusion de l’ELN dans la liste des organisations terroristes de l'Union européenne et cela me rend tout difficile.
- Une délégation du Congrès nord-américain vous a averti il y a quelques semaines du danger de se financer avec de l'argent chinois. Que répondez-vous ?
- La Chine est présente en Amérique latine mais pas pour mon Gouvernement. Ils ont plus d'alliances avec des personnalités politiques de droite, paradoxalement. La Chine est aujourd’hui le principal investisseur dans les travaux d'infrastructures. Elle a le contrat du métro de Bogotá qui est le plus important et a des contrats de tramways et de routes. La Chine est fortement entrée dans le marché colombien. Je suis dans une étape de négociation avec les patrons chinois et avec l'ambassade de Chine nous essayons d'améliorer le projet du métro de Bogotá. Les États-Unis ont été clairs en affirmant qu'ils sont capables d'entrer en compétition avec la Chine. Mais nous verrons… (Rires).
–Le directeur colombien des impôts et des douanes a dit que c'était le moment de légaliser la cocaïne pour élargir les revend us de l’Etat. Envisagez-vous de la légaliser ?
–Non.
–Un non ferme ?
–Non, tant que ce sera illégal dans le monde. J'ai envisagé cette discussion pendant la campagne mais c'est aux États-Unis de faire le premier pas.
- Au sommet mondial sur le climat, vous avez été très critique envers le système. Pourquoi ?
- Il me donne l'impression qu'avec le temps, on abandonné l'autorité politique dans les COP. Les présidents des principaux pays n’y assistent plus et laissent les négociations dans les mains d'équipes techniques. La technocratie prend le pouvoir. Cela fait qu'il y a une vision très conservatrice du problème, sans aucune capacité pour trouver des solutions.
- Le Venezuela, en théorie, est votre associé dans la défense de l'Amazonie mais il s'aligne sur d'autres pays producteurs de pétrole que vous critiquez tant.
- Les pays producteurs d'hydrocarbures, variés et très puissants dans la région, ont une position de léthargie par rapport à la solution. Une transition rapide ne leur convient pas. Même le Venezuela a fait des alliances avec l'Arabie Saoudite, la position la plus conservatrice. Et j'ai proposé d’échanger la date contre une action climatique.
- Quelqu’un l'as pris en considération ?
- C'est beaucoup plus efficace que proposer que les paysans dette plus. On peut le faire parce que le FMI fonctionne comme un organisme financier. On peut payer ainsi la dette et cela impliqueraient plus de liquidités dans le monde. Chaque pays aurait un espace de budget libéré qui serait utilisé pour financer l'adaptation au changement climatique. si on ne réalise pas cette rupture de paradigme, nous n'assumons pas la gravité que représente le rapprochement vers une extinction de l'humanité. Cette proposition, je l'ai faite à la COP mais elle n'est pas approuvée parce que ceux qui doivent l'assumer n'étaient même pas là.
- Vous avez dit clairement qu'il faut en finir avec le pétrole et les énergies fossiles. Va-t-il y avoir un pas radical en Colombie ?
- Quand on parle d'aller vers une économie sans carbone et qu’on met du temps et des engagements de COP en COP, ce don on parle, c'est de cesser de consommer le pétrole et le charbon. Toutes les autres mesures sont des mesures palliatives.
- Et qu’allez-vous faire ?
- La première chose est de ne pas faire de la politique de l’autruche, de penser que nous pouvons vivre 20 ans de plus ainsi. C'est la vision des élites colombienne et vénézuélienne. Si nous ne faisons pas notre aménagement, nous allons exploser dans un proche avenir. La Norvège, un pays pétrolier, a mis ses excédents financiers dans un fonds et investit dans diverses activités qui lui permettent d'obtenir une rente. Son idée est que ces rentes financent son système de pensions. Le monde arabe est en train de faire la même chose. La Colombie et le Venezuela n'ont pas fait cela. D'une certaine façon, nous avons perdu du temps. C'est irréversible. Dans le cas de la Colombie, ils ont même érigé en règle constitutionnelle la distribution des revenus pétroliers dans une infinité de petits projets régionaux qui en réalité ne sont que des mécanismes de corruption et de vol. Nous allons essayer de diriger cet investissement vers la transition.
- Votre ministre des finances, José Antonio Ocampo, préoccupé par le fait de faire cadrer les comptes de l'État va faire un infarctus…
- Cela ne se discute pas. Il faut faire la transition, c'est un consensus.
- Mais vous n'êtes pas d'accord sur la rapidité avec laquelle il faut faire cette transition vers les énergies vertes.
- Nous avons tous la volonté de faire cette transition. La Colombie et l'Amérique latine ont montré leur incapacité. Jamais les présidents d'Amérique latine ne se sont réunis pour en parler mais nous pourrions envisager l'objectif d'un grand réseau de transmission électrique de la Patagonie à l'Alaska et construire ainsi un grand réseau d'énergie propre. Et l'Amérique du Nord serait le consommateur. Ce serait une solution.
- Traduction Françoise Lopez pour Bolivar infos.
- Source en espagnol :
https://www.resumenlatinoamericano.org/2022/11/13/554579/
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