Pérou : Lettre ouverte de la fille de Pedro Castillo
Par Yenifer Paredes
J'ai beaucoup de moments gravés dans mon esprit qu'en réalité je voudrais oublier. Je parle de la journée du 7 décembre. Je ne sais par où commencer mais ce dont je me souviens le mieux, c'est qu'à 11h du matin, après avoir entendu le message à la télévision, je suis allé voir ma mère qui, comme je l'imaginais, était en train de prier, avait les yeux plein de larmes et ne savait que faire de plus que de demander son aide à Dieu.
Là, mon père est arrivé et a dit que nous devions partir, parce que ceux de la marine allaient venir nous chasser. J’ai eu peur et j'ai couru au second étage, où était Arnol et ma petite Alondra, à qui j'ai dit: « Nous devons partir. » Nous n'avons emporté que nos effets personnels et les vêtements que nous avions sur nous, nous avons couru et nous avions le cœur qui battait la chamade. Mais les voitures dans lesquelles nous nous déplacions toujours étaient prêtes à partir, chaque voiture avec sa sécurité particulière.
Mon père s'est assuré qu’ Arnol et moi étions dans la seconde voiture et dans la première, sont monté ma mère, Alondra et mon père (j'ai senti quelque chose de surprenant, parce qu’Alondra, Arnol et moi étions toujours ensemble dans la même voiture mais cette fois mon père s'est assuré d’emmener Alondra avec lui, je pense qu'il avait peur » et le docteur Anibal avec eux.
Mon père a dit à la sécurité que nous devions partir et nous sommes partis à toute vitesse. Nous avons avancé de quelques pâtés de maison. Nous étions tous très nerveux, tendu. Je ne peux pas expliquer ce moment. La vérité est que nous ne savions même pas où nous allions, nous suivons seulement la voiture dans laquelle était mon père. Pendant un moment, je me suis sentie rassurée parce que finalement nous étions tous ensemble : je parle de ma famille. Mon regard était fixé devant moi, je n'ai jamais cessé de regarder devant moi.
J'étais soulagée de quitter le palais et rapidement, j'ai vu qu'on s'arrêtait et en vérité, je pensais que c'était seulement une coordination. Comme toujours, la sécurité parlait au téléphone, mais les minutes passaient et je ne sais pas, les gens ont commencé à dire : « il est en train de fuir à l'ambassade. »
C'est le moment que j'ai le plus de peine à décrire, le plus douloureux. J'ai vu les policiers qui portaient des cagoules qui nous visaient avec des armes Arnol et moi. Ils nous ont demandé d'avancer. En vérité, je ne comprenais rien. La sécurité ne nous disait rien, et je ne connaissais pas Lima. En voyant que nous arrivions à la préfecture, j'ai eu peur, et je ne voulais plus que pleurer.
Nous sommes arrivés et personne ne disait rien. Ensuite, j'ai vu mon père descendre et mon cœur s'est brisé. Je savais que c'était la dernière fois que je le voyais. Je l'ai su parce que celui qui était en charge de cette opération m’avait déjà arrêtée et je sais comment ils travaillent. J'avais peur qu'il fasse quelque chose à mon père. Je peux seulement dire que dans mon esprit, je me disais « il est fort. »
Ensuite, nous sommes allés nous réfugier dans la maison d'amis. Après tout cela, nous sommes arrivés et ma mère était dans une autre pièce, elle était un peu pâle et ne voulait rien dire. J'étais surprise d'être avec Alondra. Je ne savais que dire. C'est une petite fille très intelligente mais elle sentait mon chagrin… Je veux oublier ce jour… Quelques heures ont passées, et à un moment, Alondra nous a dit qu'elle avait vu qu'on nous avait menacé avec une arme, qu’elle s’accrochait à mon père. Elle a dit qu'au moment où mon père a vu qu’on nous menaçait avec une arme, c'est là qu'il a dit : « bien mais sans violence. » Avant de descendre de la voiture, mon père a dit ceci : « je ne vais jamais trahir mon peuple, et si c'est pour eux que je vais en prison, j'irai. »
En revenant parler avec Alondra, j'ai senti sa douleur dans chaque parole qu'elle disait. Nous avions beaucoup de peine en nous je me sentais coupable envers ma famille d’avoir tant de peine. Je suis la plus grande et je n'ai pas pu la défendre. Il est difficile de vivre en pensant à ma petite Alondra. Elle est très mal mentalement. Je ne comprends pas pourquoi le pouvoir peut violer tous les droits de l'homme d'une enfant de 11 ans.
Je veux la justice pour ma petite sœur. Je veux parler de tout ce qui est illégal dans cette arrestation. Je veux dire au monde tout ce qu'on nous a fait et c'est notre foi en Dieu et dans le fait de voir mon père libre qui nous poussent chaque jour à continuer. Je ne peux pas expliquer ce qu'on ressent quand on est une famille unie et qu'on se retrouve totalement seule. Mes frères et ma mère sont au Mexique et mon père à Barbadillo. Il y a des jours où je ne veux pas continuer. Les forces me manquent mais je me souviens que mon père n'a pas parlé avec mes frères depuis deux mois (on ne lui permet pas d'avoir de communication téléphonique, alors qu'ici, au Pérou, on a le droit à un appel téléphonique par jour). Nous manquons beaucoup à mon père.
Mon père est un homme très bon qui luttait tous les jours pour son peuple et qui a sacrifié beaucoup de choses pour le bien du pays. Ma famille et moi supplions d'avoir de l'aide internationale, nous en serons éternellement reconnaissant.
Bénédictions.
Yenifer Paredes
fille de Pedro Castillo
Président du Pérou
Traduction Françoise Lopez pour Bolivar infos
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