Colombie : Crise totale de la paix
Par María Fernanda Barreto
Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine-Bolivar infos
Nous avons beaucoup parlé ces jours-ci de la crise à la table de dialogue entre le Gouvernement colombien et l'Armée de Libération Nationale (ELN) à cause de l’importance de ce processus non seulement pour la Colombie, mais aussi pour toute la région et compte tenu du fait que cette paix n'est pas quelque chose qui peut se signer entre le Gouvernement de service et les groupes insurgés et encore moins avec les groupes délinquants, mais que c'est une construction historique dont l'acteur doit être le peuple colombien, ce qui implique que le peuple doit avoir la possibilité de s'organiser en toute conscience pour défendre ses intérêts, c'est-à-dire, pour devenir le Pouvoir Populaire.
C'est pourquoi l'appel à la « paix totale » du premier Gouvernement progressiste de Colombie a suscité beaucoup d'attentes car on souhaitait que cet appel puisse réellement amener une expression de ce pouvoir et une corrélation des forces suffisamment favorable pour diriger l’Etat et sa transformation.
Mais la table de dialogue s'est trouvée récemment face à une crise plus importante. La réunion extraordinaire entre les délégations du Gouvernement colombien et l'Armée de Libération Nationale qui a eu lieu à Caracas mi-avril s'est achevée sans que n’en sorte la fumée blanche et son unique conclusion a été de prévoir un prochain rendez-vous pour recevoir le document final du Comité National de Participation, condamner l'assassinat du dirigeant social du coordinateur national agraire Narciso Beleño et soutenir le Mexique face à la violation inhabituelle de son ambassade en Équateur.
Après quelques jours, la chef de la délégation de paye du gouvernement et le sénateur, Ivan CPA ont publié une lettre au président président Gustavo Pétro pour surmonter cet obstacle, mais qui a constitué en elle-même une méconnaissance du bureau du Haut Commissaire et ancien chef de la Délégation pour la Paix du Gouvernement, Otty Patiño, dont le rôle actuel est flou. Aujourd’hui, une nouvelle crise survient après l’annonce par l’ELN de la reprise des retenues à des fins économiques.
Mais aujourd'hui des problèmes les plus préoccupants pour la table de dialogue concernent une crise plus organique qui a un impact direct sur la possibilité d'obtenir la paix en Colombie : l'instabilité du Gouvernement, aujourd’hui aux portes d'un coup d'Etat, et qui, en deux ans, n'a pas réussi à avoir un pouvoir suffisant pour gouverner et encore moins pour diriger réellement l'Etat et les transformations structurelles qu'il exige pour surmonter le conflit social et armé.
Une preuve minimale en est l'impossibilité de faire avancer les réformes légales qu'il avait envisagées et qui touchent d’importants intérêts économiques ancrés dans le pays, ainsi que l'impossibilité de respecter ses promesses de campagne, parmi lesquels l'élimination de l'Escadron Mobile Anti-émeutes de la police qu’il a seulement réussi à restructurer et la libération des gamins de la première ligne des soulèvements populaires de 2021. Et bien qu'il ait obtenu un changement difficile dans le bureau du procureur général de la nation, dans une partie des forces militaire et qu'il ait réussi à mettre en place certaines politiques en faveur des intérêts du peuple, il n'a pas pu construire une structure de gouvernement différente. Et par exemple, hier, la Cour constitutionnelle a dit qu’en 2026, le ministère de l'égalité que dirige aujourd'hui, la vice-présidente Francia Marquez qui, évidemment, a été rendue invisible dans la politique nationale, n'existerait plus.
Plus grave encore, à cette hauteur, alors qu'il ne lui reste que deux ans avant la fin de son mandat, le président Pétro lui-même dénonce un coup d'Etat en cours par la voie de l'acharnement judiciaire. Il faut rappeler que Gustavo Pétro sait ce que il dit quand il fait cette déclaration parce qu'une opération de guerre juridique a réussi à le destituer temporairement de la charge de maire de Bogotá, fin 2013.
La possibilité que se coup d'Etat se concrétise et qu'on lui retire la charge de Président de la République et même qu'il soit disqualifié pour d'autres charges est réelle. De plus, le pays se trouve presque exactement à deux ans des prochaines élections présidentielles et le président a confirmé son refus d'utiliser n'importe quelle stratégie légale qui lui permettrait de rester pour un mandat de plus au palais de Nariño.
