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Amérique latine : La politique incohérente de Trump envers l'Amérique latine

22 Mars 2025, 15:20pm

Publié par Bolivar Infos

 

 

Par Steve Ellner, Rebelion

 

Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine–Bolivar infos

 

Sous son premier mandat, le président Donald Trump a mené à bien une campagne de « pression maximale » contre les soi-disant adversaires des États-Unis en Amérique latine et dans d'autres régions. Parmi ces mesures de ligne dure, il a imposé de sévères sanctions au Venezuela, ce qui, ironiquement, a provoqué un exode massif de Vénézuéliens vers les États-Unis et est revenu sur le rapprochement de l’ancien président Barack Obama avec Cuba.

 

Mais Trump est-il tellement engagé en ce moment à combattre le communisme en Amérique latine, c’est-à-dire au Venezuela, à Cuba et au Nicaragua ? La réponse est incertaine.

 

Ses récentes menaces contre le Panama, le Canada et le Groenland, ainsi que son affrontement avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky ont détourné l'attention des « véritables ennemis, » comme les appelle habituellement Washington. Dans ce contexte, les actions de politique étrangère de Trump pendant les deux premiers mois, 200 secondes, mandat contraste, avec celle qui l'a menée à bien pendant son premier gouvernement, quand le le « changement de régime » était l’objectif manifeste.

 

Dans son discours du 4 mars, devant le congrès, Trump n'a mentionné ni Nicolas Maduro ni Miguel Diaz-Canel ni Daniel Ortega, marquant une différence avec sa rhétorique précédente.

 

On ne sait même pas s'il mettra en pratique des sanctions internationales, comme il l'a fait avec le Venezuela et Cuba lors de son premier mandat. Il a indiqué que l'utilisation de « droits de douane en tant que châtiment » pourrait être une alternative préférable puisque, selon une source proche, le président « craint que les sanctions internationales  n’éloignent les pays du dollar étasunien. »

 

À la différence de ses positions fermes dans des domaines comme l'immigration, le droit des personnes trans et la politique fiscale, son point de vue sur l'Amérique latine est marqué par des hésitations et des incertitudes, reflets de son utilisation croissante de tactiques transnationales dans sa politique étrangère. Les anti-communistes de ligne dure aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du parti républicain ne voient pas cela d'un bon œil.

 

Le pendule vénézuélien

 

Le Venezuela est un bon exemple de cette incohérence. L'opposition dirigée par Maria Corina Machado avait des raisons d'être optimiste après la victoire de Trump, en novembre, et son choix de Marco Rubio, un faucon, en ce qui concerne les problèmes latinos-américains, comme secrétaire d’État.

 

« Malheureusement, le Venezuela est gouverné par une organisation de trafic de drogue, » a déclaré Roubio lors de son audience de confirmation, pendant laquelle il a été confirmé à l'unanimité. Ensuite, il a critiqué le Gouvernement Biden pour avoir été « trompé » en négociant avec Maduro, fin 2022, et pour avoir accordé une licence à Chevron qui « fournit des milliers de millions de dollars au coffre du régime. » Il a aussi lancé un avertissement inquiétant à Cuba: « Le moment de vérité approche,Cuba s'est littéralement effondrée. »

 

Les évènements, Syrie ont encore plus encouragé la droite vénézuélienne. À peine quelques jours avant l'investiture de Trump, Machado, déclaré au Financial Times :« Ne pensez-vous pas que [les généraux qui soutiennent Maduro] se regardent dans le miroir et voient les généraux qu'Assad a laissés derrière lui ? »

 

Mais tout a changé avec la rencontre amicale entre l’envoyé spéciale de Trump, Richard Grenell et Maduro, fin janvier. Lors de cette réunion, Maduro a accepté de libérer six prisonniers étasuniens et de faciliter le retour des immigrés vénézuéliens des États-Unis. Quelques jours après, la licence accordée par Biden à Chevron, pour l'exploitation du pétrole vénézuélien a été renouvelée, ce qui représente un quart de la production totale de brut du pays. En même temps, Grenell a affirmé que Trump « ne cherche pas de changement dans le régime [de Maduro]. »

 

Pour aggraver encore la situation, le département de la sécurité nationale a annoncé l'annulation de l'extension du statut de protection temporaire (TPS) accordé par Biden a un peu plus de 300 000 immigrés vénézuéliens, sous prétexte qu'il avait « des améliorations significatives dans des domaines comme l'économie, la santé publique et le crime qui permettent le retour sûr de ces citoyens dans leur pays d'origine. »

 

Ces retournements n'ont pas été bien reçus par les secteurs les plus radicaux de Miami et par l'opposition vénézuélienne. Le célèbre journaliste du Miami Herald, Andrès Oppenheimer, l’a exprimé fermement : " La poignée de main entre Grenell et Maduro est tombée comme une giclée d'eau froide sur beaucoup de secteurs de l'opposition vénézuélienne… Elle a donné une légitimité au Gouvernement de Maduro. » Il a ajouté que, bien que le Gouvernement Trump ait nié être arrivé à un accord avec Maduro, « il y a eu beaucoup de suspicions et celles-ci ne se dissiperont pas jusqu'à ce que Trump éclaircisse la situation. »

