Pensée critique : Comment l'Ecole des Amériques a appris aux militaires sud-américains à combattre leur peuple
Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine-Bolivar Infos
Former du personnel militaire pour l'entraîner à la guerre. C'est ainsi que l'Ecole des Amériques des États-Unis a préparé certains membres des forces armées de différents pays latino-américains pendant le XXe siècle. Son objectif d'interférer dans la politique de l'Amérique du Sud a été atteint et ce modèle d'entraînement militaire a laissé un héritage dévastateur pour le continent.
L'école des Amériques a été fondée en 1946 au Panama. L'objectif du Pentagone était d'entraîner le personnel militaire des États-Unis stationné dans les Caraïbes mais année après année, l'école a pris de l'importance et à commencé à recevoir des centaines de soldats de tous les pays de la région après la création de l’OEA (Organisation des Etats Américains). En 1984, l'école a été déplacé aux États-Unis dans le cadre des accords signés pour le transfert du canal de Panama.
Connue pour promouvoir des techniques de torture et d'entraînement à la guerre civile dans les pays, l'Ecole des Amériques était aussi connue pour entraîner des militaires à affronter des groupes « insurgés », c'est-à-dire, la gauche.
Pendant cette période, plus de 66 000 étudiants sont passés par l'Ecole des Amériques. Certains sont devenus des dictateurs comme Leopoldo Galtieri et Roberto Viola en Argentine et Juan Velasco Alvarado au Pérou. Par cet école sont également passé des membres de « l’escadre de la mort » qui a assassiné 6 jésuites au Salvador. Le groupe « Jamais Plus de Torture » signale que 21 soldats et officiers brésiliens qui ont été accusés de torture sous la dictature militaire au Brésil ont étudié dans cette école étasunienne.
L'influence de l'école des Amériques dans l'armée brésilienne a également été essentielle pour la réorientation des courants politique. Jusqu'à la seconde guerre mondiale, il existait une tradition européenne dans les forces armées brésiliennes. Le Gouvernement français avait modernisé l'équipement des troupes et beaucoup de soldats avaient commencé à suivre un mouvement allemand pro nazi. Mais il y a eu d'autres groupes avec des tendances liées au libéralisme étasunien et même des groupes communistes.
Après la seconde guerre mondiale, les États-Unis ont commencé à agir fermement dans l'armée brésilienne et à organiser une nouvelle modernisation généralisée. Cela, ajouté à la formation de l'Ecole des Amériques, a détruit cette diversité idéologique dans les forces armées et une persécution des groupes de gauche a débutée.
Selon l'ancien député professeur d'histoire de l'université fédérale Fluminense, Manuel Domingos Neto, l’anticommunisme était déjà une tendance dans la ligne française, mais elle a pris de la force et est devenue décisive dans la ligne de l'armée après la seconde guerre mondiale.
La lutte contre le communisme a commencé avec l'entrée des États-Unis. Les Français avaient déjà cette tendance dans les années 1920, mais elle s'est radicalisée avec l'arrivée des États-Unis. À la fin de la guerre, les États-Unis ont dû contrôler cette influence puisque l'Armée rouge avait été essentielle pour la victoire. L'Ecole des Amériques a éradiqué les différents courants à l'intérieur de l'armée : il y avait des gauchiste même chez les hauts gradés. Le camp réactionnaire l'emportait, mais certains courants ne remettaient pas en cause l'organisation militaire d'avant-guerre. [Luís Carlos] Prestes lui-même admirait le courant français, a-t-il déclaré à Brasil de Fato .
Formation anticommuniste
Cette ligne politique de persécution du communisme ne s’est pas limitée aux forces armées brésiliennes. Les régimes militaires sud-américains ont aussi adopté cette position. La gauche a commencé à être persécutée et les communistes du Brésil, d'Argentine, du Chili et du Paraguay, par exemple, on dû s'exiler dans d'autres pays.
