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Cuba : 60 ans, après la première initiative de rapprochement entre les États-Unis et Cuba (I,1)

21 Octobre 2023, 17:40pm

Publié par Bolivar Infos

 

 

Après l'échec de l'invasion de Playa Girón et la terrible expérience de la crise d'octobre de 1962, J. F. Kennedy semblait convaincu qu'il n'était pas intelligent à ce moment-là de chercher à changer le régime cubain par la voie militaire directe. Il a commencé à envisager un large spectre de tactiques qui satisferaient également les intérêts stratégiques des États-Unis.

 

Parmi le large éventail d'options qui étaient discutées comme possibles, le président des États-Unis avait accepté d'explorer, prudemment et discrètement, un possible modus vivendi avec l'île, mais auparavant, il avait besoin de savoir quelles concessions Cuba était disposée à faire au cas où ils arriveraient à une certaine sorte d'accord. En même temps, la décision de l'URSS de retirer les missiles sans prendre en compte les Cubains et le mécontentement de la direction de l’île à cause de cette attitude semblait montrer à Kennedy une brèche entre les Cubains et les Soviétiques qui valait la peine d'être explorée. Un éventuel accord avec Cuba était également parfaitement en syntonie avec les intentions de Kennedy de construire une structure de paix avec l'URSS à ce moment-là. « En ce qui concerne Kennedy, écrivait Schlesinger, ses sentiments ont changé envers Cuba (la crise d'octobre, de 1962). Un monde dans lequel les nations se menaçaient mutuellement avec des armes nucléaires lui semblaient à présent pas précisément un monde irrationnel mais un monde intolérable et impossible. Ainsi, Cuba a fait surgir le sentiment que ce monde avait un intérêt commun à éviter la guerre nucléaire, un intérêt très au-dessus des intérêts nationaux et idéologiques qui, à un certain moment, avaient pu paraître cruciaux. »

 

Dans son célèbre discours à l'Université Américaine en juin 1963, Kennedy a lancé un fort appel à la paix mondiale et exprimé à nouveau l'attitude nord-américaine envers l'URSS.

« Aucune nation dans l'histoire, a-t-il dit, n'a plus souffert que l'Union Soviétique pendant la Seconde Guerre Mondiale. Si une nouvelle guerre mondiale survenait, tout ce que les deux parties ont construit, tout ce pourquoi nous avons lutté, serait détruit dans les premières 24 heures. Mais, les uns et les autres sommes pris dans un cercle dangereux et vicieux dans lequel la suspicion d'un côté alimente la suspicion de l'autre et les nouvelles armes en créent d'autres pour les contrer.

 

(…)

 

« Si nous ne pouvons pas mettre fin maintenant à tous nos différends, au moins, nous pouvons contribuer à maintenir la diversité du monde. Car, à la fin des fins, le lien fondamental qui nous lie est que nous habitons tous cette petite planète. Nous tous respirons le même air. Tous, nous chérissons l'avenir de nos enfants. Et nous sommes tous mortels. »

 

Des pas comme la signature d'un traité avec l'URSS sur l'interdiction des essais nucléaires, l'établissement de ce qu'on appelle le « téléphone rouge » pour communiquer directement en cas d'urgence entre le Kremlin et la Maison-Blanche et l'autorisation accordée à l'Union Soviétique par les États-Unis de vendre ses excédents de blé à ont contribué à établir un climat de relâchement des tentions entre les deux grandes puissances opposées durant l'année 1963. Évidemment, tout cela a eu un impact sur la politique nord-américaine envers Cuba.

 

Les actions de James Donovan

 

Les négociations pour le retour aux États-Unis de 1200 mercenaires emprisonnés à Cuba après l’invasion de Girón avait ouvert le premier canal de communication entre les deux pays depuis la rupture des relations. James Donovan, un avocat new-yorkais chargé de négocier la libération des prisonniers de la Baie des Cochons en tant que conseiller légal du comité des familles, est devenu le premier à transmettre la disposition de Fidel, qu’il a rencontré plusieurs fois, de résoudre le conflit bilatéral.

