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Culture: Pas une seule larme pour Vargas Llosa

15 Avril 2025, 15:35pm

Publié par Bolivar Infos

 

 

Par: Jimmy Calla Colana

 

 

 

Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine–Bolivar infos

 

Non. Je ne me sens pas désolé. Pas un iota. Pas une demi-larme. Pas un soupir mal investi. Dommage ? Ce serait comme pleurer sur le bourreau parce qu'il écrit avec une plume de cygne et des contorsions techniques. Je ne peux pas - et je ne veux pas - séparer l'écrivain du personnage, le narrateur de sa croisade idéologique contre la sensibilité sociale, le "génie" et son ordre du jour invétéré. Ce monsieur - permettez-moi  d’employer ce titre juste par politesse - nous a quittés, oui... mais il avait des dettes envers l'histoire et la décence littéraire.

 

Il nous a fait du mal. Beaucoup de mal. Ce type savait conjuguer les verbes mieux que quiconque, il connaissait les techniques mais il n'a jamais appris à combiner l'empathie avec la justice, la liberté avec la solidarité. Quand on le nomme, je ne pense plus à ces phrases de sa jeunesse qui m'ont ébloui entre les pages jaunâtres, surtout sa défense de  Cuba. Maintenant, je suis assailli par les autres lignes, les invisibles, celles qu'il a écrites avec ses actes : celles qui applaudissent les dictateurs, celles qui s'agenouillent devant les rois, celles qui chuchotent à l'oreille des banquiers, celles qui condamnent les peuples qui luttent pour leur libération, celles qui se sont moqués de la mort de nos frères aymaras du sud, celles qui vivent et cohabitent avec la classe dirigeante et font tout leur possible pour plaire à l’empire.

 

Séparer l'œuvre de l'auteur, disent-ils. Quelle idée confortable pour ceux qui n'ont jamais senti le tranchant de ces idées sur la peau ! Ce qu’il faisait n'était pas seulement de la littérature : c'était une croisade infernale, c'était un pamphlet parfumé, c'était un sermon néolibéral avec une encre fine, qui déforme les odeurs,  contre l'Amérique latine et Cuba libre.

 

Et maintenant, alors que sa famille attend les condoléances du roi, de l'empire ou de Mme K - celle-là même à qui il a fait des révérences et pour qui il a  brûlé de l'encens quand il a soutenu le fujimorisme pour affronter le maître andin qui a osé gagner une élection -, je ne peux que penser à quel point il a su se réaccomoder et faire des contorsions pour trahir. Bravo ! Il l'a fait avec élégance. Avec des R bien prononcés, avec des costumes amidonnés et repassés, avec des éditoriaux de dimanche fétides. Un vrai chevalier de l'ombre et des ténèbres.

 

Il a toujours fait semblant d'être ce qu'il n'était pas. Il n'a pas posé comme un "progre" ou un rebelle de salon. Il s'est montré, toute la poitrine gonflée, comme le défenseur le plus soigné du système le plus pourri, le capitalisme. Et c'est pourquoi il a été récompensé, bien sûr. Bien écrire et mal penser sont généralement bien accueillis dans certains milieux. Ils l'ont couronné avec le prix Nobel, qui est parfois décerné non seulement pour le style mais aussi pour son utilité idéologique. Sinon, voyons : « Tante Julia et le scribe », ce sont les relations intimes qu'il a eues avec sa tante ; « Pantaleón et les visiteuses », traite de la vente du corps de belles demoiselles dans une caserne de la jungle ; « La maison verte », est l'histoire d'un bordel à Piura ; « Espiègleries d’une mauvaise fillette », est l'histoire d'amour entre un traducteur de rêves modestes et une femme froide, manipulatrice et cruelle prête à tout pour arriver à satisfaire ses désirs mondains ; « Cinq coins », est l'histoire de deux femmes qui font l'amour ; et nous pouvons continuer.

 

Vargas Llosa a voulu assimiler les nouvelles techniques narratives des auteurs européens et étasuniens développées tout au long de la première moitié du XXe siècle et n'a pas pu. Sa source d'inspiration était le sexe, la frivolité, faire plaisir à l'empire et le vil métal.

 

Il n'aura jamais la sensibilité sociale et humaine d'un José María Arguedas, César Vallejo, Manuel Scorza, José Martí, Gabriel García Márquez, Pablo Neruda, Eduardo Galeano lui-même et bien d'autres. Jamais !

 

Il est parti. Et avec lui s’en va le dernier chevalier du néolibéralisme avec des prétentions littéraires. Le dernier converti qui a défendu Cuba avant de la vendre pour une chaire. Le fils du Pérou qui, en découvrant l’Europe, est resté « bouche bée » et a préféré être sujet de l’Espagne. Le latino-américain au nez indigène qui a souhaité être autre chose -plus blanc, avec une culture moins marquée, plus européen, plus éloigné de l’Arequipa des hauts plateaux.

 

On ne te dira pas adieu en grande pompe. Tu seras seul, ce sera quelque chose de privé sans les honneurs et les discours monarchiques typiques et encore moins du peuple avide. Ils t’incinèreront et tes cendres resteront pour toujours à Madrid. Je te dis adieu avec ironie et le poing levé. Que les ténèbres t'immortalisent comme ce que tu as été : un grand styliste du renoncement social, un maître de la trahison esthétique et de l'insensibilité humaine, un écrivain dont l'inspiration était le sexe, un symbole poli de l'échec amoral qu'il est possible d’écrire.

 

Mauvais vents et cette épigraphe de Corazón Serrano :

Ailes cassées

Tu seras déjà tombé.

 

source en espagnol:

http://www.cubadebate.cu/especiales/2025/04/14/canto-sin-luto-a-vargas-llosa/

URL de cet article:

https://bolivarinfos.over-blog.com/2025/04/culture-pas-une-seule-larme-pour-vargas-llosa.html