Amérique latine : Le changement de secrétaire changera-t-il quelque chose au ministère des colonies ?
Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine–Bolivar infos
Le 4 février 1962, en réponse à l'expulsion de Cuba de l'Organisation des Etats Américains (OEA), Fidel Castro, devant 1 million et demi de Cubains, qualifiait cette organisation de « ministère des colonies » des États-Unis.
Le texte contenu dans la seconde déclaration. De la dit : « L’OEA s’est montrée telle qu'elle est : un ministère des colonies yankee, une alliance militaire, un appareil de répression du mouvement de libération des peuples latino-américains. »
Ce lundi 10 mars, on élira un nouveau secrétaire général de l'Organisation des Etats Américains (OEA) pour remplacer Luis Almagro. Le seul candidat à cette charge est Albert Ramdin, ministre des affaires étrangères du Suriname depuis 2020, qui a déjà été secrétaire général adjoint de l'organisme de 2005 à 2015.
La question que beaucoup se posent, après les 10 années dirigées par l'ancien chancelier de l'Uruguay, est de savoir si quelque chose changera dans l’essence de l'organisme avec le remplacement de son secrétaire général.
Le changement de secrétaire général
L'élection de Ramdin est, en principe, assurée, après le retrait de la candidature du chancelier actuel du Paraguay, Ruben Ramirez Lescano, qui représente les positions de la droite dure, en particulier en ce qui concerne le Venezuela, Cuba et le Nicaragua.
Ramdin devrait avoir les voix de 22 pays membres, ce qu'il y assure son élection pour laquelle, il faut avoir une majorité simple de 18 voix.
Sa candidature a été soutenue par les 14 membres du CARICOM auxquels se sont joints dans une récente déclaration de soutien le Brésil, la Bolivie, le Chili, l'Uruguay et la Colombie. Les Gouvernements de la République Dominicaine, du Costa Rica et de l’Equateur ont exprimé leur soutien postérieurement. Les États-Unis et le Canada n'ont pas encore annoncé leur vote.
Il faut souligner que le schéma de soi-disant 34 pays membres est illégal, pour ne pas dire faux, puisque, au-delà du retrait du Nicaragua de l'organisation en avril 2022, le Venezuela, qui a concrétisé son départ souverain en 2019 et Cuba qui, malgré une ouverture sous conditions à sa « réadmission » en 2009 ne participe pas à l'organisme, sont toujours comptabilisés comme membres.
Almagro, 10 ans d'alignement impérialiste
Les 10 années d'administration de Luis Almagro à la tête de l'organisme ont été caractérisées par une attitude d'agression flagrante à l'égard des Gouvernements du Venezuela, du Nicaragua et de Cuba.
Proposé par le Gouvernement uruguayen pour occuper cette charge, Almagro a été élu en mars 2015 à la quasi-unanimité des 33 pays membres, à l'exception de l'abstention du Guyana, ce qui réduirait sa réélection en 2020 à 23 voix.
Au cours de cette décennie, Almagro a adhéré sans réserve aux positions étasuniennes, adoptant une attitude agressive à l'égard des Gouvernements de gauche de la région. La Révolution Bolivarienne a été sa cible privilégiée, et il même soutenu la légitimité d'une intervention armée contre le pays, contraire, du moins en théorie, aux principes mêmes de l'organisation. Cette position a valu à l'Uruguayen d'être exclu du Front Large uruguayen en 2018.
Il a aussi été la clé de l'interventionnisme de l'OEA dans les élections de 2019 en Bolivie, avant le coup d'Etat, en remettant en question dans son rapport « l'intégrité des résultats. » Almagro, a alors appelé ouvertement à annuler les élections et à en organiser de nouvelles.
En ce qui concerne l'Équateur et son virage politique à droite, Adoración Guamán et Carola Íñiguez écrivent dans un article: « Almagro s'arroge la représentation de l'organisation de manière autonome par rapport à ses organes et en dépassant les limites de ses fonctions et de ses attributions, et à cette fin, il est même allé jusqu'à faire pression sur les organes du système interaméricain des droits de l’homme pour protéger les Gouvernements de l'Équateur, aussi bien pendant le mandat de Lenín Moreno que pendant le mandat de Guillermo Lasso ».
Dans un autre chapitre du livre « L’OEA à l'époque d’Almagro », Tamara Lajtman et Aníbal García Fernández dénoncent « l’indéniable sélectivité au moment de dénoncer les violations des droits de l'homme et dans l'application de la Charte Démocratique Interaméricaine à certains pays, associée à un soutien délibéré à certains Gouvernements ». En particulier, ils évoquent le fait que l’institution accuse le Venezuela et Cuba d’être les instigateurs présumés d'un « modèle de déstabilisation », dans le feu de l'intense protestation sociale déclenchée en 2019 et en 2020 en Colombie, en Équateur et au Chili.