Que ce soit par une destitution ou par la fin de son mandat, ce qui est sûr, c'est que le Pacte Historique n'a jusqu'à présent aucune proposition pour la tâche difficile de remplacer Pétro, et c'est une grande faiblesse pour le changement historique que réclamaient les protestations et que ce Gouvernement se proposait d’incarner.
Il semble impossible que quelqu'un ait cru naïvement que les transformations structurelles dont le pays a besoin en urgence allaient se concrétiser sur une période de quatre ans. Encore moins quand les grandes mafias des corporations médiatiques en Colombie continuent à bombarder l'opinion publique et que le Gouvernement n'a pas développé de véritable politique de la communication pour les affronter.
Pour en revenir à la table, par exemple, ce qui a été dit ici fait que le Gouvernement passe pour un négociateur faible. il faut se demander comment on pourrait garantir que n'importe quel accord signé aujourd'hui avec l'ELN ou avec n'importe quel autre organisation armée va pouvoir être respecté dans un an, deux ou 10. Si ce qui a été signé en 2016 entre les FARC–EP et Juan Manuel Santos n'a pas été respecté au début par le propre Gouvernement du parti de la U et ensuite a été ignoré par celui d'Ivan Duque, pourquoi pourrait-on penser que ce que signe le Gouvernement actuel pourrait survivre à un retour de l'uribisme à la résidence?
Ici, il faut évaluer l'impact de la situation géopolitique immédiate parce qu’il est hautement probable qu'aux élections de novembre de cette année aux États-Unis, le retour prévisible de Trump à la présidence se concrétise. Cela renforcerait les Gouvernements d’extrême- droite qui se sont installés dans notre Amérique, comme celui de Milei en Argentine, de Buckley au Salvador, de Noboa en Equateur et celui du président récemment élu du panama Mulino, ces deux derniers pays étant frontaliers avec la Colombie. Ainsi que, même si l'actuel Gouvernement réussit à terminer tranquillement cette période, le changement dans la corrélation des forces internationales propulserait le retour de l'Uribisme à la présidence en Colombie et du Bolsonarisme au Brésil en 2026, indépendamment de la personne qui représenterait alors ces doctrines d'extrême droite dans les deux pays.
Dans le même sens, de la même façon que d'autres concessions faites à des partis traditionnels au Gouvernement ont provoqué les plus gros scandales de corruption que l'opposition utilise aujourd'hui contre lui, la malheureuse arrivée de Murillo, en tant que quota de Juan Manuel Santos à la chancellerie de Colombie a marqué un retour en arrière dans la politique étrangère colombienne en embourbant les relations avec le Venezuela.
Mets le plus définitif de tout, c'est que les États-Unis, l'OTAN et le sionisme continuent à avoir le même pouvoir économique et militaire qu'ils ont toujours eu en Colombie et on peut facilement en déduire que le lobby sioniste est en train d'agir actuellement contre Pétro, après sa courageuse décision de rompre les relations diplomatiques et commerciales avec Israël.
L'exécution du projet engagé il y a huit ans avec les États-Unis, sur l'île Gorgone, l'ouverture d'un bureau de la police de New York, à Bogotá, et la présence indéniable de la Colombie dans l'OTAN, en tant que « associé mondial », montre que l'ingérence de ses pouvoirs se maintient. Il est également résident que le pays continue à jouer le triste de base militaire, des États-Unis, la plus grande dans la région au service des intérêts impérialistes, que les transnationales continuent à y connaître des déprédations et, est toujours une enclave du trafic de drogue. En conséquence, le para-militarisme a augmenté et est arrivé dans des endroits dans lesquels il n'avait jamais réussi à entrer jusqu'à présent, avec une nouvelle modalité de relance avec les communauté qui reconfigure son action et rend encore plus complexe la situation dans les territoires.
C'est précisément, là, dans les territoires colombiens que la paix coûte la vie. Où plus de 400 signataires de l'accord de paix entre les FARC.–EP et l'État colombien ont été assassiné depuis 2016, où le processus de génocide contre des dirigeants sociaux, parmi lesquels Beleño, président de la fédération agro-miniaères du sud de Bolivar, assassiné récemment par des paramilitaires, quelques jours après avoir organisé un espace de participation sociale autour de la table de dialogue entre le Gouvernement et l’ELN, se poursuit.
