Venezuela : La vérité infuse dans de petites fioles
Par Alejandro Kirk
Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine–Bolivar infos
À ce jour, le 30 août 2024, le Conseil national électoral du Venezuela n'a pas encore publié sur son site les procès-verbaux finaux des élections du 28 juillet dernier. Cela, naturellement, suscite des doutes chez certaines personnes sur ce processus, comme les présidents de la Colombie, Gustavo Petro, et du Brésil, José Inacio Lula da Silva, qui affirment que seule la publication des procès-verbaux et leur vérification par des « observateurs impartiaux » inconnus pourraient confirmer la légitimité de la victoire du président Nicolás Maduro.
De cette façon, ils remettent en question - et pas exactement de manière élégante - toutes les institutions vénézuéliennes, en ne reconnaissant pas la Cour suprême de justice qui, après avoir vérifié les procès-verbaux physiques des quelque 12 000 000 d'électeurs, a confirmé la victoire de Maduro.
Un pas qui n'a pas été fait, par exemple, par le président du Mexique Andrés Manuel López Obrador, parce que c’est une ingérence grossière, qu'aucun pays souverain n'accepterait. Cependant, les doutes de Lula et Petro - politiques, sous des pressions intenses des États-Unis et de l'Union européenne - ne sont finalement que des doutes. Ils ne proclament des certitude d'aucune sorte.
Au Chili, en revanche, ceux qui doutent sont très peu nombreux. Je parle du secteur politique qui se considère comme de gauche, dans lequel la grande majorité reconnaît être parvenue à des conclusions définitives et exhaustives sur une fraude au Venezuela et le caractère dictatorial de son Gouvernement... sur la base de rien.
L'opposition vénézuélienne, qui dénonce invariablement la fraude lorsqu'elle perd, n'a jamais déposé une seule plainte officielle auprès de l'organisme électoral vénézuélien, un pouvoir autonome de l’État.
Il n'y a même pas pour alléguer la fraude, seulement le "récit". Quelle est l'histoire ? Méthodiquement, on a installé dans la presse hégémonique et sur les réseaux sociaux l’idée que la victoire d'Edmundo González était un fait, qu'il ne pouvait pas perdre. Avec le même fondement qu'aujourd'hui : aucun.
Avec un peu de raisonnement scientifique, ils auraient pu étudier les chiffres avant de donner leur avis : les électeurs inscrits, le taux d'abstention historiques de l'un et de l'autre camp, les tendances électorales depuis 1998 (année de l'élection d'Hugo Chávez), le degré d'organisation et de cohérence de chaque camp, les divisions manifestes dans l'opposition. Tout cela était publié et disponible. Mais ils ne l'ont pas fait : la foi peut détruire les cerveaux.
Parmi les principaux acteurs qui ont abandonné le raisonnement cartésien figurent le président Gabriel Boric, sa ministre porte-parole Camila Vallejo, le président de la Chambre des députés Karol Cariola, le maire de Santiago Irací Hassler, le musicien Horacio Salinas, la sénatrice Isabel Allende (fille du président Salvador Allende), les dirigeants de presque tous les partis au Gouvernement et un cortège d'intellectuels et d'éditorialistes « progressistes » de tout poil, de plus en plus véhéments et indignés.
« Il n'y a pas le moindre doute sur la fraude de Maduro », répètent-ils l'un après l'autre, encore et encore. Ils en ont peut-être besoin, comme les paroissiens, pour réaffirmer en eux-mêmes cette foi inébranlable basée sur rien : ils n'ont vu aucune preuve, ils n'ont pas écouté les observateurs internationaux de leur propre pays, ils n'ont pas lu la sentence du Tribunal, ils n'ont pas analysé les chiffres ni écouté les experts électoraux de l'opposition vénézuélienne elle-même qui avaient anticipé la défaite. Ils ne les connaissent même pas.
Ils n’ont pas non plus de réticences à embrasser chaleureusement dans cette cause les ennemis les plus acharnés de tout type de démocratie, comme la droite chilienne, massivement pinochetiste, qui n'est jamais satisfaite des concessions que le « Gouvernement transformateur » leur offre, parce qu'ils sont habitués à tout avoir. Ils n'hésitent pas à comparer le Venezuela à la « démocratie totale » du Chili et à sa « liberté absolue de la presse », aux « institutions solides », tout cela basé sur la Constitution du dictateur Pinochet qu'ils détestaient et juraient de renverser ana peu.
