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Amérique latine : La monnaie commune et la nouvelle architecture financière de la région.

19 Février 2023, 18:30pm

Publié par Bolivar Infos

 

 

Avoir une monnaie commune est une étape indispensable sur le chemin vers la souveraineté monétaire. L'architecture financière mondiale actuelle, non seulement est définie par la vieille hégémonie du dollar, mais aussi par la nouvelle super concentration sans précédent des finances internationales. Le niveau actuel de concentration du secteur financier mondial est hors de contrôle, n'a aucun exemple dans l'histoire, est un phénomène nouveau et des banques centrales nationales devraient le considérer comme l'une des principales menaces qu’elles affrontent pour atteindre l'objectif de stabiliser les monnaies nationales.

 

Les deux défis : l'hégémonie du dollar et la super concentration financière impliquent des vulnérabilités difficiles à surmonter isolément. C'est de cela qu'il s'agit dans le projet de monnaie commune que proposent le Brésil et l'Argentine en vue de l'étendre dans toute la région. Face à l'absence d'intérêt pour reconcevoir l'architecture financière mondiale, le projet de monnaie commune est une alternative régionale destinée à atteindre une meilleure souveraineté, une meilleure sécurité économique et aussi une meilleure efficacité économique.

 

Le chemin vers la monnaie commune est long mais certains de ses modules comme le Système de Compensation des Paiements peuvent commencer à fonctionner en quelques semaines. La conception de la monnaie commune est un élément indispensables d'une nouvelle architecture financière régionale qui a d'autres attributs qui pourrait s'y ajouter peu à peu.

 

Les modules qui permettraient de gravir les échelons du nouveau système financier régional jusqu'à définir une architecture financière autonome sont les suivants :

 

Monnaie commune unique ou monnaie commune unitaire

 

L'un des avantages d'avancer tardivement dans le projet de création d'une monnaie commune est qu'on peut apprendre des autres expériences (et de leurs erreurs). La plus importante d'entre elle est l'euro. Les pays membres de la zone euro ont renoncé à leur monnaie nationale pour commencer à partager une monnaie commune unique mais comme ils ne partageaient pas la même structure de marché, ne disposaient pas de patrimoines technologiques et de capital similaires mais qu'ils avaient des productivités des législation du travail et des capacités financières différentes, l’euro a fini par être une mauvaise idée sur laquelle il est très difficile de revenir.

 

Les différences structurel ont perduré, la concentration économique autour de l'Allemagne et les différences de bien-être ont augmenté et n'ont pas convergé. Et dans certains cas, comme dans le cas de la Grèce, se sont aggravées à des niveaux douloureux. Sur le plan économique, les productivités différentes se sont traduites par rythme plus rapide d'inflation dans les pays les moins développés. En 20 ans, les pays les moins développés de la région, ceux du Sud, en sont venus à accumuler plus de 20 points d’inflation de plus que l'Allemagne, ce qui rend les entreprises des pays les plus touchés par l’inflation moins compétitives, pour ne pas dire non viables.

 

En renonçant à leurs monnaies nationales, les pays les moins développés du Sud avaient brûlé les navires des outils monétaires destinés à corriger les différences grâce au mécanisme simple de la dévaluation qui permet de corriger tous les prix d'un seul coup et n’ont plus eu à leur portée que la seule alternative possible, celle de recourir aux mécanismes correcteurs du marché, c'est-à-dire, à la crise, à la baisse du salaire, de la demande et du niveau d'activité pour que le marché corrige les différences de prix et égalise les compétitivités au prix du mal-être des sociétés.

 

Une autre expérience que nous pouvons observer  est celle de l'Équateur qui est renoncé à sa monnaie souveraine et adopté le dollar comme monnaie, ce qui, dans la pratique, représente une monnaie unique adoptée de façon informelle entre les États-Unis et l'Équateur, et qui maintenant a une monnaie forte comme le dollar mais ne dispose pas d'outils monétaires pour affronter les dévaluations de ses voisins et dépend de l'endettement extérieur permanent et des décisions de la Réserve Fédérale qui définit la politique monétaire équatorienne.

 

C'est à cause de tous ces précédents qu’il existe un grand consensus autour du fait que la nouvelle monnaie qui est envisagée par le Brésil et l'Argentine ne sera pas une monnaie commune unique mais une monnaie commune unitaire, c'est-à-dire qui cohabitera avec –et ne remplacera pas - les monnaies nationales. Les pays pourront conserver les avantages qu'il y a à voir une monnaie souveraine et en même temps, profiter d'une monnaie commune qui rapportera des avantages supplémentaires à tous ses membres.

