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Argentine : Le 1er mai dans la Patagonie rebelle au XIXe et XXe siècle

30 Avril 2023, 17:30pm

Publié par Bolivar Infos

 

 

Par Adrián Moyano

 

En 1886, Chicago était très loin de la Patagonie. Inakayal languissait au musée de la Plata, il y avait des gens captifs dans le camp de concentration de Valcheta et on comptait par milliers les femmes et les hommes mapuches qui, dans des conditions de servitude, cimentaient la fortune des vainqueurs. Dans la région, le capitalisme s'était généralisé après la campagne du désert, et comme partout ailleurs, la classe dominante se formant, simultanément, le prolétariat avait augmenté. Pour 1892, la distance avec la ville étasunienne s'était déjà raccourcie. La veille du 1er mai, sur les murs de Carmen de Patagones, des pancartes qui disaient « vive le 1er mai », « vive la révolution sociale » et « à bas l'autorité » ont fait leur apparition. A partir de là, la police s'est chargée de retirer les slogans et, en passant, a arrêté 2 militants anarchistes.

 

Au nord-est de Chubut, une classe ouvrière est apparue entre 1913 et 1922. Rien à voir avec les récits qui prédominent toujours et dessinent un passé idyllique dans lequel il n'y a ni conflit ni geste pionnière/patronale héroïque. En 1909, une usine de pâte alimentaires qui actionnait une machine à vapeur a été installée à Trelew et en même temps, une autre de glace. Trois années plus tard, la brasserie « l'Argentine », appartenant à un patron d’originale allemande qui produisait la bière « Chubut » a été inaugurée. Ce n'est pas pour rien qu'en 1913 a été organisé la première commémoration du 1er mai.

 

Le 1er mai 2918 à Comodoro Rivadavia.

 

L'impulsion a été donnée par les ouvriers du rail, et s'est concentrée à Gaiman. L'historien, Gonzalo Pérez Álvarez a pris comme source la chronique dans laquelle El Avisador Comercial a enregistré cet événement historique : « Le nombre de manifestants était assez important, ils sortaient en colonnes bien formées dans les rues du village en entonnant l'hymne des travailleurs, et en faisant faisant flotter des foulards et des drapeaux rouges. Le spectacle a attiré l'attention parce que c'était la première fois que cela se produisait dans le Chubut. »

 

Mais les travailleurs ne se limitaient pas à faire « des spectacles. » En août 1916, le train qui allait de Puerto Madryn a Trelew a déraillé lorsquede grosses pierres ont été placées sur les voies. Des historiens régionaux attribuent cet épisode à un « attentat », conséquence des « luttes ouvrières. » selon Matthew Jones, ce n'était pas la première fois que se produisait ce genre de sabotage et il pensait que c'était dans le cadre des conflits qui surgissaient périodiquement entre la compagnie des chemins de fer et les ouvriers des quais.

 

Face à l'avancée du prolétariat, la répression n'est pas restée les bras croisés car chaque 1er mai comprenait « des déploiements de forces de police pour maintenir l'ordre dans le défilé qui était toujours organisé après les discours enflammés prononcés sur la place de l'Indépendance. Il n'était pas rare que certains des plus enthousiastes finissent cette nuit dans une cellule du commissariat local,» raconte Jones. Pour maintenir l'ordre capitaliste, évidemment.

 

Régime policier

Au début du XXe siècle, le nord de la Patagonie s'est également incorporé rapidement au marché mondial en particulier dans le domaine de l'exportation agricole. Les premiers conflits ont éclaté dans des boutiques de Maquinchao (1906) et sur le port de San Antonio Ouest (1909), tous deux sur le territoire national du Rio Negro. En 1905, la Section Choele Choel des ouvriers du rail s'était pliée à une mesure nationale et le train a cessé momentanément de circuler également à Neuquén. un an auparavant, des ouvriers s’étaient déclarés en grève et personne n'avait charger les tonnes de cuir et de laine qui attendaient dans cette gare, « occasionnant des pertes importantes aux commerçants et aux éleveurs », Selon le département national du travail et La Protesta.

 

Vers la fin des années 1910, la FORA du V ème Congrès, c'est-à-dire l'anarchiste, a mis au point un processus d'organisation ouvrière dans la haute vallée du Rio Negro. À la moitié de 1914, La Protesta a reproduit un rapport réalisé par des travailleurs qui ouvraient des canaux àAllen et étaient « soumis à un régime véritablement policier dans lequel les droits de l'homme et la liberté individuelle sont lettre morte. » La publication disait aussi : « Ici, celui qui tombe malade meurt sans soins. » et ajoutait : « En travaillant dans la boue et avec l'eau de l'eau jusqu'au genou. On dort sur des tapis misérables, sur des paillasses humides, ce qui expose le corps à n'importe quelle maladie mortelle : bronchite,  pneumonie ou rhumatismes. »

 

