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Argentine : En cherchant à comprendre Milei

21 Février 2024, 16:50pm

Publié par Bolivar Infos

 

 

Par Sergio Rodríguez Gelfenstein

 

Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine–Bolivar infos

 

En essayant de comprendre ce qui se passe, j'ai discuté avec plusieurs amis argentins. J'ai parlé avec des journalistes, des dirigeants syndicaux, de petits patrons, des enseignants, des militants péronistes et de gauche et des fonctionnaires de l'État. À la suite, je vais résumer les idées qu'ils m'ont exposées et qui, je l'espère, contribueront à envisager ce qui pourrait survenir dans l'avenir immédiat.

 

Dans la situation actuelle, Milei cherche désespérément à montrer sa force et à cacher sa faiblesse politique institutionnelle à un moment où ses forces au Parlement et dans la justice se sont réduites. Parmi les 1000 lois environ qu'il se propose d'éliminer ou de modifier, il va obtenir que certaines soient approuvées mais dans leur majorité, elles devraient être rejetées. La situation de l'avenir se caractérise par la grève récente et la mobilisation nationale qui ont marqué un avant et un après ce Gouvernement.

 

À partir de maintenant commence une période de forte confrontation, pas nécessairement violente parce que il n'y a pas de force pour la soutenir. Le Gouvernement cherche à faire sortir 2000 policiers dans la rue pour les réprimer mais il n'y a pas une opinion unie dans les forces armées sur l'attitude à avoir. En tout cas, le climat social va se compliquer dans les prochains mois avec un niveau élevé de conflit. L'inflation, en décembre, a été de 25 % et on s'attend à ce qu'elle soit d'environ 20 % pour le mois en cours. Milei fait tous les efforts possibles pour arrêter l'inflation parce qu'il sait que de sa capacité à la contrôler ou non dépendra son avenir.

 

Une question importante est de savoir qui, dans l'opposition, tirera bénéfice de cette crise, après que Cristina Kirchner ait disparu de la carte politique. Les figures les plus en vue sont Axel Kicillof, gouverneur de la province de Buenos Aires, le dirigeant social et politique Juan Grabois et le dirigeant syndical Pablo Moyano, qui dirige le puissant syndical des conducteurs de camions.

 

On sait que prolongation de la crise radicalisera les secteurs les plus avancés de la société dans une situation dont le pronostic est réservé parce que l'histoire argentine est pleine de mobilisations violentes qui ont renversé des présidents. Ainsi, la crise pourrait même permettre la réorganisation et le regroupement du péronisme maintenant avec de nouveaux dirigeants comme ces trois personnages.

 

Il y a quatre hypothèses sur ce qui pourraient souvenir en Argentine dans l'avenir proche :

 

–la première est la moins probable, bien qu'elle puisse survenir si un dirigeant de la droite traditionnelle allié de Milei (comme Mauricio Macri ou l'ancien dirigeant péroniste Miguel Ángel Pichetto réussit à pénétrer le cercle le plus proche du président ou le convainc de la nécessité de discuter. Ce scénario est probable parce que les alliés ont pris note de l'action « suicide » de Milei et cherchent à sauver une partie de la législation proposée, en particulier ce qui concerne la stabilité fiscale, pour laisser tout le reste à la gestion des parlementaires. Ainsi, ils pourraient « sauver » le président d'un probable vote contraire écrasant au Congrès. Il faut dire que l'un de leurs plus importants alliés (le parti radical) est contre la privatisation des entreprises publiques et qu'il y a des secteurs qui ont même commencé à abandonner le président, ce qui montre que le bloc de pouvoir n'est pas compact.

 

Cela semble peu probable parce qu’à ce niveau, Milei persiste dans un discours d'extrême dureté qui joue le tout pour le tout bien que les sondages montrent que sa base sociale s'est réduite.

 

–La seconde hypothèse est qu'une fois démontrée l'importance et la force de la grève nationale du 24 janvier (à laquelle ont participé environ 1 500 000 citoyens dans tout le pays, ce qui en a fait l'une des plus grandes grèves de l’histoire),  des secteurs indécis, dont beaucoup ont voté pour Milei et aujourd'hui s’en repentent, s’incorporent au grand contingent d'opposition qui grandit de jour en jour.

 

On prévoit que fin février (date à laquelle auront lieu des négociations paritaires entre patrons et travailleurs) se produise une seconde d'évaluation qui achève de réunir un gigantesque front d'opposition qui conduirait à la démission de Milei. En mars, l’année scolaire commence et les familles se verront contraintes d’effectuer les achats nécessaires en subissant l’effet des hausses de prix.

 

Pressentant cette situation, l'ancien président Macri a déjà discuté avec la vice-présidente  Victoria Villarruel pour qu'elle se prépare à devenir présidente. Au cas où cette hypothèse se réaliserait, dans les faits, ce serait un coup d'Etat déguisé qui, dans la pratique, conduirait à une situation même pire, parce que  Villarruel est encore plus à droite que Milei, ce qui est difficile à imaginer mais est une réalité dans l'Argentine d’aujourd'hui.

 

En terme stratégique, cela signifie que les temps politiques s'accélèrent face à une confrontation violente en installant un Gouvernement illégitime qui n'a aucune possibilité d'être accepté.

