Cuba : 66 ans de résistance et de réflexion sur l'avenir du socialisme
Par Gabriel Vera López
Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine–Bolivar infos
Les célébrations populaires s'étendent à toute l'île. La foule s'est rassemblée dans toutes les rues pour assister au défilé des jeunes qui, pendant des années, ont tenu tête à la dictature. C'était comme un carnaval.
Six longues années de lutte populaire s'étaient écoulées, contre tout réalisme politique, jusqu'à ce que la dictature de Fulgencio Batista soit finalement renversée le 1er janvier 1959. Les événements survenus sur cette petite île des Caraïbes, jusqu'alors pratiquement inconnue du reste du monde, se sont rapidement transformés en un véritable tremblement de terre social, culturel et politique dans le monde entier.
La révolution cubaine est rapidement devenue l'un des évènements les plus importants de l'Amérique latine et des Caraïbes. Toute l'histoire de la seconde partie du XXe siècle sur le continent a été profondément marquée par l'influence de la révolution dans ce petit pays qui a fait que « pour la première fois, le socialisme parlait espagnol »
66 ans après le triomphe de la révolution, ce mercredi 1er janvier, Cuba affronte d'énormes et complexes défis. Assiégée par le blocus étasunien asphyxiant et illégal, le pays traverse des moments de crise difficiles et des années de profondes transformations sociales et économiques tandis que la révolution affronte l'un des défis les plus complexes de son histoire : ne pas devenir une nostalgie du passé, continuer à être contemporaine de sa propre époque.
En ce nouvel anniversaire de l'épopée cubaine, Brasil de Fato a parlé avec trois jeunes de leur vision du présent et de l'avenir de la révolution, ainsi que des défis générationnels en temps de crise.
Le pouvoir de l'apprentissage peut nous faire avancer ».
L'année 2024 a de nouveau été marquée par la crise. « Cette affirmation ne doit pas être prise à la légère », déclare Ernesto Teuma, professeur de théorie politique, qui note que le sentiment que “la crise s'est trop étendue” est largement répandu.
« Je pense que le coût de la crise n'est pas seulement économique et social, dans le sens des transformations qui sont en train de se produire. Elle a aussi été subjective. Nous affrontons une série de questions que nous devons affronter directement. Pouvons-nous continuer à avancer, pourrons-nous en sortir, comme des pires moments du passé ? Sommes-nous réellement devant la pire crise que la révolution ait subie dans son histoire ? »
Loin de tout optimisme irréfléchi, il souligne que, pendant ces années, il y a aussi eu « un résidu, une puissance, un processus d'apprentissage qui pourrait peut-être nous faire avancer. » Il affirme que la révolution affronte les « défi de ses propres réussites. »
« Assumer les défis de la révolution, implique de pouvoir répondre à cette question : « que signifie aujourd'hui le socialisme à Cuba ? Après la réforme économique, après la naissance du secteur privé et des inégalités et au milieu de la crise d'affrontement total, avec la présidence des États-Unis. » »
« Que signifie le socialisme ? Pas seulement pour Cuba mais pour la gauche latino-américaine qui voit encore aujourd'hui Cuba comme un phare et une référence. Pas seulement pour sa résistance mais pour la possibilité d'un développement positif de la révolution elle-même qui trouve des solutions à des défis sans précédent pour nous, mais aussi pour le reste de la gauche qui cherche, au milieu de la crise, une issue. Une issue.. Et qui sait qu'elle existe, mais est encore en train de la chercher. »
Il souligne qu'on ne peut répondre à ces questions avec la certitude du passé. Ce sont les nouvelles générations qui doivent assumer leur engagement historique envers une révolution qui a la capacité de se projeter vers le futur.
« Comme le disait Frantz Fanon, chaque génération doit trouver sa propre mission et l'accomplir ou la trahir. Il y a un défi générationnel dans le socialisme cubain et la révolution cubaine qui implique de parler une langue et de reformuler un ensemble d'idées qui ne se réfèrent pas seulement à la tradition. Elles n'ont rien à voir avec Marti et Fidel mais avec les défis historiques que suppose, précisément, le triomphe des idées de cette génération, le triomphe d’une option radicale pour l'indépendance et la justice sociale présente dans ce siècle. »
Teuma souligne que comme dans tous processus de débat et de rénovation, la recherche de nouvelles questions et de nouvelles réponses est toujours un processus complexe.