Ils votent ensemble des résolutions de condamnation et disent tous qu’ils soutiennent résolument le président Boric lorsqu'il associe son nom à celui de gens comme Javier Milei, le président argentin qui liquide l'État et l'industrie ; la putschiste péruvienne Dina Boluarte -responsable de dizaines d'assassinats-, ou l'homme d'affaires président de l’Équateur Daniel Noboa, qui a torché son noble cul avec la convention de Vienne sur l'immunité diplomatique.
Ensuite, leur colère se dirigée vers ceux qui ont des doutes, comme c'est le cas d'une partie du parti communiste, en particulier son président, Lautaro Carmona, les députés Boris Barrera, Lorena Pizarro et Carmen Herz, l'économiste Manuel Riesco ou l'architecte Miguel Lawner.
Ces derniers fondent leurs doutes sur le respect élémentaire des institutions vénézuéliennes - la guerre, c'est autre chose - et sur un raisonnement géopolitique : derrière tout cela, il n'y a ni la démocratie ni la souveraineté du peuple mais le contrôle du pétrole vénézuélien, la plus grande réserve du monde. Et de l'or. Et du coltan. Et plus encore.
Les sans-doute ont oublié la guerre économique que vit le Venezuela, la souffrance causée à des millions de citoyens, et il y a longtemps, ils ont cessé de parler du sujet crucial de notre époque : l’impérialisme.
Ce sujet convient à beaucoup ; il devient la première priorité nationale, il sert à dissimuler la boîte de Pandore qu’entrouvre l’affaire de l'avocat des puissants, Luis Hermosilla - un repenti qui menace aujourd'hui grâce à ses dossiers secrets - qui, après des mois de préparation judiciaire, a montré aux tribunaux la pointe de l'iceberg de la pourriture absolue de tous les domaines du pouvoir et de l'« élite » chilienne.
La « fraude » est également utile pour faire passer à l’arrière-plan la visite de deux généraux étasuniens et la réalisation de diverses manœuvres militaires conjointes, dont certaines dans la province de Tarapacá frontalière avec la Bolivie où se trouvent les principales réserves de lithium du monde. Une menace directe pour la Bolivie, à laquelle la petite-fille de Salvador Allende, la ministre de la Défense Maya Fernández, participe avec enthousiasme dans une pirouette historique pour laquelle il n'y aura pas d'autre retour qu'un coup de soleil.
Et l’affaire du maire communiste de Recoleta, Daniel Jadue, jeté en prison pour des accusations ronflantes de corruption, étayées sur des mesures sanitaires de protection du peuple pendant la pandémie qui, dans le pire des cas, constitueraient à peine des fautes administratives, est encore plus enterré.
Comme dans l'affaire du Venezuela, les accusateurs de Jadue ont allégué qu'ils n'avaient besoin d’aucune preuve pour le mettre en prison : il suffisait que la juge de service soit convaincue de sa culpabilité, et apparemment - selon de nouveaux arguments - elle était déjà « convaincue » depuis longtemps.
Le président Lula, qui doute tant aujourd'hui, a été emprisonné grâce au même présupposé- pas de preuves, seulement des « convictions » - dans ce qui s'est avéré être une conspiration venue des hautes sphères du pouvoir. Cela aurait pu lui apprendre quelque chose, je pense, non ?
Si le Venezuela montre les procès-verbaux, cela ne suffira pas non plus, car ils exigeront alors une intervention externe, hostile et inacceptable. Rien ne suffira, en fait ; les élections ne les intéressent pas. Seuls suffiraient un coup d'État, d'une guerre civile ou l'invasion étrangère que la non-candidate María Corina Machado a ouvertement demandée depuis 2017.
Ce n'est qu'ainsi qu'ils auraient le pétrole.
Source en espagnol:
URL de cet article:
http://bolivarinfos.over-blog.com/2024/09/venezuela-la-verite-infuse-dans-de-petites-fioles.html