Brésil: Ce qui est en jeu sous le gouvernement de Lula
Par Valerio Arcary
Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine-Bolivar Infos
« Deux gants pour la main gauche ne font pas une paire de gants. Deux demi-vérités ne font pas une vérité. » Eduard Dekker, alias Multatuli (1820/1887), Ideas.
Le Brésil est un pays fascinant, entre autres raisons, pour ses surprenants paradoxes. Les paradoxes sont des contradictions contraires à l'intuition. Entre nous, rien n'est plus évident. Le pays n'a pas de dette extérieure nette, les réserves internationales sont au-dessus de deux ans d'importations et augmentent, le produit intérieur brut (PIB), augmente depuis 2022 d'environ environ 3 % par an, l'inflation frôle les 4 %, au-dessus du centre mais dans les limites prévues, le chômage a diminué, mais est encore au-dessus de 5 % et la situation extérieure est devenue plus favorable avec le signe d'une chute des taux d'intérêt aux États-Unis, qui élimine le danger d'une dévaluation du réal par rapport au dollar. Mais la banque centrale a approuvé à l'unanimité et par conséquent avec l'approbation des directeurs désignés par le gouvernement de Lula, une augmentation de 0,25 % du type SELIC qui a atteint jusqu'à 10,75 %. En 2023, on a dépensé 614 550 000 de réaux en intérêts sur des titres de la dette publique contre 503 000 000 de réaux en 2022. Les intérêts devraient consommer environ 8 % du PIB dans cette dynamique.
Lula a accepté, après un an de lutte publique contre le président de la banque centrale, la ligne de, « mettre le frein » sous la pression du marché financier. En d'autres termes, bien que le plafond de dépenses ait été remplacé par la stratégie du cadre fiscal, le tripode macro-économiques néolibéral reste intact : taux de change flottant, recherche du déficit zéro et objectif d'inflation. Évidemment, ce tournant alimente une déception considérable et une frustration dans la gauche. Mais il ne suffit pas de conclure que la meilleure tactique serait que la gauche se tourne contre Lula. Il n'est pas lucide de conclure qu'il n'y a rien en jeu avec le gouvernement de Lula.
Commençant par le début : dans tout ce qui existe, il y a des contradictions. Dans n'importe quel Gouvernement qui existe, et parce qu'il existe, nous trouvons des conflits internes. Même au Vatican, malgré le dogme catholique disant que le pape est infaillible grâce à l'illumination du Saint Esprit, il y a des conflits sans arrêt. Le problème de l'analyse d’un Gouvernement dans une perspective marxiste, commence avec la qualification de la nature de classe du Gouvernement. Rien n'est plus important parce que la référence à la classe est le Rubicon, c'est-à-dire, le facteur qualitatif qui oriente la position des socialistes entre tous les autres facteurs. Mais ce n'est pas la seule règle. Le caractère de classe n'épuise pas l'analyse parce que il n'est pas certain que tous les Gouvernements bourgeois soient égaux. Au contraire, il y a beaucoup de variétés. Il y a beaucoup de sortes différentes de Gouvernement bourgeois, soutenues par différents blocs sociaux. Il est très rare qu'un Gouvernement ait le soutien consensuel de toutes les différentes factions bourgeoise. Ce qui est prédéterminé, c'est qu'il soit soutenu par des factions contre d’autres.
Le Gouvernement de Lula est un gouvernement bourgeois. Un Gouvernement atypique et même une anomalie par rapport aux critères de domination de la classe dominante, mais bourgeois. C'est un Gouvernement anormal parce que le principal parti de la coalition qui le soutient est le parti des travailleurs et que Lula, le plus grand dirigeant populaire de ces 40 dernières années est à sa tête. La représentation bourgeoise à l'intérieur n'est pas décorative. La fraction qui fait partie du Gouvernement est très représentative et puissante.
Mets la situation est bien différente de celle qui existait il y a 20 ans. Elle est bien pire parce que dans le monde et au Brésil a surgi un mouvement d'extrême droite avec une direction néo-fasciste influant dans la moitié du pays et qui s'appuie sur une relation sociale des forces défavorable aux travailleurs. Ces facteurs expliquent pourquoi il serait incorrect que la gauche radicale s’unisse au Gouvernement de Lula. La discipline gouvernementale demanderait un soutien inconditionnel qui serait indéfendable. Mais ce sont aussi ces facteurs qui expliquent pourquoi ce serait une erreur de s'opposer à ce Gouvernement. Une position dans l'opposition imposerait une critique intransigeante qui serait impardonnable. Il n'est pas possible de «dépasser » le Gouvernement de Lula par la gauche. Face au Gouvernement, l'extrême extrême droite occupe tout l'espace politique.