Quelque chose changera-t-il avec Ramdin?
Répondre à cette question, demande au niveau de scepticisme.
L'OEA, fondée à Bogota en 1948 à l'initiative des États-Unis, a été conçue dans le cadre de l'intention de ce pays de contenir la propagation du communisme et des idées égalitaires sur le continent. Parallèlement, l'organisation a depuis lors contribué à institutionnaliser la doctrine Monroe dans la région - appelée « hémisphère » dans le jargon de l'organisation et du département d'État - dans le but de renforcer son influence unique et de s'arroger le rôle de soi-disant garant de la démocratie, des droits de l'homme et, bien entendu, de défenseur suprême du libéralisme économique et de la propriété privée.
Selon la politologue argentine Silvina Romano, coordinatrice du livre dont on a parlé, dès le début, « l'OEA n'a pas caché sa tendance à s'aligner sur les prémices de sécurité et de politique économique préconisées par les Etats-Unis. »
De sorte que le changement de son secrétaire général ne signifie jamais la modification structurelle de cet objectif stratégique, puisque les fonctionnaires qui occupé cette charge en fidèlement jouer leur rôle de gérant de ces modèles de relations diplomatiques asymétriques. Le financement de l'OEA dépend dans une grande mesure du quota qu’apportent les États-Unis, actuellement très proche de 50 %, et cela a été fondamental.
Dans les 10 premières années du nouveau siècle, face à l'implosion des schémas néolibéraux et à la prolifération de Gouvernements de gauche ou de centre gauche, l'OEA a dû revoir un profil de secrétaire général soi-disant plus disposé au dialogue et plus présentable pour la gauche et a choisi des fonctionnaires comme Miguel Insulza, du parti socialiste chilien ou Luis Almagro, qui avait été chancelier de José « Pepe » Mujica du Front Large.
Mets cette tactique s'est révélée rapidement essentiellement publicitaire et n'a pas réussi à éviter la construction d'instances d'intégration souveraine comme l’UNASUR et la Communauté des Etats Latino-américains et Caribéens (CELAC). cette dernière, en particulier, à laquelle ne participe ni les États-Unis, ni le Canada, a été un sévère défi pour la prétention de l'OEA à être l'organe directeur de la diplomatie régionale. Au cours de cette période, ses opinions, ses conceptions et ses politiques en matière de démocratie et de droits de l'homme ont montré son déclin et son éloignement de la plurinationalité et du désir d'émancipation définitive qui existent réellement dans la région.
Dans ce cadre de perte de crédibilité de l'organisation concernant sa neutralité et sa fiabilité, accentuée encore plus par la gestion d'Almagro, l'élection d’Albert Ramdin indique en principe, une nouvelle tentative de « lavage de figure. »
Concernant la gestion en soi, les intentions géostratégiques du Gouvernement des États-Unis face à la perte relative d'influence dans le monde de l'autre puissance unipolaire dans la sphère mondiale, indique clairement une nouvelle adaptation aux circonstances de la doctrine Monroe bicentenaire.
Dans ce cas, le thème de « l'Amérique aux Américains » sera réinterprété comme une dénonciation de la déjà intense insertion économique et technologique de la Chine et des relations de l'Amérique latine et des Caraïbes avec la Russie et au-delà, sera destinée à couper la participation du continent au projet de la bande et de la route, son incorporation aux BRICS, et surtout, l'abandon du dollar comme monnaie de référence dans les échange commerciaux.
Mais on peut supposer que le nouveau secrétaire général placera certains schémas comme celui de provoquer un certain dialogue inter-régional en s'appuyant surtout sur ses bonnes relations avec les nations anglophones des Caraïbes et sur le soutien qu'il a obtenu de l'aile des Gouvernements de centre gauche non révolutionnaire.
Il est probable aussi que, pendant cette période, on cherchera, encore une fois, à « relancer », l'influence de l'OEA, avec un secrétaire général au profil faisant soi-disant contrepoids à l'attitude agressive de président actuel des États-Unis, Donald Trump, ce qui, dans un scénario film, pourrait être représenté par les personnages du « gentil policier et méchant policier. »
Un film qu'on a déjà vu souvent, et qui devrait être un motif de méfiance initiale pour les peuples d’Amérique latine et des Caraïbes, au-delà de leur proverbiale tendance à l’espoir et d’une certaine naïveté positive. Au moins jusqu’à ce que les événements parlent d’eux-mêmes.
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