 

Après le voyage de Grenell au Venezuela, le problème du renouvellement de la licence de Chevron a pris un tour inattendu. Lors de la vidéo conférence du 26 février, Donald Trump junior a annoncé à Maria Corina Machado que, à peine une heure auparavant, son père avait tweeté que la licence de Chevron ne serait pas renouvelée. Après un éclat de rire, Machado, visiblement satisfaite, a adressé quelques mots à Trump père : « Écoutez, Monsieur le Président, le Venezuela est la meilleure opportunité de ce continent pour vous, pour le peuple des Etats-Unis et pour notre continent tout entier ». Machado a semblé essayer de reproduire l'accord entre Zelensky et Trump sur les ressources minérales de l'Ukraine.

 

Pendant ce temps, Mauricio Claver-Carone, envoyé spécial du département d'État pour l'Amérique latine, disait à Oppenheimer que la licence de Chevron était « permanente », et se renouvelait automatiquement tous les six mois. Mais, à peine une semaine plus tard, Trump a changé à nouveau de position. Axios a fait savoir que sa dernière décision était due aux pressions de trois membres républicains de Floride du Congrès qui menaçaient de ne pas donner leur voix au budget présenté par Trump au Congrès. Selon des sources proches, Trump aurait admis en privé : « ils sont fous mais j'ai besoin de leurs voix. »

 

Les tensions internes

 

Les menaces de Trump envers les dirigeants mondiaux suivent la stratégie décrite dans son livre "L'art de la négociation » (1987). Pour certains de ses fidèles, cette stratégie fonctionne à la perfection. Son point de vue peut se résumer ainsi : « attaquer et négocier. », Il a écrit : « Mon style de négociation est assez simple. » « Je vise très haut, et ensuite je fais pression et je fais pression… jusqu'à obtenir ce que je cherche. »

 

C'est précisément ce qui s'est passé quand Trump a annoncé ses plans pour récupérer le canal de Panama. Cela a amené une entreprise de Hong Kong à révéler son intention de vendre l'exploitation de deux ports panaméens à un consortium qui comprend Blackrock. Il n'est pas surprenant que Trump se soit attribué cet accord.

 

Il s'est passé la même chose avec la Colombie où le président Gustavo Pétro a accepté les vols de déportation des États-Unis pour éviter des représailles commerciales. Pour des raisons similaires, la présidente mexicaine, Claudia Sheinbaum, a déployé 10 000 soldats sur la frontière nord pour freiner les passages illégaux, et ensuite, le 6 mars, a demandé à Trump au téléphone : « Comment pouvons-nous continuer à collaborer si les États-Unis prennent des mesures qui portent préjudice au peuple mexicain ? » En réponse, Trump a suspendu temporairement l'application des droits de douane de 25 % sur les produits mexicains.

 

Dans "L'art de la négociation », Trump se vante de sa stratégie destinée à tromper, comme quand il déclarait devant la commission des licences du New Jersey qu'il était « plus que prêt à se retirer d'Atlantic City si le processus de régulation était trop difficile ou trop lent. » De la même manière, il a affirmé à plusieurs occasions que les États-Unis n'avaient pas besoin du pétrole vénézuélien. Mais la volatilité du marché mondial du pétrole et la possibilité que d'autres pays accèdent aux vastes réserves du Venezuela sont source de grandes inquiétudes pour Washington.

 

L'application du point de vue de "L'art de la négociation » à la politique étrangère montre le pragmatisme de Trump. Le Gouvernement de Maduro et certains secteurs de gauche voient d'un bon œil ce pragmatisme puisqu'il laisse ouverte la possibilité de concessions de la part du Venezuela en échange de la levée de certaines sanctions. Des porte-parole du Gouvernement vénézuélien accordent à Trump, au moins publiquement, le bénéfice du doute en attribuant l'annulation de la licence de Chevron et d'autres décisions hostiles aux pressions de l'extrême droite de Miami.

