Pensée critique : Biden recommence
Par: Atilio Boron
Ce mardi a débuté à Washington, le second sommet sur la démocratie. Et mercredi, ce sera la réunion plénière. Cet événement a été convoqué par le Gouvernement des États-Unis à travers le département d’État mais, comme d'habitude, des « Gouvernements alliés » apparaissent également comme hôtes : le Costa Rica, les Pays-Bas, la Corée-du-Sud et la Zambie. De cette façon, le Gouvernement de Joe Biden veut faire apparaître ce conclave comme la réponse altruiste de Washington à une demande de nombreux Gouvernements démocratiques préoccupés par l'avenir de ce régime politique.
Il essaie ainsi de rétablir le faible prestige international de la démocratie étasunienne et du même coup d'instaurer l'idée qu'aujourd'hui la lutte internationale se livre, comme en Ukraine, entre démocraties et autocraties. Le fait que le régime démocratique des États-Unis montre des degré inédit de mécontentement populaire est sous-jacent à cette initiative : 62 % de la population interrogées le dit ! selon le Pew Research Center et souffre d’une détérioration marquée après l'attaque du siège du Congrès des États-Unis, le 6 janvier 2021, et les dénonciations continuelles de Donald Trump et d’une grande partie de ses électeurs disant que les élections de 2020 ont été une fraude.
« Paix, durable »
Le premier jour du sommet, ce mardi 28 mars, il y aura un panel présidé par le secrétaire Antony Blinken, destiné à souligner la nécessité d'une « paix juste et durable en Ukraine » auquel participera le président Volodymyr Zelensky en tant que orateur principal. On pense que tous deux examineront, avec le ministre des affaires étrangères de différents pays, les étapes à suivre pour atteindre une « paix durable » en Ukraine bien que toutes les politiques mises en place par le Gouvernement Biden n'aient rien fait d'autre qu'attiser le feu du conflit. Apparemment, les jours pendant lesquels la presse européenne et en partie la presse étasunienne qualifiaient l'Ukraine de pays le plus corrompu d'Europe et Zelensky de despote également corrompu sont laissés en arrière. En 2015, le journal britannique The Guardian le qualifiait de cette façon. Sept ans plus tard, presque un an après le début de la guerre en Ukraine, d'autres rapports de presse disaient: « La guerre avec la Russie n'a pas changé cette situation. »
Malheureusement, au moment où j'écris ces lignes, on ne connaît pas la liste complète des pays invités à ce sommet qui avait été conçu à l'origine comme une activité qui devait se dérouler en présence, qui laissera de côté les « autocrates » et accueillera en son sein les « démocrates » du monde entier. Une donnée qui n'est pas anecdotique: lors de sa session finale de jeudi consacrée aux dangers de l'autoritarisme digital, l'orateur principal sera le ministre des affaires digitales de Taiwan, Audrey Tang. Cela constitue une provocation évidente envers la Chine parce qu'on suppose que les invités au sommet sont des représentants de pays indépendants et Taiwan ne l'est pas. Il n'est même pas reconnu comme tel par le Gouvernement des États-Unis lui-même mais l'intention est claire : encourager le séparatisme taïwanais et harceler la Chine pour provoquer une réponse militaire de Pékin qui puisse être utilisée ensuite pour justifier une aventure militaire dans la région.
Expansion impériale
Nous, les Latino-américains, savons bien que s’il y a un pays au monde qui ne pourra jamais donner donner des leçons de démocratie, c'est précisément les États-Unis. Leurs attaques de tout projet démocratique qui a su fleurir dans nos pays a été une caractéristique permanente dès le début de l'expansion de l'empire étasunien à la fin du XIXe siècle. Si nous faisions une liste des coup d'Etat patronnés ou exécutés directement par les États-Unis en Amérique latine et dans les Caraïbes, cette note deviendrait un essai volumineux. Nous ne mentionnerons que quelques cas.
En Argentine, les sanglants coups d'Etat militaires 1966 et de 1976 ont été patronnés et protégés par Washington. Au Chili, le brutal coup d'Etat perpétré le 11 septembre 1973 et ensuite la mort au combat de Salvador Allende ont été orchestrés depuis Washington par le président Richard Nixon et son conseiller à la sécurité nationale qui a été ensuite secrétaire d'État, Henry Kissinger. Le coup d'Etat qui a eu lieu au Brésil en 1964, et qui a duré jusqu'à en 1985 a joui du soutien enthousiaste de Washington, ainsi que celui qui a eu lien en Uruguay 1973 et qui s'est également perpétué jusqu'en 1985 quand Washington s'est rendu compte que son soutien aux féroces dictatures latino-américaines découvert portait préjudice à son image internationale et que le moment était venu de parier sur la démocratie, mais en prenant des précautions.
Auparavant, en 1965, le président Lyndon Johnson avait déployé 40 000 marines en République Dominicaine pour faire tomber le Gouvernement constitutionnaliste de ce pays. Nous ne devons pas oublier que Washington avait préparé un affrontement armé qui a duré 10 ans (1979–1989) contre le Gouvernement sandiniste et que des années plus tard, il a utilisé tous les moyens à sa disposition pour déstabiliser le Gouvernement du Front Farabundo Martí pour la Libération Nationale au Salvador. Il a aussi soutenu la dictature des Duvalier père et fils en Haïti, des Somoza au Nicaragua, de Stroessner au Paraguay et de Trujillo en République Dominicaine. La liste serait interminable.
Rhétorique démocratique
La rhétorique démocratique usée de cette seconde version du sommet n'arrive pas à déguiser les intentions perverse de ses mentors : renforcer les possibilités ouvertes par l'utilisation du « pouvoir doux » pour tourmenter les Gouvernements progressistes ou de gauche. Cela va des « conditions » posées par la Banque Mondiale et le FMI au contrôle oligo-politique des médias et à l'endoctrinement de juges et de procureurs pour mettre en pratique des manœuvres de persécution judiciaire conçues pour éliminer du domaine de la politique électorale des dirigeants considérés comme indésirables par l’empire. Exemples: Lula, au Brésil, Correa en Equateur, Cristina en Argentine, Lugo au Paraguay, Zelaya au Honduras, Evo en Bolivie, et il y a à peine quelques mois Pedro Castilloau Pérou. L'histoire et le présent démontrent que malgré ses déclarations aimables, une république impériale comme les États-Unis a besoin de vassaux, pas d'associés ou de pairs, surtout quand l'empire traverse, furieux, et avec un esprit de vengeance, son déclin irréversible. Dans des moments comme ceux-ci, les démocraties, en tant qu'expression de la souveraineté populaire et de l'autodétermination des nations ne pourraient être plus inopportunes pour l'empire. C'est pourquoi le sommet pour la démocratie est une farce de plus, un montage de propagande dont le véritable objectif est de renforcer une nouvelle guerre froide qui situe du « bon côté ville », les amis et les alliés des États-Unis qui seront considérés comme « démocrates », alors que les adversaires de Washington (ou ceux qui sont sans en être, ne sont pas prêts à se soumettre à leur dictats) seront diabolisés comme de pervers « autocrates » qu’on combattra par tous les moyens disponibles: sanctions économiques, blocus, offensives diplomatiques, terrorisme médiatique, et même guerres. En garde !
Traduction de Françoise Lopez pour Bolivar infos
Source en espagnol :
https://www.resumenlatinoamericano.org/2023/03/29/pensamiento-critico-biden-lo-intenta-de-nuevo/
URL de cet article :
http://bolivarinfos.over-blog.com/2023/03/pensee-critique-biden-recommence.html