 

Le point de départ : le système de compensation des paiements

 

La principale étape sur le chemin est l'utilisation de la monnaie commune comme unité de compte et système de compensation centrale des paiements. C'est-à-dire qu'on l'utilise pour remplacer le dollar dans les échanges commerciaux entre les pays membres. Cela implique que toutes opérations commerciales entre les pays membres se feraient en utilisant la nouvelle monnaie et qu'on exigerait seulement des dollars pour payer le solde qui reste après une période de temps établie.

 

L’échange actuel de marchandises entre le Brésil et l'Argentine fluctue entre 24 000 000 000 de dollars US 29 000 000 000 de dollars US par an et l’échange de services est d’environ 200 000 000 de dollars US. Ce serait cela, la nouvelle demande avec des raisons transnationales qu’aurait la nouvelle monnaie régionale si on considère seulement le commerce entre l'Argentine et le Brésil. Le volume de demande augmenterait à plus de 100 000 000 000 de dollars US si d'autres pays de la région y adhéraient. La demande de dollars se réduirait aux dollars nécessaires pour payer les soldes déficitaires, c'est-à-dire le solde qui reste entre les exportations et les importations du commerce bilatéral. Concrètement, en 2021, les exportations de services de tourisme de l'Argentine au Brésil, ont été de 74 300 000 $ US alors qu'on a importé pour 84 100 000 $US. Alors, actuellement, on demande 158 000 400 $US pour des transactions de tourisme entre les deux pays, ce serait la demande de la nouvelle monnaie pour les transactions si on avait seulement besoin de dollars pour le solde d’environ 10 000 000 de dollars US, c'est-à-dire 6 % de la demande actuelle.

 

En ce qui concerne la conception du système de compensation des paiements, il y a eu des propositions de grande importance qu'il faut rappeler pour concevoir le fonctionnement du système. Keynes, en premier lieu, il a proposé la création d’une“Unión de Clearing Internacional” qui impliquait la création d'une monnaie internationale qu'il appelait «Bancor». Il proposait que les pays établissent le type de change entre leur monnaie et le Bancor (il s'agissait d'une monnaie commune unique). La proposition impliquait des pénalités pour ceux qui auraient des déséquilibres significatifs dans leurs comptes courants, que ce soit des déficits ou des excédents et préétablissait des  mécanismes automatiques et non automatiques de correction. Par exemple, si le déficit excédait un quart de la somme de leurs exportations et de leurs importations annuelles, le pays devait dévaluer sa monnaie de 5 % et payer 1 % du déséquilibre qui irait constituer un fonds commun (propriété de l'union de Clearing).

 

Les pays excédentaires devaient également réaliser des ajustements sur l'économie réelle, que ce soit en augmentant les salaires, en valorisant leur monnaie, en réduisant leurs tarifs, en prêtant aux pays pauvres ou en augmentant la demande interne, et comme les pays déficitaires, il subissaient la même pénalité de 1 % pour le déséquilibre.

 

Cette conception décuplait l'offre mondiale d'argent de réserve et la transaction internationale de la monnaie nationale de chaque pays. Aucune monnaie nationale ne serait une monnaie de réserve, c'est-à-dire que les finances internationales ne seraient plus soumises au dollar et, de plus, l'Union produirait des revenus par seigneuriage et des des amendes qui pourraient être utilisées pour payer les biens publics mondiaux.

 

Fonds commun de réserves et stabilité macro-économique

 

Un fonds commun de réserve et de stabilisation économique régional est un instrument destiné à servir à prêter assistance aux pays qui ont des problèmes de balance des paiements. Dans une certaine mesure, il remplirait les fonctions que devrait théoriquement remplir le FMI sous la conception originale de Keynes mais en répondant aux intérêts et aux directives régionaux.

 

C'est aussi un mécanisme qui réalise de l'efficience économique. En effet, nous avons vu que le stock de réserves sud américain atteint environ 635 000 000 000 de dollars US, c'est-à-dire 17 % du PIB de la région. C'est l'investissement des ressources que les pays destinent à administrer la valeur de leur monnaie nationale et à éviter des attaques spéculatives. C'est un investissement nécessaire dans l'architecture financière actuelle mais très inefficace du point de vue de l'intérêt national parce que les banques centrales placent ces réserves en investissements liquides de rentabilité faible ou nulle alors qu'elles doivent s'endetter à des taux beaucoup plus élevés. Suite à la mauvaise conception du système financier actuel, le niveau de réserves internationales dans les pays en développement a augmenté d'à peine 3 % du PIB dans les années 80 à environ 20 % pour les pays en développement à revenus moyens et à 9 % dans le cas des pays en développement  à faibles revenus.