 

La seule chose qui pourrait éviter une radicalisation du conflit est qu'avec l'aide du FMI, la proposition de Milei réussisse à se renforcer à court terme, qu'il puisse arrêter l'inflation et gagner en crédibilité. Tous ses efforts vont dans ce sens. Le FMI lui a déjà accordé 4.700. 000.000 de dollars mais c'est un argent qui ne va même pas entrer dans les coffres du pays mais être utilisé pour payer la dette. C'est la raison pour laquelle Milei s'est rendu à Davos pour chercher des soutiens, mais bien que son discours ait été bien reçu dans le monde de l'entreprise, il a été rejeté de façon écrasante par les entités gouvernementales.

 

–La troisième option est que, face à l’entêtement de Milei, une dégradation accélérée de son image et la perte de son soutien populaire conduisent les blocs parlementaires à convenir d’une mesure législative radicale qui forcera à la démission Milei et Villarruel afin de convoquer une assemblée législative qui nommera un président intérimaire en attendant de nouvelles élections convoquées sous peu. Il s’agit d’un texte constitutionnel mis en œuvre en 2001.

 

–La quatrième option bien que très improbable est toujours une situation qui existe dans la situation complexe du pays. Face à la crise profonde à laquelle est confronté l'Argentine et en considérant la dynamique que le président est en train d'injecter à la situation politique et économique, dynamique  qui a empêché de renforcer un bloc de pouvoir réel, certains partis de l'alliance commencent à l'abandonner. Dans ce cas, Milei pourrait essayer de "retomber sur ses pieds" en disant qu'il a cherché le changement et qu'il n'y est pas parvenu, et il pourrait donc tenter une sortie à la Fujimori au Pérou en 1992 en dissolvant le Congrès et en prenant tous les pouvoirs de l’État.

 

Dans cette situation, il ne faut pas oublier les États-Unis. Washington fait tous ses efforts pour contrôler les forces armées et de sécurité. Milei, dans une décision qui lui a été imposée, a mis à la retraite, 23 généraux de l'armée. En Argentine, il y a une tradition : si on nomme le chef de l’un des types de force armée, tous ceux qui sont derrière lui en ancienneté, doivent partir à la retraite. Milei a fait de nouvelles nominations sans savoir ce qui allait arriver parce que personne ne le lui a expliqué. Cela met en évidence son ignorance et son incapacité à gérer les affaires de l’État.

 

Une autre pratique est que les trois sortes de force armée (armée de terre, marine, aviation) aient à tour de rôle la direction de l'État major des forces armées. Maintenant, cela revient à la marine mais Milei a nommé un général de l'armée de l'air et a perturbé ainsi l'ordre décidé et accepté. Tout cela est arrivé parce que l'ambassade des États-Unis a tiré les ficelles pour que cela arrive. Ils savent que Milei peut être provisoire et ils s'accrochent au pouvoir plus permanent des forces armées.

 

Il a nommé un général des forces armées parce que c'est la force la plus proche des États-Unis et qu'on doit très rapidement négocier l'acquisition d'avions de chasse que Washington cherche à vendre bien qu'il y ait des secteurs qui soient plus près d'accepter une offre du Danemark.

 

Les forces armées sont divisées dans le soutien à Milei, il y a des groupes corporatifs, des sectes et des familles toute unies autour de la corruption qu'apportent les grandes ressources destinées à l'acquisition d’armes. C'est dans cette logique que l'ambassade des États-Unis agit.

 

Sur le plan politique, l'ambassade reste dans l'entourage du Gouvernement bien qu'officiellement il n'y a pas eu d'ingérence ni dans les armes ni dans les désignations de fonctionnaires. Cela est dû à l'éloignement de Milei par rapport à Biden et à sa proximité envers Trump. D'autres part, les États-Unis n'ont même pas réussi à pénétrer dans le cercle le plus proche de Milei qui est très fermé, très pro États-Unis, mais très proche de Trump et surtout de son ancien conseiller Steve Bannon, raison pour laquelle la Maison Blanche se méfie de lui et "a peur" de ce qui pourrait arriver.

 

Mais, curieusement, Trump a gardé ses distances envers Milei. Cela l'a beaucoup peiné que lors de sa visite aux États-Unis, dans une réunion obtenue par le lobby sioniste, il ait rencontré et ait été photographié avec l'ancien président Bill Clinton. Dans ce contexte et au-delà de la rhétorique, le Gouvernement Biden, craignant de se voir impliqué dans la forte dégradation politique de Milei, a opté pour lui donner son soutien à travers le FMI.

 

Sur un autre plan, on peut s'attendre à ce que les relations avec la Chine « soient gelées », c’est-à-dire qu'elles ne vont pas être rompues mais ne vont pas avancer non plus. Après avoir reçu les représentants de Taïwan lors d'une cérémonie imprudente, produit de son ignorance, le chancelier, mon non, la chancelière Mondino s'est vu obligé de recevoir l'ambassadeur de Chine, de donner des explications et de renouveler le soutien de l'Argentine à la politique « d'une seule Chine. Cela est arrivé à cause de la pression des patrons qui ont réagi avec une véritable hystérie » face à ce qu'ils ont appelé une erreur monumentale du Gouvernement. Ils ont pris note du fait que les ventes de soie de la Chine au Brésil ont augmenté au détriment de l’Argentine. La même chose s'est produite avec la viande concernant l'Uruguay. Les patrons craignent que le marché chinois se ferme à eux et exercent une forte pression pour que les mesures annoncées par Milei contre Pékin ne soient pas mise en place pour le « bien du pays », c'est-à-dire leur bien propre.

 

Source en espagnol :

https://www.resumenlatinoamericano.org/2024/02/01/argentina-intentando-comprender-a-milei-posibles-escenarios-de-futuro/

URL de cet article :

http://bolivarinfos.over-blog.com/2024/02/argentine-en-cherchant-a-comprendre-milei.html