Pensée critique: Impérialisme et souveraineté nationale
Conférence internationale sur les dilemmes de l'humanité
Johannesburg 14-18 octobre 2023
Panel Impérialisme et souveraineté nationale
Intervention de Manuel Bertoldi, d'Argentine
Bonjour, camarades, c'est un immense plaisir d'être ici à cette conférence, de nous rencontrer et de réfléchir aux défis que nous avons en tant que peuples. Je tiens à remercier tout particulièrement les collègues d'Afrique du Sud et de tout le continent africain de nous avoir accueillis si chaleureusement et aussi la secrétaire de l'assemblée internationale des peuples qui a travaillé très dur pour rendre cette conférence possible.
Nous venons d'Amérique latine où nous avons récemment fait notre conférence régionale rien de plus et rien de moins qu'au Chili 50 ans après le coup d'État. Cette attaque des États-Unis et l'armée chilienne n'a pas été seulement un coup contre le processus du peuple chilien, c'était un coup contre l'ensemble des peuples du sud qui luttons pour la libération nationale. Vijay a bien souligné lors de notre conférence régionale que lorsque ce coup d'État s'est produit, il y a eu des mobilisations massives en Inde devant l'ambassade des États-Unis. À des milliers de kilomètres du Palais de la Monnaie.
Je veux en profiter pour envoyer toute notre solidarité d'ici aux camarades Prabir et Amit de Newsclik injustement emprisonnés par le Gouvernement lâche de Mody. Nous devons rendre visible cette violation des droits de l'homme et faire pression pour que nous obtenions la libération de nos camarades !
Le coup d'État de 1973 au Chili s'inscrit dans le cadre d'une stratégie impérialiste pour tout notre continent et repose sur une doctrine qui fêtera serine vigueur depuis 200 ans en décembre. En 1823, le président des États-Unis Monroe, propose une orientation stratégique qui sera en vigueur jusqu'à nos jours: l'Amérique, le continent américain est pour les Américains, est la propriété des États-Unis. À l'époque, la querelle était contre les puissances européennes. Cela a changé au cours de ces deux siècles mais ce qui est resté, c'est l'obsession impérialiste de dominer nos peuples de n’importe quelque manière : coups d'État, invasions, meurtres, manipulation de nos systèmes politiques, déstabilisation, expropriation de nos richesses, pillage de nos ressources naturelles, bombardement idéologique et culturel sont quelques-uns des mécanismes utilisés par l'impérialisme en alliance avec les bourgeoisies nationales lumpens et cipayes qui ne pensent pas à des projets nationaux ou régionaux mais à leurs propres bénéfices.
Nous nous battons contre cela et, dans cette lutte, nos peuples ont remporté des victoires, nos peuples ont donné naissance à des révolutions y compris sous le nez même de l’empire.
Si nous parlons d'anti-impérialisme, de souveraineté et de dignité nationale, il est impossible de ne pas mentionner la révolution cubaine et son exemple pour tous les peuples en résistance du monde. Cuba vit et résiste ! Vive la Révolution Cubaine !
Sur notre chemin de victoires, nos peuples ont donné naissance à des dirigeants comme Fidel Castro et Hugo Chávez Frías avec son héroïque Révolution Bolivarienne qui reprend le chemin du grand libérateur pour mettre le Venezuela au premier rang dans la défense de la souveraineté de notre continent et a récemment conduit à l'une des victoires les plus importantes de nos peuples: la défaite de l'ALCA, un accord de libre-échange pour toutes les Amériques. On peut dire beaucoup de choses sur ce qu'a été ce processus de résistance au néolibéralisme dans notre région au début de ce siècle mais je veux souligner quatre éléments qui ont été essentiels pour comprendre cette défaite de l'impérialisme :
1- La montée de la mobilisation populaire qui s’est de plus en plus de radicalisée et a même renversé des Gouvernements. De la fin des années 80 au début du XXIe siècle, pendant 15 ans, il y a eu un processus d'augmentation de la mobilisation populaire qui n'a pas été linéaire, qui n'a pas toujours été ascendant dans tous les pays. Qui a été réalisé par différents acteurs de la classe ouvrière et qui a été renforcé à partir de cette mobilisation, d’une unité et d’une participation populaire de plus en plus fortes.
2- La cristallisation de ces nouvelles corrélations de force produit de ces mobilisations populaires dans les Gouvernements progressistes et les Gouvernements de gauche. Il n'est pas possible d'expliquer Chávez sans le Caracazo de 89, Evo sans les résistances du peuple bolivien aux tentatives de privatisation de l'eau et du gaz, Néstor Kirchner sans la rébellion populaire de 2001 en Argentine.
3- L'importance de construire des stratégies de contestation du pouvoir d'État dans nos pays pour avancer vers de plus hauts niveaux de souveraineté nationale.
