Pérou : Nouveau scénario, nouvelles stratégies et nouvelles perspectives
Jorge Agurto
Sans doute la rébellion indigène qui a débuté le 7 décembre a-t-elle modifié le scénario politique du pays. Une première analyse certaine de cette geste dans son sa dimension exacte a été écrite par l'anthropologue quechua Rodrigo Montoya Rojas.
Roberto Ojeda Escalante souligne que les protestation qui ont débuté en décembre « ont changé le panorama du pays. »
« Non, seulement elles ont démasqué la brutalité de la droite, mais elles ont aussi déplacé ce qu'on appelle le centre et la gauche » dit Ojeda, observateur attentif de ce qui se passe dans le pays depuis el Cusco.
« Les ordres du jour à changer, et aussi, les acteurs, les autorités, les façons de faire. C'est comme une tourmente qui emporte tout sur son passage. En le transformant (…) C'est Jean qui se referme sur « leur ordre du jour » sont en train de plonger dans la flaque, » poursuit Roberto Ojeda.
Qu'a gagné le mouvement populaire dans le siège de Lima et du Pérou ? se demande l'écrivain Omar Aramayo depuis Puno.
« Rien, absolument rien, diront les aveugles, mais les aveugles peuvent dire n'importe quoi, parce qu'il ne voit pas. Je parle de ces aveugle de l’âme, » écrit Aramayo.
Mais les réussites obtenues jusqu'à présent par la rébellion indigène sont nombreuses.
Les réussites
1. Elle a rendu visible une région invisible et dont le centre de pouvoir à Lima ne s'occupait pas: “le Kollasuyo, l’altiplano, Puno, l'ethnie aymara. » Maintenant, on connaît leur existence, leur pouvoir de mobilisation, leurs perspectives et leur capacité de lutte. » (Omar Aramayo).
On peut dire la même chose, d'autres régions du sud des Andes et d'autres parties du pays qui se sont dynamisées pour s'exprimer dans les rues de diverses façons : blocages, marches, sit-in, veilles, chants, forums, etc…
- Elle a mis un nouveau sur le tapis l'incapacité du Gouvernement actuel et de l'appareil d'État. Même si l'échec de l’État-Nation péruvien et la corruption endémique sont connus comme un mal associé à ce processus, maintenant, on remet en question la démocratie créole ou « démocratie à la péruvienne » et le pseudo-État républicain.
Elle a révélé au Pérou et au monde les entrailles génocidaires et racistes d’un Etat bureaucratique, centralisé, militariste et répressif.
Une chanson née du génie populaire l’affirme : « Cette démocratie n'est plus une démocratie » et cette chanson est devenue l'hymne des protestations dans diverses régions du pays.
3. Le centre et la gauche se sont déplacés et ont perdu leur visibilité face à une rébellion politique et indigène. « Le centre cherche une issue « démocratique » qui n'est rien d'autre que garantir ses privilèges et éviter que les revendications continuent à augmenter « en se radicalisant. » C'est pourquoi une Constituante est importante, c'est la porte ouverte vers un processus plus large. »
« Les Aymaras les ont largement dépassés. Minuscule, n'importe quelle voix qui veuille se ratifier ou monter sur ses grands fruits, démographique et culturel. » (Omar Aramayo).
La droite a essayé sans succès de trouver qui tire les ficelles de la protestation populaire. Elle ne l’a pas trouvé. Ni la gauche, ni le sentier lumineux, ni les mineurs illégaux ou les cultivateurs de coca ne dirigent la protestation populaire.
Ce n’est pas que ces groupes n'existent pas mais au mieux, ils arrivent à s'y joindre ou à s’y infiltrer mais ils ne conduisent pas et n'orientent pas les mobilisations.
C'est Rodrigo Montoya qui l’explique en situant cette rébellion dans son contexte et dans son sens historique : « C'est la première rébellion ouvertement politique des communautés quechua et andines de notre histoire après qu'elles aient participé à la révolution de Túpaq Amaru, Túpaq Katari et Tomás Katari. »
« C'est la protestation massive dans les rues et sur les routes du sud des Andes, du centre et de l’est du pays et à Lima. Elle a pour objectif principal la démission de la présidente Dina Boluarte. C’est le règlement de compte le plus fort avec ceux de Lima, avec tout leur racisme et leur mépris. » (Rodrigo Montoya).