 

Il serait beaucoup plus efficace de constituer un fonds commun de réserves qui apporterait la même protection mais permettrait de libérer une partie de ces ressources pour chaque pays. Cette accumulation de réserves est la preuve évidente que l'architecture financière internationale que cette mondialisation a définie pourrait se qualifier de système du « sauve-qui-peut » et c'est pour cela qu'une administration régionale, coordonnée, des réserves, identique à ce que Keynes proposait à l'origine pour le FMI, qui permette aux pays de s'assurer face à la spéculation sur le change, et face aux déséquilibres transitoires des balances des paiements, finirait par donner une forte impulsion à l'économie régionale. L'impact potentiel de la libération de la moitié de ses réserves, en les utilisant pour financer des activités productives, serait une multiplication du PIB de la région de 8 à 40 % en 5 ans.

 

Banque centrale régionale

 

Dans les conversations sur la conception du nouveau système monétaire, on discute de la création d'une banque centrale régionale. Mais on doit savoir que la création d'une banque centrale n'est pas une condition nécessaire pour que la nouvelle monnaie existe et que par contre, elle peut attirer des discussions stériles au sujet de sa conception et de ses fonctions. Parmi les fonctions typiques d'une banque centrale, se détache l’administration de la politique monétaire et du plein-emploi mais il est impossible qu'elle puisse remplir cette fonction si les pays membres de l'accord ont des structures productives différentes et si leurs cycles économiques ne sont pas synchronisés. On doit aussi se prémunir contre la possibilité que la banque centrale n’adopte pas la logique de fonctionnement habituelle des banques centrales en tant qu'institutions dans lesquelles les intérêts de la banque et des institutions financières internationales sont sur-représentés au détriment de l'intérêt commun. Le précédent de la banque centrale européenne, son désintérêt par rapport au peuple grec, pour ne citer qu'un exemple, est suffisant pour tirer la sonnette d’alarme.

 

Ce qui est indispensable au nouveau système monétaire est une institution qui soit à la charge de l'administration monétaire de la nouvelle monnaie, qui administre et construise la réserve internationale, administre les taux d’intérêts et les accords d'échange monétaire avec d'autres banques centrales du monde. Cela pourrait être mené à bien par une trésorerie ou une banque régionale comme la Banque du Sud sur laquelle il y a déjà des accords régionaux disponibles pour la mettre en fonctionnement rapidement.

 

Format et utilisation

 

La monnaie commune pourrait adopter différentes formes. Ce pourrait être seulement une monnaie électronique mais elle pourrait aussi se transformer en argent physique, ou même prendre la forme d'une crypto-monnaie gouvernementale, ce qui permettrait de lui ajouter de la transparence et donner plus confiance aux utilisateurs en particulier dans les pays adhérents. Son utilisation pourrait être limitée au commerce régional de biens mais pourrait aussi s'élargir à des services comme le tourisme, ce qui augmenterait  l'acceptation de la nouvelle monnaie et de sa substitution au dollar par le peuple. Actuellement, les voyages internationaux impliquent une demande de dollars que les touristes utilisent pour changer à l'étranger. Parce que presque sans exception, il leur coûte moins cher d'utiliser cette devise que de changer leur monnaie nationale directement. Avec cette nouvelle monnaie régionale, les coûts de transaction pour les touristes seraient réduits de façon notable (et cela créerait du tourisme régional) parce que les paiements pourraient se faire directement avec les soldes bancaires disponibles dans la nouvelle monnaie au taux officiel dans n'importe quel lieu des pays impliqués dans le nouvel accord monétaire.