Mais qu'entendons-nous par souveraineté nationale ?
- La souveraineté, c’est le contrôle de nos territoires. Nous ne pouvons pas continuer à permettre des invasions colonialistes dans nos pays. En Argentine, par exemple, la Grande-Bretagne occupe illégalement les îles Malouines depuis 190 ans, des îles qui sont stratégiques en matière de ressources et de passage transocéanique. Depuis 1898, les États-Unis occupent Porto Rico et son peuple se bat toujours pour l'indépendance de son pays.
- La souveraineté, c’est le contrôle de nos ressources naturelles. Aujourd'hui, le capital transnational veut s'emparer de ressources naturelles essentielles pour la production de l'énergie, de la technologie et de la nourriture. L'impérialisme a perpétué des coups d’Etat et déclenché des guerres en assassinant des milliers de personnes pour contrôler le pétrole au Moyen-Orient, pour contrôler le lithium en Bolivie.
- La souveraineté, c’est le contrôle de notre commerce extérieur. Dans beaucoup de nos pays, les ressorts fondamentaux du commerce extérieur tels que les ports et les lieux de stockage sont contrôlés par la puissance économique transnationale. Il est nécessaire de construire des instruments souverains qui contrôlent le commerce extérieur de nos produits, de utter contre les entreprises transnationales qui s'emparent de ces ressorts dans tous nos pays.
- La souveraineté, c'est construire l'autonomie en matière de politique économique. Nous ne pouvons pas être livrés au sort du dollar en tant que monnaie internationale ni aux conditions imposées par des organismes internationaux comme le Fonds Monétaire International. À une époque où on ose même discuter de la nécessité d'une banque centrale qui réglemente et défende nos monnaies nationales, il faut avancer dans l’autonomie par rapport au dollar. C’est pourquoi les transactions internationales qui commencent à se faire en dehors de la monnaie étasunienne sont très encourageantes.
Il faut avoir une stratégie souveraine de nos forces militaires. Il est inconcevable que nos armées soient formées par l'impérialisme et que nous soyons la tutelle yankee. Nous devons avancer dans la formation idéologique depuis notre histoire en tant que nations et région.
- La souveraineté nationale, c'est construire des droits pour nos peuples, l'accès à la santé, au logement, à l'éducation. La souveraineté nationale, c'est construire une stratégie en matière de technologie, de communication et d'information. La souveraineté nationale , c’est la souveraineté alimentaire.
Mais pour construire la souveraineté nationale, il faut nécessairement supposer que la démocratie bourgeoise n'existe pas. C'est une fiction dans laquelle nous sommes des acteurs de second plan et c'est quelque chose que nous avons du mal à faire comprendre et accepter par les militants et même par nos propres Gouvernements. La seule "vraie" démocratie disait Blanca, c'est la démocratie populaire, participative et révolutionnaire car notre histoire nous montre que toutes nos victoires et les droits que nous avons conquis l’ont été par la lutte, la mobilisation et la participation des majorités populaires.
4- Enfin comme quatrième élément, notre victoire et la défaite de l'ALCA nous ont laissé comme enseignement qu'il faut construire une coordination internationale contre les stratégies de l'impérialisme. Il n'y a aucune possibilité de s'opposer aux politiques impériales si nous ne coordonnons pas une stratégie internationale. Fidel et Chavez l’ont compris. Lorsque certains individus annonçaient la fin de l'histoire et alors que ce monde unipolaire s'imposait, des réunions convoquées par Fidel ont commencé à être organisées à Cuba pour réfléchir sur la dette extérieure en tant que mécanisme de domination. Ces rencontres ont abouti à la construction de la tranchée d'où l'ALCA a été combattue. À son tour, Chávez, avec son énorme autorité, a construit avec Cuba, l'ALBA, puis l'UNASUR et enfin la CELAC pour affronter l'OEA et l'Alliance du Pacifique.
Dans notre région, le projet d'intégration régionale est né des guerres d’indépendance. De cette première révolution sur notre continent réalisée des esclaves noirs en Haïti. À ce jour, l'impérialisme saigne de cette blessure. C'est cette révolution qui a ouvert la voie à la réalisation des rêves indépendantistes et a même collaboré avec Bolívar pour aider à la libération du continent.
Camarades, j'en profite pour dire que nous devons renforcer notre solidarité avec le peuple frère d'Haïti face au danger d'une nouvelle invasion par l'ONU et les États-Unis. Rendons visible la lutte du peuple haïtien et faisons pression sur nos Gouvernements de toutes les manières possibles pour qu’on respecte l’e droit du peuple à se gouverner lui-même et à construire un pays souverain.