4. La dimension culturelle et communale du mouvement populaire, quechua, Aymara et amazonien remet la politique dans son sens partisans ou électoral. » (…) Elle est humaine, culturelle dans le bon sens du mot. Elle a un impact et une répercussion politique immédiate, c'est vrai. Mais son impulsion est humaine, culturelle. » (Omar Aramayo).
Montoya souligne le caractère communal de la protestation : « La communauté prend des accords par consensus, charge ses dirigeants qui ont la responsabilité d'obéir à la communauté de les mettre en œuvre. La communauté peut leur ôter la condition de dirigeants à tout moment. » (Rodrigo Montoya).
« Commander en obéissant est une façon de réaliser la réciprocité indigène dans la sphère de l'organisation et de la gestion politique (…) Dans la rébellion de décembre et de janvier (2022–2023), les grands acteurs ont été les communautés quechuas et aymaras. Ce fait est incompréhensible pour les forces armées, pour la police, pour les ministres de la défense et de l’intérieur et combien d'autorité qui existent dans l'appareil de l'État capitaliste. » (Rodrigo Montoya).
5. Elle a mis au centre du débat la nécessité urgente de repenser le pays en tant que nation pluri-culturelle et de penser un ordre du jour stratégique pour y arriver. La rébellion actuelle a fait ressortir des revendications mises de côté que la République n'a pas résolues en 200 ans et que la pandémie du Covid–19 a mis à découvert.
C'est que le système politique actuel ne permet pas aux peuples et aux communauté.s dont la conscience revendicative a augmenté parallèlement au mouvement pour l'autonomie et l’auto-gouvernement dans l'Amazonie de s’exprimer.
« Il y a une remise en question du système politique qui n'est pas inclusif et a cessé de représenter les peuples et les communautés qui voient de plus en plus comment leurs droits sont violés au nom de la démocratie et de l'État de droit qu'il ne sentent pas leur appartenir. » (Jorge Agurto)
« Malheureusement, il n'y a pas de classe politique ni de corporation intellectuelle », visible qui apporte son aide à ce processus. (Omar Aramayo).
6. Perspective : Personne n'a le dernier mot, et il faut attendre de voir comment le processus mûri. « De nouvelles stratégies, de nouvelles organisations sont nées dans ce processus. Elles exigent qu'on pense à partir d'elles et non sur elles. » (Roberto Ojeda).
Plus que jamais, il faut coordonner un projet anti-hégémonique qui construise un nouvel horizon de sens et qui démontre sa supériorité éthique et politique et donne une direction morale aux citoyens. (Jorge Agurto)
Le débordement de l'État est prévisible face à la crise qui s'approche comme la crise climatique qui frappe les peuples du pays face à l'inertie ou à la paralysie de l'Etat péruvien. Dans des situations, comme celle-ci, les peuples, les communautés et les rondes paysannes et urbaines joueront un rôle actif et important qui dépassera l'action pachydermique et inefficace de l’État.
L’un de signes en est l'information donnée par Radio Cutivalú à Piura qui indique que plus de 400 membres des rondes de la sous-centrale, de rondes paysannes de Naranjo Molinos à Sapillica, Ayabaca, nettoient le sentier carrossable du secteur.
L'Etat péruvien ne le fait pas et ne va pas le faire. Ce sont les communautés de base, les rondes urbaines et paysannes qui le font dans les territoires.
Quand le peuple « d’en-bas » prendra en main les décisions destinées à organiser la vie sociale et déchaînera son énergie créatrice l'État en faillite du Pérou et sa pseudo-démocratie bourgeoise entreront en soins intensifs.
Une nouvelle hégémonie populaire et démocratique qui pourra cimenter un Etat « à partir d'en bas », basé sur la libre détermination des peuples indigènes, sur l'autonomie des communautés rurales et urbaines et qui gouvernera le territoire efficacement s’imposera.
Traduction Françoise Lopez pour Bolivar infos
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