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Argentine : Milei et l'idée du communisme

2 Février 2024, 19:38pm

Publié par Bolivar Infos

Par Daniel Alvaro*

 

Comme l'ont anticipé Marx et Engels dans les premières lignes du Manifeste Communiste, il y a presque deux siècles, le communisme bouge à la manière d'un fantôme. il apparaît, disparaît et réapparaît. Il ne cesse jamais d'être là. Même surtout dans les moments pendant lesquels il semblait être plus mort que vivant. Aujourd'hui, quand le fantôme du communisme n'est déjà plus reconnu comme une puissance par aucune des puissances qui dominent l'ordre mondial, celui-ci est devenu un objet d'un intérêt théorique nouveau. Le débat contemporain sur « l'idée du communisme »–selon une expression d'Alain Badiou–réunit des intellectuels du monde entier dans des congrès, des revues, des livres et d'autres instances académiques. Il est symptomatique que le débat en question tourne autour de « l'idée », plutôt que de la « pratique » communiste. Cela obéit à diverses raisons. Peut-être la plus évidente est-elle qu'il s'agit d'une discussion éminemment philosophique, ce qui, bien sûr, n'exclut pas les réflexions historiques et politiques.

 

Mais bien, le fait que les analyses en cours sur le communisme aient lieu essentiellement au sein de l'académie, est un indice du lieu retiré qu'il occupe dans le présent. Hors de ces médias spécialisées et des espaces politiques réduits où l'idée communiste continue à inspirer des actions en vue d'une société post-capitaliste, la représentation courante qu'on se fait du communisme oscille entre une antiquité idéologique, qui a fait son temps, et n'apporte plus de nouveautés, et le souvenir effrayant de l'un des grands régimes totalitaire du XXe siècle. L'échec incontestable du « socialisme réellement existant », et de ce qui est dû devenir capitaliste du monde qui a suivi ont contribué à fixer cette double représentation du communisme dans l'imaginaire social. Mais les pensées et les expériences communistes actuelles prennent des formes inédites et ces formes sont radicalement hétérogènes par rapport à l'orthodoxie philosophique et politique qui servait de doctrine aux Etats et aux partis identifié traditionnellement comme communistes.

 

Ce qui est certain, c'est que l'exigence communiste de justice, de liberté et d'égalité survit aujourd'hui dans des gestes éthiques et politiques franchement minoritaires si on les considèrent du point de vue mondial. Le mot même de « communisme » a perdu la force et la centralité qu'il a eu jusqu'à la fin du siècle dernier dans le langage courant de la politique. C'est pour cela même que la situation actuelle ne peut plus surprendre. L’anti-communisme extrême de Milei s’est d'abord reflété  dans ses harangues médiatiques en tant que candidat et maintenant, il se reflète dans ses discours en tant que président de la nation. Cela a au minimum un effet paradoxal. À force d'invoquer le nom d'un fantôme qu'on croyait avoir exorcisé pour toujours depuis la fin de la guerre froide, le fantôme réapparaît au moment où il y a l'endroit où on s'attend le moins. Sa présence spectrale se fait sentir comme symbole d'opposition et de résistance à un projet économique, politique et culturel qui a comme objectif fondamental de favoriser le secteur le plus concentré du capital national et transnational au détriment de l'immense majorité de la population argentine.

 

L'obsession de Milei pour le fantôme du communisme, sa compulsion répétitive à l'identifier comme la cause des mots qui frappent le système capitaliste a collaboré à la remise en circulation d'un terme qui était tombé provisoirement en désuétude. En vérité, peu importe si l’idée que Milei a du communisme correspond à ce que ce mot a toujours été capable de nommer. Dans ce cas, sa conception du communisme est aussi anachronique et inexacte que sa perception du capitalisme de libre marché. Ce qui importe, c'est que son discours réactive un signifiant capable de canaliser le mécontentement croissant de ceux qui, au-delà de leur orientation idéologique ou de leur affiliation à un parti sentent la menace fondée de tout perdre, y compris la possibilité de survivre avec un minimum de dignité.

 

L'appauvrissement et la précarité de larges secteurs de la société sont peut-être les conséquences les plus immédiates et les plus sensibles du plan de gouvernement de Milei, ce qui ne rend pas moins brûlante la violation des droits et des modes de vie d'une multiplicité d'acteurs sociaux, des mouvements de femmes, de la dissidence et de l'altérité, jusqu’aux institutions publiques liées à la science, à l'éducation, à la culture et à la protection de l’environnement.

 

Dans cette situation, il ne serait peut-être pas inutile de rappeler la définition du communisme à la fois simple et puissante que proposait le philosophe et activiste Toni Negri dans une interview récente, peu de temps avant sa mort : « Le communisme est une passion collective, joyeuse, éthique et politique qui lutte contre la trinité, de la propriété, des frontières et du capital. »

 

Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine–Bolivar infos

 

Source en espagnol :

https://www.resumenlatinoamericano.org/2024/02/01/argentina-milei-y-la-idea-del-comunismo/

URL de cet article :

http://bolivarinfos.over-blog.com/2024/02/argentine-milei-et-l-idee-du-communisme.html