En somme, les milliers de personnes qui ont décidé de répondre à l'appel pour participer à cette table de dialogue, et en particulier ceux qui font partie de ce très intéressant espace de participation qu’est le Comité National de Participation, risquent leur vie parce qu'il n'y a aucune garantie pour la participation sociale quand le paritarisme se multiplie. Même des représentants du Pacte Historique dans les régions ont été assassinés ces derniers mois.
Le renforcement du para-militarisme a également beaucoup à voir avec le fait que jusqu'à présent, il y a eu aucun changement dans la doctrine militaire de la Colombie.
Enfin, la crise actuelle dépasse la table de dialogue entre le Gouvernement et l’ELN. C'est le projet historique de paix en Colombie qui est frappé.
Hier, dans un excellent discours qu’il a fait à Carthagène, dans lequel il a disserté sur les inégalités et l'histoire politique du pays, le président Pétro a dénoncé publiquement le fait que le coup d'Etat contre lui a commencé et a lancé une alerte nationale et internationale en appelant à la mobilisation pour défendre la démocratie en Colombie.
« Il était très difficile que ces pouvoirs mafieux de la corruption, ce que Álvaro Gomez Hurtado a appelé le régime de la corruption en Colombie, habitués au génocide du peuple et habitués à concentrer la richesse nationale, dans leurs propres mains et à la voler, en laissant la faim derrière eux, et en laissant la mort, acceptent que quelqu'un qui n'est pas des leurs, que quelqu'un qui est du peuple, qui a triomphé aux élections proprement avec la majorité populaire, avec le vote de Choco, de Nariño, de Cauca, du littoral Pacifique, avec le vote des quartiers populaires de Bogotá, des ouvriers, avec le vote massif de la jeunesse, avec le vote de notre Caraïbe libertaire, de le laisser gouverner en paix. Ils ne sont pas capables, ils ne sont pas capables d'accepter la démocratie… »
Le président Pétro semble avoir décrit magnifiquement « le fil noir », en évoquant une vérité oubliée par la gauche colombienne qui, malgré cela, a décidé d'accompagner son Gouvernement parce qu'elle le considère comme une grande opportunité historique pour le peuple.
Finalement, il est évident que négocier et être conciliant avec l'oligarchie la plus violente du continent pour essayer de gouverner en lui offrant même des espaces dans le Pouvoir Exécutif ne fonctionne pas.
Dans des moments comme celui-ci, les Gouvernements progressistes ont deux possibilités : ou ils renforcent le Pouvoir Populaire en rendant plus aiguës les contradictions avec les oligarchies et récupèrent la souveraineté des serres de l'impérialisme en assurant les batailles qui viendront ou ils continuent à céder jusqu'au mimétisme aux Gouvernements traditionnels et déçoivent les attentes qui les ont amenés jusque-là.
Pour sa part, le peuple, en tant que sujet historique définitif, décidera s’il pousse et accompagne fermement le Gouvernement dans une radicalisation du changement ou si, au contraire, il se résigne à l'impossibilité de transformer le pays. En dernier recours, il peut aussi opter entre se laisser guider ou aller à l'avant-garde pour défendre le souhait d'une Colombie en paix.
Dans cette situation, Pétro a confirmé la convocation du Pouvoir Constituant, ce qui est encourageant, bien que ce soit encore une proposition peu claire. Invoquer les pouvoirs créateurs du peuple peut-être une avancée et véritablement révolutionnaire qui garantirait non seulement la stabilité du Gouvernement et sa continuité, mais renforcerait, en outre, les transformations qu'exige la paix pour autant qu'il y ait une volonté politique réelle du Gouvernement, et de l'autre côté, une conscience, une capacité d'organisation et une sagesse pour la difficile unité du peuple.
Face à cette grave situation, la seule chose que ne peuvent se permettre ni le peuple colombien ni ses frères voisins est l'indifférence parce qu'elle amènerait avec elle plus et de nouveau scénarios de guerre pour toute Notre Amérique.
Source en espagnol :
https://www.resumenlatinoamericano.org/2024/05/10/colombia-crisis-total-de-la-paz/
URL de cet article :
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