 

Le Gouvernement des États-Unis a géré le problème des prisonniers de la Baie des Cochons très discrètement, en évitant à tout moment de donner l'impression qu'il négociait avec le Gouvernement cubain. Tout devait sembler être une action privée.

 

C'est à la mi-juin 1962 qu'à la demande du procureur général Robert Kennedy, le comité des familles de prisonniers a demandé à l'avocat James Donovan de les représenter dans les négociations avec le Gouvernement cubain pour les libérer grâce au paiement que les tribunaux révolutionnaires exigeaient  pour chacun d’entre eux. Fin août 1962, Donovan s'est rendu à Cuba et a eu sa première conversation avec le Commandant en Chef. Les négociations de Donovan avec les autorités cubaines ont continué jusqu'en décembre de cette année-là, quand l'accord définitif a été obtenu. Ces négociations n’allaient être interrompues que pendant la crise d’octobre.

 

Pendant qu'avaient lieu les conversations Donovan-Castro, la CIA a préparé un plan pour que Donovan apporte au dirigeant de la Révolution Cubaine un équipement de plongée manipulé par l'agence pour porter atteinte à la vie du dirigeant cubain. Les appareils qui servent à respirer avaient été contaminés avec le bacille de la tuberculose et la combinaison d'immersion était imprégnée avec les champignons qui produisent le « pied de bois » (maduramycosis), une maladie qui commence par attaquer les extrémités inférieures en apparaissant comme des tuméfaction et des fistules et qui pénètre jusqu'à les détruire dans les muscles, les tendons et les os. Comme Donovan, de sa propre initiative, avait déjà offert à Fidel un équipement de plongée, le plan a été abandonné.

 

Pèche à Playa Girón penant le voyage avec Donovan

 

Donovan a continué à rencontrer Fidel en 1963, mais à ce moment-là c'était pour gérer la libération de plusieurs citoyens étasuniens prisonniers sur l'île. L'avocat new-yorkais a transmis à Washington le souhait de Fidel et de certains de ses plus proche conseillers d'améliorer les relations avec les États-Unis.

 

Kennedy a montré son intérêt pour tous les rapports des conversations Donovan– Fidel et même en mars 1963, devant la proposition de l'un de ses collaborateurs d’envoyer à Fidel par l'intermédiaire de Donovan, le message que seulement deux choses étaient non négociables : (1) les relations de Cuba avec le bloc sino-soviétique et (2), son interférence dans l'hémisphère. Le président des États-Unis a indiqué fermement qu'il n'était pas d'accord pour transformer cette exigence de rupture des relations sino-soviétiques, un point non négociable. « Nous ne voulons pas nous présenter devant Castro avec une condition qu'évidemment il ne peut pas accepter. Nous devons commencer à penser à des lignes plus souples, » a déclaré Kennedy.

 

Donovan s'est rendu à Cuba du 5 au 8 avril pour poursuivre ses négociations avec les autorités cubaines. Ces négociations ont eu pour résultat la libération des agents nord-américain.s Dans un mémorandum sur ces conversations envoyé à Kennedy, le directeur de la CIA écrit que le but central de ces contacts, au-delà de la libération des agents nord-américains, avait été politique et était destiné à sonder la position des autorités cubaines sur les relations avec les États-Unis. McCone a aussi fait savoir à Kennedy que l’assistant de Fidel Castro, René Vallejo, avait dit à Donovan que le dirigeant cubain « savait que les relations avec les États-Unis étaient nécessaires et qu'il voulait qu'elles se développent. »

 

