Amérique latine : Guerre culturelle et pouvoir doux
Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine–Bolivar infos
Même avant la guerre froide, les États-Unis raffinaient leur stratégie de contrôle de l'hémisphère d'un point de vue multiple. Si dans les premières décennies, ils ont eu recours à des interventions militaires ouvertes et au soutien de dictatures, ensuite, les techniques de domination ont demandé des outils plus sophistiqués comme le sabotage économique, la manipulation des médias, une guerre culturelle livrée par des agences comme l'USAID et la NED dont l'influence s’étend à des secteurs stratégiques comme des O.N.G. indigènes, des mouvements environnementalistes et des organisations sportives. Bien que leur spectre d'action aille des communautés rurales aux élites urbaines–toutes transformées en champ de bataille idéologique–, le cas de l'industrie de la musique au Venezuela et à Cuba illustre crûment la façon d'opérer de cette machinerie d’influence.
Raúl Antonio Capote, chercheur cubain spécialisé dans les opérations secrètes de la CIA démonte l'échafaudage grâce auquel, sous le masque de la « promotion de la démocratie », ces agences cherchent à éroder des identités collectives, à coopter des symboles populaires et à réécrire des récits historiques. Alors qu'au Venezuela, le financement de groupes comme Rawayana, glorifié sur les scènes du monde entier, sert à normaliser le discours de l'opposition, à Cuba, des projets comme le soutien à Los Aldeanos en 2000 révèlent comment le pouvoir doux des États-Unis transforme l'art en arme de déstabilisation. La guerre ne se livre plus seulement sur les champs de bataille, elle se livre aussi dans les festivals de rock, dans les textes des chansons et dans les algorithmes des réseaux sociaux.
Avec un budget de presque 1 700 000 000 000 de dollars pour l'Amérique latine en 2023,l’USAID opère en tant que bras financier de la politique étrangère des États-Unis. Sa rhétorique de « droits de l'homme » et « d'assistance humanitaire » cache une histoire sombre qui va du financement de l'opération Condor aux « révolutions de couleur ». Interviewé par Telesur, Capote rappelle que « l'Alliance pour le Progrès dans les années 60 était le grand Plan Marshall destiné à installer des dictatures. » Aujourd'hui, l'objectif est identique : discréditer des Gouvernements non alignés grâce à une guerre multiforme.
La NED, pour sa part, a destiné plus de 2 900 000 000 de dollars à des projets dans la région, beaucoup dans le domaine de la culture. Comme le dit Capote : « ce n'est pas de la philanthropie : c'est de l'ingénierie sociale. » Le Venezuela, où les deux agences ont investi dans des festivals de rock et dans des « nouveaux groupes » comme l'ont révélé des documents obtenus grâce à la loi sur la liberté de l'information en 2011, en est un exemple typique. Le cas de Rawayana, un groupe primé aux Grammy et lié à des individus comme Maria Corina Machado, montre comment l'art est instrumentalisé.
La guerre culturelle : musique, réseaux, sociaux et jeunesse
Capote insiste sur le fait que « un groupe musical avec des milliers d’admirateurs est aussi stratégique qu’un char d'assaut. » A Cuba, la CIA a infiltré le rap et la musique urbaine dans les années 2000 en encourageant des artistes comme Los Aldeanos, financés par la NED, pour semer des récits contre-révolutionnaires. Au Venezuela, ce manuel se répète quand l'USAID patronne des festivals comme le festival des nouveaux groupes dans lequel le rock alternatif sert de véhicule à des messages anti-politiques.
Le chercheur cubain précise que ils ne choisissent pas les plus talentueux, mais les plus utiles. Ils leur offre la renommée international si ils deviennent des haut-parleurs. » Cela explique pourquoi des personnalités du sport et de la musique sont tentées par des contrats dans des ligues ou des labels étrangers qui critiquent toujours leur Gouvernement. Nicolas Maduro a dénoncé ces liens mais les dommages sont profonds : quand une idole des jeunes rend le discours de la « dictature » normal, la déstabilisation gagne du terrain.
La décision de Trump de soumettre l'USAID au département d'État avec Marco Rubio comme administrateur par intérim, n'est pas due au hasard. Capote prévient qu'il cherche à en faire un appareil plus efficace et aligné sur le trumpisme. » Le but est de recycler une agence accusée de corruption et d'absence de transparence (elle gère 22 000 000 000 de dollars par an globalement) pour aggraver la guerre hybride.
Rubio, architecte des sanctions contre Venezuela, tire maintenant les ficelles de « l'aide extérieure. » Sous son mandat, les fonds destinés à « promouvoir la démocratie » (un code pour dire déstabiliser) vont augmenter: en 2023, 4 147 000 000 ont été destinés à ce secteur en Amérique latine. La logique est perverse, mais connue : asphyxier économiquement un pays, rendre son Gouvernement responsable de la crise et ensuite, proposer des « solutions », grâce à des O.N.G. et à des artistes financés par Washington.
La guerre culturelle menée par l'USAID est un projet dont on a des preuves. Il a ses racines dans des laboratoires de la CIA qui ont étudié les tactiques nazies de manipulation des masses. Comme l'affirme Capote, « c'est une machine à créer des réalité fictive : Gouvernements autoritaires contre sauveurs démocratiques. »
L'Amérique latine affronte aujourd'hui le défi de démasquer, le pouvoir, d'où qui transforme des chansons en propagande et des artistes en mercenaire. La bataille n'est plus seulement économique ou militaire, elle est symbolique. Comme l’a enseigné Ali Primera, seul vaincra celui qui arrivera à ce que les mots–et les guitares–ne se vendent pas.
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