 

Selon le Wall Street Journal, plusieurs patrons étasuniens qui se sont rendus à Caracas, et « ont rencontré Maduro et son cercle proche ont signalé que les Vénézuéliens étaient convaincus que Trump… aurait avec Maduro les mêmes relations que celles qu'il a eues avec les dirigeants de Corée-du-Nord et de Russie. »

 

Mais cette optimisme ne prend pas en considération les courants opposés à l'intérieur du trumpisme. Même si les convergence sont plus importantes que les différences, les priorités à l'intérieur du mouvement MAGA se heurtent souvent. D'un côté, le populisme de droite met en avant le problème de l'immigration, l’anti-Wokisme et l'opposition à l'aide à l'étranger, tout cela conçu pour attirer des soutiens au-delà de la base traditionnelle des classes supérieures et moyennes du Parti républicain. D’autre part, l’extrême droite conventionnelle exige rien de moins qu’un changement de régime et des actions de déstabilisation contre le Venezuela et Cuba (actions auxquelles les « populistes » ne s’opposent pas). Les faucons de l’extrême droite définissent ces trois Gouvernements comme « gauchistes » et, selon les mots récents de Rubio, « ennemis de l’humanité. »

 

La décision de Maduro de collaborer au rapatriement des immigrés vénézuéliens en échange du renouvellement de la licence de Chevron illustre les priorités contradictoires du trumpisme. Pour l’extrême-droite anti-gauche, ce soi-disant accord a été une « trahison » des principes de la part de Washington, alors que pour les populistes de droite, ça a été une victoire pour Trump, en particulier, en considérant l'ampleur de la population immigrante du Venezuela.

 

De la même façon, la réduction drastique de l'aide à l'étranger a provoqué des tensions dans le trumpisme. Dans son récent discours devant le Congrès, Trump a dénoncé l'attribution de 8 000 000 de dollars à un programme LGBTQ+ dans un pays africain « dont personne n'a jamais entendu parler » ainsi que d'autres soi-disant programmes progressistes. Même le sénateur de ligne dure de Floride Rick Scott  a remis en question l'efficacité de l'aide à l'étranger en affirmant : « Voyons : le régime de Castro contrôle toujours Cuba, le Venezuela vient de voler d'autres élections, Ortega s'est renforcé au Nicaragua. » La déclaration de Scott reflète la pensée transnationale de Trump concernant l'opposition vénézuélienne : trop de dollars destinés à des tentatives ratées de changement de régime.

 

Le défenseur des faucons, Oppenheimer, a publié un article d'opinion dans le Miami Herald intitulé « Les coupes de Trump à l'aide à l'étranger sont une bénédiction pour les dictateurs en Chine, au Venezuela et à Cuba. »

 

Le problème de l'aide des États-Unis a également provoqué des affrontements internes à partir d'une source inattendue : l'opposition vénézuélienne de droite elle-même. La journaliste d'investigation Patricia Poleo, résidant à Miami et opposante de longue date à Hugo Chávez et à Maduro, a accusé Juan Guaidó et son Gouvernement par intérim de s’être approprié des millions, sinon des milliers de millions attribuées par le Gouvernement des États-Unis à l'opposition vénézuélienne. Poleo, à présent citoyenne étasunienne, affirme que le FBI est en train d'enquêter sur Guaidó pour malversations de fonds.

 

On ne peut pas sous-estimer l'influence de la composante anti-gauche du trumpisme. Trump est devenu la principale inspiration de ce qu'on a appelé la nouvelle « international réactionnaire » engager dans le combat contre la gauche dans le monde entier. De plus, les faucons qui ont manifesté un intérêt extrême pour le renversement du Gouvernement de Maduro (une aspiration des populistes de la droite également) - même Rubio, Elon Musk, Claver–Carone et le conseiller à la sécurité nationale, Michael Walt -  font partie du cercle des conseillers de Trump.

 

Il n'est pas étonnant que, pendant la phase de lune de miel de la présidence de Trump, une liste de souhaits populistes ait reçu une attention considérable. Mais l'annexion du canal de Panama, du Canada du Groenland est aussi irréalisable que la transformation de Gaza en « Riviera du Moyen-Orient ».

Son schéma de droits de douanes n'est pas en reste. De plus, si le recours à l'intimidation lui a permis d'obtenir des concessions, l'efficacité de cette tactique de négociation est limitée : les menaces perdent de leur force lorsqu'elles sont répétées à l'infini. Enfin, les promesses non tenues de Trump de réduire le prix des denrées alimentaires et de réaliser d'autres exploits économiques augmenteront inévitablement les désillusions de ses partisans.

 

Trump déteste perdre et, face à la chute de sa popularité, il est probable qu'il opte pour des objectifs plus réalistes qui auront le soutien des deux partis et des médias commerciaux. Dans ce contexte, les trois Gouvernements de l’hémisphère perçus comme des adversaires des États-Unis se profilent comme les cibles les plus probable. Faute de troupes des États-Unis sur le terrain, une mesure qui n'aurait pas le soutien du peuple, on ne peut écarter une action militaire ou non militaire contre le Venezuela, Cuba ou le Nicaragua ou peut-être contre le Venezuela, Cuba et le Nicaragua.

 

Source en espagnol :

https://www.resumenlatinoamericano.org/2025/03/20/estados-unidos-la-politica-inconsistente-de-trump-hacia-america-latina/

URL de cet article :

https://bolivarinfos.over-blog.com/2025/03/amerique-latine-la-politique-incoherente-de-trump-envers-l-amerique-latine.html