La partie de la gauche qui défend la participation au Gouvernement utilise deux arguments principaux. Le premier est que le Gouvernement a mené à bien des réformes progressistes : l'augmentation du salaire minimum au-dessus de l'inflation et a réussi à réduire le chômage. Il a stimulé le financement pour l'accès à son propre logement à travers « Ma maison, ma vie », des politiques sociales largement compensatoires comme la Bourse Famille, il a répondu au désastre des inondations dans le Rio Grande du Sud avec un programme de reconstruction d'urgence, il réduit la déforestation dans l'Amazonie et défend une autorité climatique, l'accès garanti des Noirs à l'éducation supérieure grâce à une politique de quotas. Il a stimulé l'extension du réseau fédéral d'éducation supérieure grâce au programme de soutien au plan de restructuration et d'élargissement des universités fédérales, entre autres. Le second argument est qu’il n'a pas été possible d'aller plus loin en un an et demi à cause d'une d'un rapport de forces entre les classes défavorable aux travailleurs.
Ces arguments sont une demie vérité, et, par conséquent, un mensonge, un demi mensonge. Il n'est pas rare que les gouvernements bourgeois, quand ils subissent des pressions à cause de la mobilisation des travailleurs et de leurs alliés face des concessions. Les exemples internationaux sont innombrables. Même au Brésil, un pays dans lequel arracher à la bourgeoisie des droit sociaux a été particulièrement difficile, nous en trouvons des innombrables exemples. Getúlio Vargas a cédé, dans les années 50, à la réglementation du salaire minimum et à la stabilité du travail et a créé Petrobras, parmi d'autres entreprises de stratégiques.
Sarney a été contraint, dans les années 1980, à négocier une échelle mobile des salaires, sous la forme d'un déclencheur, d'abord semestriel, puis trimestriel et enfin mensuel. Y avait-il des gouvernements en conflit ? Méritaient-ils le soutien de la gauche ?
Le second argument est basé sur l'idée commune que Lula n'a pas fait plus jusqu'à présent parce qu'il ne pouvait pas. La relation de pouvoir entre les classes oscille et fluctue en fonction de nombreux facteurs, c'est vrai. L'un de ces facteurs, en fait, l'un des principaux facteurs pour créer la capacité de mobilisation populaire est l'initiative même du Gouvernement. Et la principale préoccupation du Gouvernement de Lula est toute autre. Ça a été, et ça continue à être le maintien de la consultation de la fraction de la classe dominante qui garantit sa gouvernabilité au congrès national. Cette stratégie est insuffisante pour renverser le bolsonarisme qui est le défi central. Le rôle de la gauche combative est de critiquer cette impuissance. Si elle n'est pas corrigée, elle sera fatale au Gouvernement de Lula.
La partie de la gauche radiale qui défend le tournant vers l'opposition utilise deux arguments principaux. Le premier, que le Gouvernement n'a même pas dépassé les limites de la stratégie néolibérale d'ajustement fiscal, par conséquent, même avec la réduction de la pauvreté, il hérite de Temer et même de Bolsonaro une politique économique anti-ouvrière et anti-populaire qui profite aux gros capitalistes. Le second est qui n'est pas possible de lutter contre l'extrême droite sans dénoncer le Gouvernement de Lula, responsable de la crise sociale qui pourrait expliquer l'augmentation de l'audience du bolsonarisme.
Les deux arguments ont une « pointe » de vérité mais son faux. Il n'est pas vrai qu'il n'y ait aucune différence entre le Gouvernement de Lula 3 et les Gouvernements qui ont pris le pouvoir après le coup d'Etat institutionnel de 2016 qui a renversé Dilma Rousseff. Ce n'est pas. C'est une exagération, il y a de nombreuses différences. Il n'est pas non plus juste de conclure qu'on ne peut pas lutter contre Bolsonaro sans lutter contre le Gouvernement de Lula. Au contraire, ce que la vie enseigne, c’et qu'il ne sera pas possible de gagner la lutte contre l’extrême-droite sans le soutien du Gouvernement de Lula.
Il n'est pas que Lula aura son « moment Fidel socialiste. » Il n'est pas douteux que Lula aura son « moment de développement national Chavez». il n'est pas doute non plus que l'aura son « moment réformiste Allende. » Après tout, qu'est-ce qui est alors en jeu ? Ce qui est en jeu, c'est le destin de la lutte contre l’extrême-droite. Dans ce camp, le front unique de gauche est une tactique indispensable pour renverser le bolsonarisme. Sans Lula et le Parti des Travailleurs, il n'est pas non plus possible de penser renverser les néo-fascistes. Ceux qui sous-estiment ce danger n'ont pas encore compris l'extrême gravité de la situation politique dans le monde et au Brésil.
Source en espagnol:
https://www.resumenlatinoamericano.org/2024/09/23/brasil-que-esta-en-juego-en-el-gobierno-lula/
URL de cet article:
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