Mexique: Découverte d’un camp de concentration et d'extermination à Jalisco
Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine–Bolivar infos
La découverte du camp d'extermination au ranch Izaguirre à Teuchitlán, Jalisco, le 5 mars 2025, est un exemple de la cruauté et de l'atrocité normalisées, institutionnalisées et dissimulées au Mexique. Les images et les témoignages ne peuvent être assimilés qu'aux plus terribles histoires de génocides dans le monde.
La description des actes brutaux et inhumains commis pendant au moins treize ans à cet endroit rend compte d'une longue liste de crimes commis au quotidien. L'action négligente des autorités de Jalisco et des autorités fédérales montre plus qu'une omission. Le ranch avait déjà été identifié par les autorités en 2017 à la suite du récit d'un survivant. En septembre 2024, des agents de la Garde nationale ont mené une opération à Teuchitlán et ont arrêté dix hommes portant des armes devant être exclusivement utilisées par les forces armées. À aucun de ces deux moments, une enquête n'a été ouverte par le bureau du procureur de Jalisco ou par le procureur général de la République. Même après les dernières découvertes concernant le camp d'extermination, le bureau du procureur de l'état de Jalisco n'a fourni aucun rapport sur cette découverte, ce qui est extrêmement grave et finit par les impliquer dans cette longue chaîne d'exécution de crimes graves et inhumains.
À cause de la gravité des crimes exécutés dans le ranch Izaguirre, nous sommes confrontés à plusieurs types de génocides et de crimes contre l'humanité. L'intention n'est pas de commettre un génocide pour le commettre, mais de faire du profit, d'exploiter, d'abuser, de soumettre, de contrôler et de dénigrer les corps à des fins économiques et de pouvoir.
Nous sommes confrontés à un « génocide par massacre » parce qu'ils ont donné la mort à plus d'une ou deux personnes. Au vu des témoignages de survivants et des caractéristiques des crématoriums trouvés, on pense que des milliers de personnes ont été exécutées, et au vu des indices révélés par les vidéos de Guerriers Chercheurs, que ces exécutions ont dû être réalisés de la façon les plus atroce. Les auteurs directs probables (en l'occurrence le cartel Jalisco Nouvelle Génération) ont délibérément décidé de prendre la vie de ces personnes à des fins économiques et de renforcement de leur structure paramilitaire.
Nous sommes confrontés à « un génocide par soumission intentionnelle à des conditions d'existence qui doivent entraîner la destruction physique », car pour atteindre ses objectifs, le cartel a délibérément décidé d'exploiter des milliers de personnes dans les conditions les plus violentes et les plus précaires et de les exterminer systématiquement pendant au moins treize ans.
Nous sommes confrontés à un « génocide par transfert d’enfants par la force » , car d'après les témoignages de survivants, il y avait des fillettes qui ont été enlevées pour être emmenées au ranch et soumises à des abus et à des vexations sexuelles par ceux qui commandaient cette opération, puis assassinées. Ces transferts ont été délibérément exercés contre des fillettes, recherchées parce qu'elles avaient ces caractéristiques d’âge.
Nous sommes confrontés à « un génocide par atteinte grave à l'intégrité physique et mentale des personnes », non seulement de celles qui y ont été exécutées, mais de toute une population, car les dommages émotionnels profonds s'étendent à toutes les familles et aux personnes proches des personnes exécutées.
Nous sommes confrontés à un « crime contre l'humanité », l'un des crimes les plus graves « d'importance pour la communauté internationale dans son ensemble ». Cela doit justifier une enquête approfondie et entraîner une responsabilité pénale individuelle et structurelle. Le camp de concentration et d'extermination de Jalisco révèle au grand jour une pratique généralisée et systématique contre la population civile. Il est très probable que les autorités de l’État et les autorités fédérales d'au moins trois administrations présidentielles aient eu connaissance de ces crimes.
Nous sommes confrontés à un « crime contre l'humanité par assassinat », à un « crime contre l'humanité par esclavage, » à un « crime contre l'humanité par déplacement forcé de population », à un « crime contre l'humanité par privation de liberté grave », à un « crime contre l'humanité par torture, » à un « crime contre l'humanité par viol », contre un « crime contre l'humanité par esclavage sexuel » et à un « crime contre l'humanité par disparition forcée de personnes. »
Tous ces types de génocide et de crimes contre l'humanité sont inclus dans le Statut de Rome, la particularité de ceux-ci est qu'ils n'ont peut-être pas été perpétrés en raison de la race, de l'ethnie, de la religion ou de la nationalité, mais en raison de la classe et du genre (hommes et femmes à la recherche de travail et fillettes) et la raison de l'extermination systématique était de dissimuler une exploitation extrême au profit d'une entreprise illégale et de satisfaire un sadisme débordant. Les victimes étaient pour la plupart des jeunes de 20 à 25 ans, à la recherche d'un emploi et d'autres, comme nous l'avons mentionné précédemment, étaient des fillettes.
La cruelle réalité à laquelle nous sommes confrontés au Mexique, dans laquelle nous avons un taux d'impunité de 99 %, les chiffres des atrocités et la configuration d'un État criminel nous amène au carrefour où nous sommes actuellement. Nous sommes confrontés à l'impossibilité de recourir aux voies légales parce que l'État, fonctionnant à partir de réseaux clientélistes et de réseaux d'impunité, ne va pas se juger lui-même.
