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Bolivie : La fin d'une époque ?

29 Décembre 2024, 16:38pm

Publié par Bolivar Infos

 

 

Par Caio Ruvenal,

 

Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine–Bolivar infos

 

Lundi dernier a été officialisée une accusation contre le premier président indigène du pays pour un soi-disant abus sur mineure en 2016, après qu'une enquête déjà menée sans résultat en 2019 été été réouverte : c'est la dernière attaque subie par Morales depuis qu'il a pris ses distances avec l'actuel président, son ancien ministre de l'économie, Luis Arce.

 

Des photos de cette tenue ont été reproduites dans les plus grands médias du monde. La chompa, comme on appelle ce pull en laine en Bolivie, avec ses rayures multicolores, a accompagné Evo Morales lorsqu'il a serré la main de présidents du monde entier lors de sa tournée de 2006, peu avant son investiture à la tête de l'État. Ce vêtement symbolise le processus de changement qui a porté au pouvoir le premier président indigène du pays sud-américain.

 

L'avant et l'après qu'il allait marquer dans l'histoire du pays étaient déjà clairs à l'époque, mais on ne s'attendait pas à ce que, près de 20 ans après le début de son mandat, il soit détrôné de son parti politique et fasse l'objet d'un mandat d'arrêt pour abus présumé sur mineure - l'affaire a fait l'objet d'une enquête sans résultat il y a cinq ans, et a été réouverte il y a trois mois par le bureau du procureur général au milieu d'une confrontation entre Morales et l'actuel président, Luis Arce.

 

La procureur chargée de l’affaire, Sandra Gutiérrez, a officialisé lundi dernier, 16 décembre, une accusation contre Morales, pour le délit présumé de traite de personnes. Depuis le 16 octobre, un mandat d’arrêt pèse sur le dirigeant cultivateur de coca parce parce qu'il n'est pas venu témoigner pendant l’enquête. On a appris que le ministère public demanderait au procès six mois de détention préventive. Les autorités allèguent qu'en 2016, quand Morales était président de la Bolivie, il aurait eu une fille avec une adolescente de 15 ans en échange de faveurs politiques et économiques pour ses parents, également accusés. L'affaire a été ouverte en 2019, après le coup d'Etat contre le Gouvernement de Morales qui a suivi les élections d'octobre, lors desquelles le candidat du MAS était en tête et qui a eu le soutien de la police et de l'armée et s'est achevé par l'investiture de l'opposante Jeanine Añez.

 

L’ enquête n'avait obtenu aucun résultatalors, et a été réouverte il y a trois mois. C'est la dernière attaque subie par Morales depuis qu'il a pris ses distances avec l'actuel président, son ancien ministre de l'économie, Luis Arce, arrivé au Gouvernement en 2020 avec le soutien de Morales. Depuis que cette scission a eu lieu fin 2021, Arce a utilisé toutes les ressources de l'État pour attaquer son adversaire.

 

Tout d'abord, à travers le tribunal constitutionnel, il l’a disqualifié comme candidat à la présidence pour les prochaines élections qui auront lieu en août 2025. Ensuite, il a été dépouillé de son autorité au Mouvement Vers le Socialisme (MAS), le parti qui gouverne le pays depuis 2006 (avec l'interruption du coup d'état de 2019) et qu'à présent, dirige la famille politique de Luis Arce.

 

Miracle bolivien et post-évisme

 

« La politique est en mode post-évisme. Avec la crise économique et politique actuelle, la plupart des Boliviens voit Morales comme une partie du problème et pas comme la solution. Et comme celui-ci n'a montré aucun changement, ni dans ses idées ni dans sa façon d'être, je pense qu'il lui sera très difficile de trouver une voie pour reprendre cette autorité qu'il a eue pendant qu'il était président, », affirme la politologue Cécilia Chacon, ancienne ministre de la défense de’Evo Morales  à présent éloignée de l'ancien président.

 

Malgré des réussites comme la nationalisation des hydrocarbures et la réinsertion des indigènes dans une société dont plus de la moitié des habitants est d'origine indigène, les critiques de Morales l'accusent d'autoritarisme et indiquent comme point d'inflexion l'année 2017, quand Morales a réussi à briguer un quatrième mandat malgré la limitation de mandat de la constitution, grâce à une sentence du tribunal constitutionnel.

 

Morales s'est défendu sur ses réseaux sociaux contre les accusations d'abus en dénonçant le fait qu'il est victime de harcèlement judiciaire et qu'ils « ne respectent pas les principes constitutionnels de présomption d'innocence et de procès convenable. »

 

« Le Gouvernement de Luis Arce s'est engagé à me remettre comme trophée de guerre aux États-Unis, » a écrit l'ancien président sur son compte X. La Maison-Blanche est un objectif constant de diatribes depuis qu'il a expulsé le département anti-drogue des États-Unis (DEA) mais principalement, pour avoir mis fin, avec sa présidence, à la phase néo-libérale du pays géré par le consensus de Washington de 1989.

 

Morales est devenu alors l'un des visages les plus visibles de ce qu'on appelle la marée rose du socialisme dans les 10 premières années du XXIe siècle en Amérique latine, avec Lula au Brésil, les Kirchner en Argentine et Hugo Chavez au Venezuela, entre autres.