Les organes de presse du syndicalisme révolutionnaire en faisaient autant. En effet, ceux qui étaient liés à la FORA du IXème Congrès dénonçaient aussi les incroyables conditions d’exploitation qu’affrontaient les ouvriers des lignes de chemin de fer vers Zapala. L'Action Ouvrière a publié un témoignage selon lequel « la brutalité et l'arrogance des directeurs des chemins de fer du Sud en ce qui concerne leur conduite à l’égard des travailleurs est célèbre. » Et il demandait que personne n'aille « se faire exploiter à Neuquén car c'est une vie que seuls les malheureux et frustes Russes, Arméniens, Syriens et Turcs peuvent supporter. Les Italiens et les Espagnols ne sont pas acceptés par la compagnie parce qu'ils disent qu'ils sont très exigeants. »

 

Le journaliste et écrivain Hernán Scandizzo A. Découvert lors de ses investigations que depuis 1914, l'envoi de journaux, de livres, de revue et d'autres matériaux de diffusion anarchiste à Contralmirante Cordero, Cipolletti et Allen est certain. La presse d'agitation circulait dans la Haute Vallée depuis le début du siècle bien que de manière irrégulière et destinée à des abonnés individuels. Entre 1907 et 1908 a même fonctionné Fiske Menuko-General Roca une agence de La Protesta.

 

À la lumière de tel précédent, il n'est pas étonnant qu'en 1912, on ait commémoré pour la première fois à Neuquén la Journée du Travailleur. Pour la presse locale, cette activité n'a pas été tellement importante : « De nombreux ouvriers avec lesquels ont également fraternisé plusieurs des non-salariés ont assisté à un modeste lunch. » Dans cette activité, ils ont utilisé l'expression « porte-parole prolétarienne » et le journal a souligné que tout « s'est achevé dans le plus grand ordre, en faisant des vœux pour que la prochaine célébration ouvrière prenne toutes les proportions d'un événement social. »

 

Propagande gréviste

 

Dans le sud de la Patagonie, la fédération ouvrière de Rio Gallegos a été fondée le 13 mai 1913. La Fédération Ouvrière de Magallanes (FOM) qui même avant cette date s'était préoccupée de créer de sous-sièges dans la juridiction de Santa-Cruz, a eu une forte incidence sur sa création. Sous les latitudes australes, l'internationalisme prolétarien a été un fait plus qu’un slogan ou une inspiration, à tel point que lors de sa fondation, la fraternité et la communauté d'idées entre les deux organisations ont été établies. Même si il y a eu des socialistes, c'est l'anarchisme qui a prévalu depuis le début.

 

Un conflit important a vu le jour l'année suivante quand on a arrêté « 78 individus, pour la plupart des agitateurs et des agresseurs présumés de la police à main armée, » selon un télégramme envoyé par le gouverneur au ministre de l'intérieur. En 1915, ces événements se sont répétés, toujours à l’approche de la saison de tonte, quand se sont produits des mouvements de travailleurs en provenance du Chili. Au début de cette année-là, une demande de résidents d'origine britannique et allemande de la zone de San Julián permet d'entrevoir la tragédie qui s'est abattue sur les troupes d'ouvriers à partir de 1921. Les puissants disaient: « Nous, soussignés (sic) voisins de cette ville, fermiers possédant des élevages de moutons, nous voyant menacés par les instigateurs à l'arrêt de travail si on n’accède pas à des demandes absurdes formulées par des personnes faisant de la propagande de grève, ce qui pourrait avoir de graves conséquences pour nos vies et nos fermes à cause de cet élément, dont la plupart vit mal, nous nous présentons devant votre Excellence pour demander des garanties, car la seule à pouvoir les donner serait la police [...]". Six ans plus tard, la persistance de la demande a coûté la vie à 1 500 ouvriers.

 

Je n'ai pas pu établir clairement quand a été commémoré pour la première fois le 1er mai à Santa Cruz, mais déjà en 1910, le gouverneur avait reçu une demande identique à celle de 1915. Les signataires offraient leurs services « au cas où l'ordre public pourrait être troublé lors des festivités que projetaient de réaliser les ouvriers locaux. » Un germe para-policier qui, 10 ans plus tard, sera mortellement infecté et prendra forme dans la Légion Patriotique.

 

En 1887, personne ou presque personne ne savait, sous les l'attitudes australes que George Engel, Adolphe Fischer, Albert Parsons, August Spies et Louis Lingg avaient perdu la vie pour avoir défié la broyeuse capitaliste des États-Unis. L'information sur le sort de Samuel Fielden, Michael Schwab et Oscar Neebe n'était pas non plus arrivée jusqu'ici. Mais 5 ans plus tard, sur les berges du Rio Negro, le même fleuve qu’ont traversé de façon forcée tant et tant de mapuches pour jouir de leur liberté, on a commencé à parler des martyrs de Chicago et du 1er mai. Sous leur influence s'est organisé la classe ouvrière de la Patagonie qui a aussi une histoire et une geste épique qui méritent d'être racontées.

 

Traduction Françoise Lopez pour Bolivar infos

 

Source en espagnol :

https://www.resumenlatinoamericano.org/2023/04/28/argentina-el-1-de-mayo-en-la-patagonia-rebelde-entre-los-siglos-xix-y-xx-viva-la-revolucion-social-y-abajo-la-autoridad/

URL de cet article :

http://bolivarinfos.over-blog.com/2023/04/argentine-le-1er-mai-dans-la-patagonie-rebelle-au-xixe-et-xxe-siecle.html