« Je pense que ce sera un débat malaisé, précisément, parce que les nouvelles idées ne peuvent pas, ne pas être gênantes, parce qu'elles impliquent de quitter ces lieux dans lesquels nous nous sommes senti à l’aise pendant tellement de temps, des lieux discursifs, des lieux intellectuels, des lieux politiques, et de nous sentir exposés à de nouvelles situations, à des questions pour auxquelles, probablement, nous n'avons pas encore de réponse, mais auxquelles il est impératif de les trouver. »
« Nous luttons parce qu'il y a de l'espoir dans le monde. »
Dans le cadre des profondes de traditions internationalistes de la révolution, une partie de la jeunesse cubaine embrasse le projet révolutionnaire sur l'île comme une extension des luttes mondiales pour un monde sans oppression. Une lutte qui, comme en 1959, doit continuer à échapper à toute la « misère du possible », en luttant contre toute l'adversité du « ce n'est pas possible » et continuer à rêver d'un monde différent.
« Je pense qu'aspirer à une société dans laquelle nous pouvons tous décider à tout moment et où nous pouvons tous avoir le même destin est quelque chose qui me motive particulièrement à sortir et à lutter contre Goliath. Quand je sors pour lutter contre Goliath, tel que nous l'entendons dans le pays, je ne pense pas seulement à Cuba », déclare le jeune mathématicien José Julián Díaz Pérez.
Il souligne que Cuba est le nom d'un chaînon important dans la lutte pour la justice et l'égalité. Des luttes qui se sont développées sur différents territoires et dans différents pays.
« Je pense que le destin de Cuba n'est pas seulement Cuba. Quand Cuba lutte contre Goliath, elle ne lutte pas seulement, pour elle-même, elle lutte pour tous les pays du monde, pour les millions et les millions de personnes qui n'ont pas à manger, pour les millions et les millions de personnes qui n'ont pas l'occasion de décider si elles seront vivantes demain ou non. Je pense que quand nous luttons contre Goliath, nous luttons pour tout cela. Nous luttons pour qu'il y ait dans le monde l’espoir de changer la société pour toujours en faisant que ce ne soit plus le capital le centre du monde, mais la vie humaine. »
« Peut-être que l'avenir de Cuba est en danger aujourd'hui plus que jamais, » déclare l'étudiant. « Et nous ne pouvons pas croire que les temps de Cuba ont été faciles, ils ont toujours été très compliqués. C'est pourquoi, en ce sens, je pense qu'il est nécessaire de procéder à des changements importants. Nous ne pouvons pas penser aujourd'hui à mettre des pansements pour résoudre les problèmes de demain, nous devons penser « Ce que nous faisons aujourd'hui, parce que nos vies sont en jeu, chaque transformation peut signifier l'avenir de Cuba ».
Un peuple qui croit encore à la construction de la révolution
La révolution n'a jamais été égale à elle-même. Chaque époque, avec ses défis, ses certitudes et ses erreurs, a signifié « révolutionner la révolution. » Et toute révolution, pour être véritable, a besoin de la participation active des travailleurs.
Le jeune sociologue Javier Sanchez Rivero souligne que aussi bien la mobilisation du peuple que la participation du peuple sont les clés pour trouver des solutions. C'est pourquoi la grande mobilisation du « peuple en lutte » contre le blocus, en décembre dernier, a été un exemple de la capacité et de la conscience que le peuple cubain a encore.
« Voir cette mobilisation et voir que les gens continuent à répondre à la révolution, surtout en allant marcher, nous remplit d'espoir et nous réactive. Cela te permet de comprendre la stature de ces gens. Comment ces gens, malgré tout le mal qui est en train de se passer, sont encore conscients, veulent encore construire un modèle de société différent de celui du capital et veulent encore rendre possible l'impossible. »
Souligne que « voir ses gens dans les rues, en train de célébrer, de se divertir, mais aussi en train de crier des obscénités à l'adresse de l'ambassade yankee donne la mesure de la stature du peuple cubain. »
« Si nous arrivons à mobiliser cette force, si nous ne la laissons pas de côté, et si nous nous attelons à la tâche de renforcer le socialisme, alors nous aurons une révolution pour longtemps, », affirme-t-il.
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