 

« Le modèle de développement a cessé d'être basé sur l'ouverture économique et l'ouverture en privé pour donner plus de pouvoirs à l'État et au contrôle de certaines entreprises stratégiques comme celles du gaz et des minerais grâce à l'augmentation des prix internationaux des matières premières, en particulier du gaz et du pétrole, » explique le maître en philosophie politique Oscar Gracia. Il affirme que les 10 ans et demi de gouvernement de Morales -divisés en trois mandats : 2006–2009, 2010–2014 et 2015–2019 - ont été un point d'inflexion dans l’histoire de la Bolivie. Pas seulement à cause de la stabilité économique, ce qu'on appelle le « miracle bolivien », mais pour avoir créé une classe moyenne indigène, traditionnellement marginalisée, et l'avoir introduite dans l'espace public.

 

Crise et inflation

 

«Une série de transformation importante qui ont à  voir avec la nouvelle Constitution et un changement d’imaginaire dans le pays a été faite. Le discours qui prédominait depuis la seconde moitié du XXe siècle, disant que la Bolivie est un pays métis commence à se transformer, et nous commençons à assumer cette condition de plurinationalité qui, à présent, est débattue dans beaucoup de pays, » précise le chercheur de l'université privée bolivienne, Andrés Laguna. Ce calme social et économique est à présent une nostalgie. En novembre, le taux annuel d’inflation de la Bolivie est passé à 9,5 % à cause de la chute des prix du gaz, le principal secteur d’exportation, et de l'épuisement des puits existant par manque d'investissement dans l’exploitation.

 

L'absence de circulation du dollar dans le pays a provoqué la création d'un marché noir du change dans lequel la monnaie des États-Unis peut atteindre le double de son prix officiel. Les banques ont limité les retraits d'argent par mois et la banque internationale JP Morgan, dans son rapport annuel, situe la Bolivie comme le second pays de la région où il y a le plus de risques pour l'investissement privé, juste derrière le Venezuela. L'incertitude est telle qu'elle a fragmenté le soutien indigène originaire paysan, auparavant toujours uni en faveur du MAS, entre l’aile arciste et l'aile éviste. La façon dont ils se répartira aux élections de 2025 est encore une inconnue.

 

Morales a eu un soutien conditionnel des secteurs ruraux de la vallée bolivienne, en particulier des cultivateurs de coca, représentés dans la coordination des six fédérations du tropique de Cochabamba, une organisation qui a stimulé sa carrière syndicale au début des années 90. Le sénateur éviste Leonardo Loza a affirmé que son dirigeant est protégé aujourd'hui « par une barrière communautaire » dans le Chapare, l'une des provinces de cette région qui produit de la feuille de Coca. Mais reste à connaître la position que prendront des mouvement décisifs comme la centrale ouvrière bolivienne (COB), la confédération nationale des femmes paysannes, indigènes, originaire de Bolivie–Bartolina Sisa et surtout l'électorat d’El Alto, une ville aymara épicentre des révoltes sociales qui jouit d'une croissance économique et démographique galopante.

 

Des élections décisives à l’horizon

 

« Le plus probable est que cet électorat [indigène originaire paysan] qui, en 2009, a donné 63 % des voix au M AS seras fragmenté, ce qui est sain pour la structure démocratique.  Une domination aussi importante n'a jamais été démocratiquement très saine. Il est important qu'il puisse y avoir des négociations politiques, » affirme Gracia. Pour Chacon, c’est la stratégie habituelle d’Evo d'introduire les dirigeants des mouvements sociaux dans la structure de l'État qui lui porte préjudice actuellement : « Les représentants des mouvement sociaux se sont habitués aux avantages que leur donne l'État et ont décidé de soutenir le président Luis Arce et pas Evo (…) Depuis 2005, les organisations sociales, plus que partisanes du MAS, sont devenues partisanes du parti au pouvoir, » dit la politologue.

 

D'autre part, l'opposition de droite renforce des alliances pour se présenter comme un bloc uni aux prochaines élections. Le mercredi 18, les anciens présidents Jorge Quiroga et Carlos Mesa ont signé un accord d'unité avec l'ancien gouverneur de la ville de Santa Cruz de la Sierra, Luis Fernando Camacho (en prison pour sa participation présumée au coup d'Etat contre Morales en 2019) et le patron Samuel Doria Medina. « Il ne m'étonnerait pas que des candidats comme Quiroga ou Doria Medina adoptent le discours de Milei ou de Bolsonaro : libertaire, radical et populiste de droite, », déclare Laguna.

 

Ce qui est sûr, c'est que le 17 août 2025, pendant le mois du bicentenaire du pays, des élections d’une importance qui n'a jamais été égalée dans l'histoire récente du pays vont avoir lieu. Il est également certain que, pour la première fois en 20 ans, la photo d'Evo Morales pourrait ne pas être sur les bulletins de vote.

 

Source en espagnol :

https://www.resumenlatinoamericano.org/2024/12/28/bolivia-el-fin-de-una-era/

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