Pensée critique : Les raisons de la haine
Par Enrique Ubieta Gómez.
Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine Bolivar infos
Il y a des évènements dans l'histoire qui bouleversent la conscience sociale. Leur impact, souvent, dépend de l'endroit où il surviennent et de la capacité des victimes à se faire entendre. Nous avons déjà qu’un mort de l'empire « vaut » 100 habitants de n'importe quel « obscur » coin du monde. J’étais à Washington–une université nord-américaine, en coordination avec une de nos institutions, payait ma bourse pour étudier les archives de l'annexionniste José Ignacio Rodriguez à la bibliothèque du Congrès–quand trois avions détournés ont explosé contre les tours jumelles à New York et le Pentagone à Washington.
Le Gouvernement de Cuba, l'un des premiers à condamner se fait et à envoyer ses condoléances à ses homologues des États-Unis et aux familles des victimes, savait par expérience ce que signifie un acte terroriste : parmi les centaines d'attentats à la bombe ou d'attaques furtives dans des villages côtiers de l'île réalisé à partir de vedettes rapides qui partaient de ports de Floride et y retournaient, avec leurs séquelles de morts et de mutilés civils (enfants, femmes, vieux), se détache l'explosion en vol de l'avion, de la Cubana de Aviación et la mort de ses 73 passagers en 1976.
J'ai vécu l’hystérie patriotique que le Gouvernement impopulaire de Bush a fait se déployer en sa faveur. « L'Amérique contre-attaque » était le slogan répété avec insistance par la télévision, comme s'il s'agissait de l’annonce d'un film de guerre intergalactique. « Pourquoi nous analyse-t-il ? » C'est demandé l'empereur devant le Sénat. Et tous les barbares et romains, attendaient anxieusement une réponse. « Parce que nous sommes libres », a-t-il dit, me suis-je souvenu, déconcerté, dans une chronique de la capitale "assaillie". L'empire, en réponse, a ravagé au cours des années successives non pas une mais plusieurs nations du Moyen-Orient et s'est assuré leur pétrole. Les morts de la vengeance, de la reconquête, ne se comptent plus et s'additionnent encore aujourd'hui dans une saga sans fin, tristement réelle. Il a déclaré une guerre sans fin au terrorisme, mais quelques mois plus tard, il a condamné à de lourdes peines de prison 5 Cubains infiltrés dans des groupes terroristes de Miami, qui tentaient de les empêcher de poser des bombes dans des hôtels et des boîtes de nuit de leur pays.
Un jour, j'ai demandé à Andrés Pascal Allende qui était secrétaire général du Mouvement clandestin de la Gauche Révolutionnaire du Chili après le coup d'Etat organisé par les États-Unis qui a renversé le président constitutionnel Salvador Allende et
a imposé le dictateur Augusto Pinochet, un 11 septembre antérieur, presque oublié, si ses guérilléros urbains étaient des terroristes : « Nous nous sommes vus obligés d'utiliser les armes pour nous défendre contre la répression et pour lutter pour ce qui était le droit légitime d'un peuple, s'opposer à une dictature qui avait violé la Constitution, qui s'était imposée par la violence, un régime de domination brutale. En réalité, c'est nous qui avons subi le terrorisme d'un État militaire, qui a torturé, assassiné, fait disparaître des milliers de personnes, qui a obligé des dizaines de milliers de personnes à quitter leur Patrie en divisant les familles, qui a détruit ce qui était la convivialité jusqu'à ce moment-là, un Chili qui était encore une communauté. » C'est l'histoire de nos peuples.