 

Circulation forcée

 

Le commerce entre les pays membres de l'accord devrait se faire forcément dans la nouvelle monnaie au lieu que ce soit une option à la disposition des exportateurs et des importateurs. Aussi bien pour les exportateurs que pour les importateurs, il serait indifférent d’utiliser le dollar ou la nouvelle monnaie dans leurs contrats commerciaux, parce que les importateurs doivent payer leurs importations en monnaie nationale et les exportateurs reçoivent en monnaie nationale l'équivalent en devises. C'est-à-dire qu'il leur est indifférent d’utiliser des devises comme le dollar ou la nouvelle monnaie régionale et que c’est aussi indifférent quand ils réalisent des opérations à crédit dans la nouvelle monnaie. À condition que le taux soit stable. De toute façon, comme il est difficile d'attendre qu'ils modifient leurs habitudes de réaliser leurs contrats en dollars, il convient de les obliger à utiliser la nouvelle monnaie et de laisser son utilisation optionnelle dans le cas de transactions avec des pays non membres de l'accord monétaire.

 

Réserve de valeur internationale.

 

L'une des fonctions du nouvel argent régional devrait être de servir de réserve de valeur. Dans les pays qui ont deux monnaies comme l'Argentine et le Venezuela où les citoyens emploient le dollar même pour leurs transactions quotidiennes, la nouvelle monnaie pourrait remplacer le dollar comme monnaie de réserve. Dans ce cas, aussi bien l'union monétaire que le pays qui a deux monnaies en bénéficieraient:  la première, parce que cela augmenterait la demande de la nouvelle devise et le second, parce qu’il recueillerait une partie des revenus que génère l'émission de monnaie.

 

En particulier, les détention de dollars en billet des Argentins atteindrait environ 260 000 000 000 de dollars étasuniens en 2022, un chiffre équivalent à plus de la moitié du PIB de l'Argentine. Que la nouvelle monnaie régionale dispute une partie de ce gâteau d'épargne se traduirait par des bénéfices importants pour la région et pour l'Argentine qui pourrait aussi recevoir une part importante des revenus générés par le seigneuriage tant donné la prédisposition de ses citoyens à demander cette monnaie. Dans le cas où on adopterais une monnaie électronique, les autorités monétaires pourraient connaître la situation géographique de l'argent et par conséquent, distribuer les bénéfices du seigneuriage que génère l'argent en respectant certains critères de localisation de la demande.

 

Accords avec les banques centrales

 

La création d'accords avec d'autres banques centrales, en particulier, la banque populaire de Chine, le pays qui est le principal partenaire commercial aussi bien de l’Argentine que  du Brésil et de la plupart des pays de la région, est importante. Un accord d'échange de monnaie avec ce pays permettrait de soutenir la demande internationale de la nouvelle monnaie. De fait, l'existence de la monnaie commune et du fonds de réserve rendrait les accords actuels de swaps bilatéraux avec la Chine (accords d'échange de monnaie qui servent d'assurance qui permet aux pays de demander des réserves à la Chine dans certaines circonstances) inutiles. Par contre, ces swaps pourraient se concentrer dans le fonds de réserve et de stabilité macro-économique, ce qui augmenterait l'efficacité de ces accords et diminuerait leur coût et leur volume.

 

Conclusion,

 

Le projet de monnaie commune est plus proche de la réalité que jamais. La stimulation du Brésil et le soutien de l'Argentine donne une nouvelle marque aussi bien à la monnaie commune qu’à une architecture financière régionale au service du développement et du bien-être de l'Amérique latine. Il reste beaucoup de questions au sujet de la monnaie commune et de son institutionnalisé et il y aura sans doute des discussions et des affrontements au moment de choisir entre les alternatives disponibles. Pour que  ni la nouvelle monnaie ni la nouvelle architecture qui en découle se transforme en un piège sans issue au préjudice des peuples, on recommande d'étudier la conception du FMI, son système représentatif, ses procédures de décision, son secrétariat et de faire tout le contraire.

 

 

NOTE de la traductrice:

1 Le seigneuriage est l'avantage financier direct qui découle, pour l'émetteur, de l'émission d'une monnaie. Dans le cas de la monnaie fiduciaire, émise seulement par les banques centrales, il est égal au montant émis, moins ses coûts de fabrication, de mise en circulation et d'entretien (remplacement des espèces usagées). S'ajoutent à ce revenu les intérêts de refinancement du système bancaire par l'institut d'émission.

(https://fr.wikipedia.org/wiki/Seigneuriage)

Traduction Françoise Lopez pour Bolivar, infos

 

Source en espagnol :

http://www.cubadebate.cu/especiales/2023/01/27/moneda-comun-y-la-nueva-arquitectura-financiera-regional/

URL de cet article :

http://bolivarinfos.over-blog.com/2023/02/amerique-latine-la-monnaie-commune-et-la-nouvelle-architecture-financiere-de-la-region.html