Dans ce monde marqué par une crise structurelle du système capitaliste de longue portée et aux résultats imprévisibles, consolider la multipolarité en tant que projet politique est fondamental pour repenser notre sud dans le monde. La multipolarité est inévitable et nous offre une opportunité. Il faut assumer dans ce cadre la tâche de construire un projet d'intégration populaire post-capitaliste pour nous insérer dans ce monde qui émerge.
En tant que première orientation, je veux insister sur quelque chose qui a déjà été dit: nous devons renforcer l'horizon socialiste non pas comme slogan mais dans notre action quotidienne, en tant que stratégie et présent. À partir de cette prémisse, répéter quelques tâches qui abondent en ce sens :
1- Renforcer les expériences de pouvoir populaire et de démocraties révolutionnaires. Nous, nous essayons d'apprendre (parfois sans y parvenir) des expériences communales au Venezuela, des coopératives de production agricole du MST, des rondes paysannes du Pérou ou des groupes d'autodéfense du territoire en Colombie. Mais nous devons en savoir beaucoup plus sur les expériences de notre région et d'autres continents.
2- Il faut approfondir le travail de base surtout avec les jeunes et les femmes des périphéries urbaines pour augmenter la mobilisation populaire et construire l'unité à partir de l'action dans les rues.
3- Renforcer la bataille idéologique qui est aujourd'hui le centre de la lutte des classes nous disait Joao Pedro, la bataille culturelle et la bataille des émotions. Montrer à partir de notre art, de nos chansons, de notre culture, le monde dans lequel nous voulons vivre. Nos joies, nos victoires et nos festivités. Nous devons inviter nos peuples à faire partie d'une autre forme de vie basée sur le respect et l'amour pour un nous et nous.
4- Renforcer nos valeurs de solidarité, de fraternité, de réciprocité, d'humilité et de modestie. La pédagogie de l'exemple est essentielle
Comme deuxième orientation, continuer à travailler pour construire un grand front anti-impérialiste aussi large que possible. Les temps qui courent sont de plus en plus rapides. L'impérialisme montre son visage le plus guerrier en bombardant des peuples entiers, des millions de personnes sont déplacées et dépouillées de leurs droits fondamentaux les plus élémentaires. Je tiens à soulever quelques éléments à apporter au débat sur sa construction :
1- Nous devons nous opposer aux guerres car en elles nous perdons toujours les peuples. Nous devons nous mobiliser pour la paix et pour dénoncer largement et aussi fort que possible les différentes interventions militaires des États-Unis et de l'OTAN comme en Ukraine. Et il faut le dire clairement, les États-Unis et l'OTAN sont responsables de ce qui se passe dans ce pays.
Une mention remarquable, comme elle l'a été pendant tous ces jours, est notre solidarité la plus sincère avec le peuple palestinien. Nous défendons fermement la cause et la résistance palestinienne, nous voulons la restitution du territoire usurpé et que les millions de familles et d'enfants palestiniens puissent vivre dans la dignité.
2- Dénoncer les blocus et les mesures coercitives unilatérales des États-Unis contre différents pays du monde. Dans ce cadre, un ensemble de réseaux internationaux et nous-mêmes travaillons à faire pression et à faire sortir Cuba de la liste des pays qui parrainent le terrorisme. Ici, les seuls qui ont soutenu le terrorisme ont été les différents Gouvernements des Etats-Unis depuis 200 ans.
3- Un front anti-impérialiste, doit lutter de manière coordonnée contre les entreprises transnationales qui pillent nos richesses et se moquent de nos souverainetés. Les entreprises transnationales de l'information, du complexe alimentaire et pharmaceutique où comme nous l'a montré hier le camarade de l'Inde, 20 entreprises, sûrement beaucoup d'entre elles transnationales, sont responsables de 33 % des émissions de gaz à effet de serre. Dans tous nos pays, Google, Bayer, Pfizer, Nestlé, Coca Cola ou Monsanto opèrent. Nous avons la tâche de penser à la façon dont nous nous en occupons de manière coordonnée.
4- Combattre le dollar en tant que monnaie internationale et la soumission de nos économies à des organismes internationaux comme le Fonds Monétaire International.
Enfin, pour terminer, je veux parler d’une tâche que nous savons fondamentale et transversale par rapport à tout ce que j'ai dit. Suivant l'héritage du Che, d’Apolonio de Carvalho, de Francisco Miranda et de tant d'autres combattants populaires, nous devons renforcer notre internationalisme. Faire de cette pratique un pilier de nos organisations. Une solidarité active, prenant le corps et le cœur.
Il y a quelques jours, l'une des camarades qui ont fait le plus pour l'internationalisme ces derniers temps est allée se reposer. Elle est une référence pour la marche mondiale des femmes, nous avons beaucoup appris d’elle, nous suivrons son héritage et son humilité et nous continuerons sa lutte !
Nalu Farias, jusqu'à la victoire, toujours
Traduction Françoise Lopez pour Bolivar infos
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