Les Israéliens, comme leurs protecteurs étasuniens, brandissent l'attentat du Hamas (je ne sais pas pourquoi je ne peux m'empêcher de penser à des faits transformés en prétextes historiques : le Maine, Pearl Harbor, les tours jumelles), pour y opposer un rêve de "nettoyage ethnique" du petit territoire encore occupé par les Palestiniens. Lors du récent colloque Patrie, la présentation de la chaîne de télévision pan-arabe Al Mayadeen a atteint le sommet de l'efficacité dans la communication : comme dans une salle de jeux, vous pouviez mettre vos lunettes et entrer dans une "réalité virtuelle" déconcertante et, à l'aide d'une manette sans fil ou d'un petit curseur, vous promener dans les rues d'une Gaza réelle, complètement détruite par les bombes israéliennes. Personne ne vous le dit, vous êtes "témoin" de la souffrance des enfants et des mères palestiniennes, vous les écoutez dans de courtes vidéos que vous pouvez sélectionner librement, puis vous retournez à la désolation de la ville fantôme. À la fin de la "visite", la poitrine serrée et les yeux humides, votre engagement dans la lutte du peuple palestinien était scellé. Mais il ne suffit pas de sentir.
Dans les grands centres du pouvoir et de la communication, personne n'a parlé, personne ne parle des raisons de la haine, ni du double standard appliqué pour juger les actions et les réactions humaines. Les médias occidentaux préparent systématiquement leur public, à de fausses réputations qu'ils construisent avec une minutie et une constance indignes. C'est la première étape de toute guerre : faire penser aux citoyens que la culture de celui qui sera son ennemi demain, (déclaré unilatéralement), est inférieure, sauvage, antidémocratique, fondamentaliste sur le plan religieux ou idéologique. Il existe une industrie de la haine qui reproduit, magnifie toute action défensive et ignore les actions offensives sur les réseaux sociaux, dans les jeux vidéo, à la télévision, au cinéma. Quand l'incident éclate, en général provoqué par le futur agresseur, l'opinion publique est prête à condamner la victime et même souvent à soutenir son extermination.
La réponse des opprimés, apparemment, démesurée et irrationnelle, a une préhistoire, celle de la colonie, de la néo-colonie, celle des guerres de basse et haute intensité, à des milliers de kilomètres du « rêve américain », celle du vol des ressources du pays, celle des coups d'Etat induits et soutenus, celle de l'intervention militaire ou politique et des assassinat sélectifs, tout cela au nom de quelque chose qui n'existe pas, qu'on exige à un endroit et qu'on ignore à un autre, tout cela, au nom des intérêts « nationaux » de la puissance hégémonique. Le récit ne commence pas le jour fatal : la cruauté, l'irrationalité, la haine préméditée des puissants, le précède. Le sionisme a fait de l'exclusion, de la mort et de l'humiliation de millions de Juifs par l’Allemagne nazis et de la Bible, incroyable, paradoxe, des excuses pour l'exclusion pour exclure, tuer et humilié pendant des décennies, des millions de palestiniens et construire un grand Israël qui expulse de la « terre promise », « les autres », qui y ont vécu pendant des siècles. Ce sont, en réalité, les sionistes qui exterminent les Palestiniens qui sont également des sémites, qui sont antisémites.
Il ne suffit pas de rejeter la barbarie devant laquelle des personnes descentes de droite et de gauche peuvent se sentir horrifiées. L'élimination de l'impérialisme qui est transnational et l'élimination du sionisme qui le sert constitue les prémices de la libération du peuple des États-Unis et du peuple juif: nous sommes anti-impérialistes et anti-sionistes parce que nous aimons le peuple des États-Unis et le peuple juif, mais aussi le peuple palestinien et le peuple sahraoui et tout autre peuple opprimé. Parce que nous aimons l'humanité dans sa belle diversité, parce que nous n'admettons pas la thèse pseudo-darwinienne qu'il existe des peuples supérieurs et des peuples inférieurs. Il faut que cet épisode révèle définitivement la nature de l'impérialisme, du sionisme et du fascisme qui réside en eux. C'est la seule façon de commencer à construire l’amour.
Source en espagnol :
https://www.resumenlatinoamericano.org/2024/06/12/cuba-las-razones-del-odio/
URL de cet article :
http://bolivarinfos.over-blog.com/2024/06/pensee-critique-les-raisons-de-la-haine.html