Le 10 avril, Kennedy a discuté en privé avec McCone du contenu de ce mémorandum. Le président a exprimé un grand intérêt pour les conversations de Donovan avec les autorités cubaines et posé plusieurs questions à propos de l'avenir de Castro à Cuba avec ou sans la présence soviétique. » McCone a déclaré que le problème « (…) était en train d'être étudié et a proposé d'envoyer à nouveau Donovan à Cuba le 22 avril pour confirmer la libération des prisonniers et garder le canal de communication ouvert. »

 

Discussion des actions possibles concernant Cuba

 

Le 11 avril 1963, Gordon Chase, qui travaillait comme assistant de Mac George Bundy, avait indiqué dans un mémorandum envoyé à ce dernier qu'ils étaient tous préoccupés par le problème cubain mais que jusqu'à ce moment-là, ils n'avaient essayé de le résoudre qu’à travers des «… méchancetés ouvertes et secrètes de différentes ampleurs, », oubliant l'autre face de la monnaie : « amener doucement Castro vers nous. » Chase a exposé ces considérations à Bundy et a dit que, si « le rapprochement doux envers Cuba » avait un résultat, les bénéfices pour les États-Unis seraient substantiels.

 

« Probablement, soutenait Chase, nous pourrions neutraliser à court terme au moins deux de nos principales préoccupations concernant Castro : la réintroduction des missiles offensifs et la subversion cubaine. À long terme, nous pourrions travailler à l'élimination de Castro à notre convenance  et à partir d'une position favorable. »

 

Chase a également dit à Bundy que les deux obstacles qui se présentaient face à cet éventuel tournant politique  concernant Cuba : le rejet interne de l'opinion publique, états-unienne et le refus de Fidel de se laisser séduire, étaient difficiles mais pas impossibles à surmonter.

 

Ainsi, vers avril 1963, le Gouvernement Kennedy analysait toutes les variantes qui auraient pu résoudre le « problème cubain » qui est devenu pratiquement une obsession du président jusqu'à ce fatidique 22 novembre 1963. Avec les propositions d'espionnage, de guerre économique, de sabotage secret, de pression diplomatique et de plans de militaires, dans les documents ultra-secrets du conseil de sécurité national des États-Unis est incluse la possibilité d'un « développement graduel d'une certaine forme d'accord avec Castro. » Dans un mémorandum sur « le problème cubain », en date du 21 avril, Mac George Bundy expliquait la logique de cette sorte d'initiative : « Il existe toujours la possibilité que Castro, ou d'autres qui occupent actuellement de hautes fonctions dans le régime voient un certain avantage dans un virage graduel de leur dépendance actuelle envers Moscou. En terme strictement économique, aussi bien les États-Unis que Cuba ont beaucoup à gagner au rétablissement des relations. Un Castro “Titoísta” n'est pas quelque chose d'inconcevable et une révolution diplomatique complète ne serait pas l'évènement le plus extraordinaire du XXe siècle.

 

Le 30 avril 1963, lors d'une réunion du groupe permanent, on a décidé de « maintenir la ligne de communication avec Castro que Monsieur Donovan avait ouverte pendant les négociations concernant les prisonniers nord-américains. » Mais, à cette date allait s'ouvrir un autre canal important de communication entre les deux Gouvernements à travers la journaliste Lisa Howard. La belle reporter qui, de plus, avait organisé une interview avec le dirigeant cubain pour ABC avait été présentée à Fidel par Donovan dans le courant du mois d'avril. L'interview d'une heure devait être diffusée aux États-Unis le 10 mai 1963 et allait provoquer des titres comme : « Castro veut parler avec Kennedy » et « Castro donne des indices qu'il veut négocier avec Kennedy. » À son retour aux États-Unis, Lisa Howard a fait connaître à la CIA l'intérêt du dirigeant de la Révolution Cubaine à converser avec le Gouvernement Kennedy. Le sous-directeur des plans de la CIA, Richard Helms a élaboré un mémorandum avec cette information recueillie par McCone avec copie pour le procureur général, l’assistant spécial du président pour les affaires de sécurité nationale, et d'autres hauts commandants de l'appareil de renseignement.