Nous savons que pendant que nous regardons avec horreur le camp de concentration et d'extermination de Jalisco, de nombreux autres sont probablement encore actifs ou sont en train d'être installés sur tout le territoire mexicain, sous la protection des autorités municipales, de l'Etat et des autorités fédérales. Nous le savons parce que c'est ainsi que cette guerre a été depuis 2006, parce que des atrocités comme celles-ci sont devenues quotidiennes pendant 19 ans.
Le terrible cas de Teuchitlán donne un indice clair et brutal sur la destination des disparus au Mexique. Il nous permet de ressentir la cruauté qui a abouti à ces fours crématoires et qui vient du sadisme paramilitaire des cartels et de l'ambition inhumaine et lâche des dirigeants et des hommes d'affaires (légaux et illégaux). Il n'y a pas un seul état au Mexique sans disparitions, le sous-sol de tout le territoire est une grande fosse commune et au-delà du fait que les statistiques officielles augmentent ou diminuent les taux de violence, la cruauté augmente, se généralise, devient une routine.
Il est inévitable que lorsque nous nommons Teuchitlán, nous ne pensions pas au génocide, un génocide qui implique très probablement des autorités municipales, de l’État et des autorités fédérales. Il est difficile d'imaginer que les gouverneurs de Jalisco des douze dernières années n'aient pas eu d'indices montrant que quelque chose de cette ampleur se produisait et il est scandaleux qu'ils n'aient ouvert aucune enquête. En outre, la réponse du Gouvernement de Claudia Sheinbaum a été si peu percutante qu'elle ressemble à de la dissimulation.
Il est également atroce que Jalisco ne soit pas le seul cas. Et que les présidents, les gouverneurs et les présidents municipaux se retrouvent à dissimuler des camps d'extermination comme celui du ranch Izaguirre. Une chose qui est devenue claire en 19 ans de guerre, c'est que les cartels peuvent fonctionner avec ces niveaux de sadisme, de cruauté et d'impunité parce qu'ils sont protégés par les plus hautes autorités civiles et militaires.
L'horreur du camp de concentration et d'extermination du ranch Izaguirre exige une réponse claire et percutante de la part de la société mexicaine et de celle du monde. Cette réponse risque de suivre les voies de l'opportunisme politique et de fabriquer des vérités historiques qui punissent les boucs émissaires pour laisserles responsables structurels impunis.
La réponse ne peut pas être d'essayer d'ouvrir la porte à l'interventionnisme des États-Unis, sous prétexte de terrorisme, car ils sont en grande partie responsable du fait que les cartels ont un flux constant d'armes et ont hérité de tactiques brutales très similaires à celles enseignées par l'École des Amériques et celles qui l'ont suivie.
La réponse ne peut pas être de transformer à nouveau les atrocités en munitions électorales mais elle ne peut pas non plus être d'utiliser l'excuse d'une opposition opportuniste pour parier sur l'oubli et l'impunité, comme cela s'est produit sous plusieurs mandats de six ans avec l'affaire Ayotzinapa et tant d’autres.
Nous ne pouvons pas permettre que l'affaire soit minimisée avec un bureau du procureur spécialisé, avec un traitement de cas emblématique qui finit par le traiter comme une situation isolée. Cela nécessite une enquête systémique urgente, car ce quelles montre clairement l'enfer de Teuchitlán, c'est que la lâcheté, le sadisme et l'ambition des cartels n'ont pas de limites, et que ceux qui devraient les combattre sont plutôt leurs complices. À partir du 5 mars 2025, tous les présidents municipaux, les gouverneurs et les présidents des 19 dernières années au moins doivent être traités comme des suspects de génocide et de crimes contre l'humanité, car ils le sont.
Qui peut enquêter et sanctionner ceux qui, depuis l'État, sont ou ont été complices de ce génocide quotidien si ce sont ceux qui détiennent le pouvoir de l'État ? Le fait de ne pas pouvoir répondre avec confiance à cette question est tragique. Il est terrible que ce ne soient pas les autorités de Jalisco en 2017 ni la Garde nationale en septembre dernier qui aient trouvé ce camp de concentration et d’extermination et aient lancé une enquête sur celui-ci, c'est le collectif des Guerriers Chercheurs, c'est encore le peuple qui, face à la négligence de l'État, organise d'en bas sa douleur et son courage et affronte les monstres les plus brutaux. Il est clair une fois de plus que là où la cruauté massacre et où= l'État enterre, les familles qui cherchent trouvent.
Nous devons être clairs sur le fait que si nous voulons survivre et empêcher la cruauté et l'horreur d'occuper tous les coins de notre pays et de notre vie quotidienne, nous ne pouvons pas laisser passer un seuil de plus vers la terreur quotidienne et la cruauté normalisée. Au-delà de la querelle politique entre les puissants, cela doit être un tournant pour tout le monde au Mexique, nous ne pouvons pas avaliser plus de mensonges qui coûtent des vies, nous ne pouvons pas nous empêcher de pointer du doigt ceux qui utilisent l'État pour s'enrichir et qui sont complices pour transformer le Mexique en un camp d'extermination. Il est urgent de crier avec conviction et engagement :
Teuchitlán PLUS JAMAIS !
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