 

Il conclut son estimation de la façon suivante : « Lisa Howard veut définitivement impressionner le Gouvernement des États-Unis avec deux faits : Castro est prêt à analyser un nouveau rapprochement et elle-même est prête à débattre de ce sujet avec lui si le Gouvernement des États-Unis le lui demande. »

 

Entre-temps, une communication adressée à Robert, Kennedy le 2 mai sur instructions de McCone témoignait des préoccupations du directeur de la CIA face à toute initiative qui représenterait un rapprochement avec le régime cubain. Elle montrait aussi son absence d'intérêt et de volonté politique pour avancer dans cette voie. « Monsieur  McCone m'a envoyé ce matin un câble propos du rapport de Lisa Howard, indiquait le document, disant qu'on ne peut pas mettre excessivement en évidence l'importance du secret dans cette affaire et a demandé que j'entreprenne toutes les démarches appropriées en ce sens pour refléter sa vision personnelle de sa sensibilité. Monsieur McCone pense que la rumeur et les révélations inévitables avec la publicité qui en découlera serait le plus préjudiciable. Il suggère qu'on n’entreprenne pas de démarche active à propos du problème de la réconciliation en ce moment et appelle instamment à des discussions plus limitées à Washington. Que face à ces circonstances, on mette en avant, dans toute discussion, le fait qu'on est en train d'explorer la voie de la réconciliation comme une possibilité lointaine  et une des différentes alternatives qui implique plusieurs niveaux d'action dynamique et positive.

 

Le début de la diplomatie secrète

 

Ce n'est qu'après le 6 juin 1963 que le groupe permanent a discuté largement le sujet des conversations de James Donovan avec Fidel Castro et les autres rapports du renseignement qui signalaient l'intérêt de Cuba à améliorer ses relations avec les États-Unis. Une information qui était arrivée plusieurs fois en 1963 grâce à plusieurs sources de la CIA. Lors de cette réunion, on a évalué les différentes voies pour établir des canaux de communication avec le dirigeant de la Révolution Cubaine et le groupe a été d'accord sur le fait que cet effort était utile. Il y aurait plus à attendre du mois de septembre pour que se matérialise les contacts. Et en cela Lisa Howard jouerait le rôle de catalyseur.

 

En septembre 1963, Howard a raconté à William Atwood, un fonctionnaire du Gouvernement Kennedy membre de la mission des États-Unis aux Nations Unies, que Fidel Castro, qu'elle avait rencontré pendant plusieurs heures lors de sa visite à La Havane, lui avait exprimé sa disposition à établir une certaine sorte de communication avec le Gouvernement des États-Unis et sa volonté d’explorer un modus vivendi. En même temps, ce même critère avait également été transmis à Atwood par l'ambassadeur de Guinée à La Havane, Seydon Diallo. Atwood avait lu l’intéressant article de Howard dans le journal liberal War/Peace Report, publié sous. le titre « Castro`s Overture » (Les insinuations de Castro), dans lequel la journaliste signalait que pendant ces huit heures d'interview avec Fidel, celui-ci avait encore plus insisté sur son désir d'avoir des négociations avec les États-Unis. Résultat, Atwood et Howard allaient mettre en place un plan pour engager des conversations secrètes entre les États-Unis et Cuba.

 

Traduction Françoise Lopez pour Bolivar infos

 

Source en espagnol :

http://www.cubadebate.cu/especiales/2023/10/02/a-60-anos-de-la-primera-iniciativa-de-acercamiento-entre-estados-unidos-y-cuba-i/

URL de cet article :

http://bolivarinfos.over-blog.com/2023/10/cuba-60-ans-apres-la-premiere-initiative-de-rapprochement-entre-les-etats-unis-et-cuba-i-1.html