Lívia Milani, professeur de Relations internationales à l'université Tiradentes pense que cette doctrine de l'Ecole des Amériques comprenait une série d'opposants qui n'étaient pas nécessairement liés au communisme, mais qui, comme ils étaient des opposants, étaient considérés comme une « menace nationale. »
L'Ecole a été créée après la Révolution Cubaine dans un contexte dans lequel le contrôle du communisme était considéré comme la principale menace pour l'Amérique latine. Ainsi, ce qu'ils ont appris là, c'était à combattre les insurgés. Il s'agissait de tenir compte du communisme perçu comme une menace. En partant d'une définition très large du communisme et ensuite de l'opposition politique en général, qui a été qualifiée de communiste.
Même avec la généralisation de ce programme de formation à tous les pays d'Amérique latine, le Brésil a été vu comme le grand phare de l'Amérique du Sud. L'influence dans la politique brésilienne fut comprise par les États-Unis comme décisive pour le reste du continent : où le Brésil s'appuie, il éclipse les autres nations.
Pour Domingos Neto, l'entraînement était tellement dur et incisif que les soldats qui allaient à l'Ecole des Amériques intégraient ces doctrine de promotion de la violence sans les remettre en question.
Elle est connue comme « l'école des assassins. » Des soldats, des policiers brésiliens venaient là et pensaient avoir l'autorité pour faire ce qu'ils voulaient. On les envoyait réprimer, apporter une orientation sociale, promouvoir ce qu'on appelle la contre-insurgence, tout cela dominait leur esprit. Celui qui servait dans l'armée avait cet objectif indiscutable : la lutte contre le communisme.
Orientation de guerre
Le changement de mentalité que l'Ecole favorise chez les militaires latino-américains n'est pas seulement un point de vue sur les ennemis étrangers, mais aussi sur les « menaces intérieures. » L'aspect communiste est celui qui se détache le plus pendant la période des dictatures mais il y a un changement dans la perspective des militaires par rapport au rôle de l'armée sur le territoire. L'organisation n'est déjà plus comprise par les militaires eux-mêmes comme une institution destinée à défendre le territoire face à des menaces étrangères, elle est également comprise comme une entité destinée à combattre les crimes nationaux.
Cette caractéristique, selon Domingos Neto, créait une « crise d'identité » parmi les policiers et les militaires brésiliens et sud-américain. Si d'un côté, on envisageait l'idée de protéger les frontières et de se protéger contre les attaques extérieures, alors il y avait un dilemme par rapport à la façon d'agir à l'intérieur du territoire, contre sa propre population.
L'école des Amériques s'est concentrée sur la guerre, au-delà de la guerre internationale, en se focalisant sur la nature policière du contrôle intérieur. C'est le grand dilemme actuel. L'influence des États-Unis est dévastatrice en ce sens. Après la seconde guerre mondiale, le point de vue était également centré sur la guerre intérieure, et c'est ce que l'école des Amériques a enseigné.
Selon lui, cela signifie également que les militaires ont une plus grande influence sur la politique, bien que l’institution se soit déjà sentie responsable de définir les destins politiques du pays, depuis la fondation de la République.
Tout au long des années, les changements de Gouvernement à la Maison Blanche ont aussi représenté des contradictions pour l'Ecole. L'une des principales fut l'arrivée de Jimmy Carter au pouvoir. Avec une ligne de défense des droits de l'homme, le Gouvernement des États-Unis commence à affronter une ambiguïté : en politique extérieur, il tente d'obtenir des accords basés sur la défense des droits de l’homme et d'autres part, il prépare le personnel militaire à l'action violente dans les pays du continent.
« En même temps qu'il continuait à entraîner les militaires pour ce qu'on appelle la contre-insurrection avec des techniques de torture, le département d’Etat et d’autres agences du Gouvernement des États-Unis défendaient l'ordre du jour des droits de l'homme. C'est la grande frontière, la grande différence entre les Gouvernements de Washington pendant l'existence de l'école des Amériques, » dit Milani.
Héritage
L'Ecole a subi une restructuration en 2001 après de fortes pression exercées par des groupes liés à la défense des droits de l'homme. L'unité s'appelle à présent Institut de l'Hémisphère Occidental pour la Coopération en Sécurité (WHINSEC). Il a son siège en Géorgie et beaucoup d’attention a été accordée à la façon dont le nouveau modèle qui, selon le Pentagone, aurait un biais plus axé sur le respect des citoyens, fonctionnerait.
Selon Milani, il y a un changement dans la façon de sélectionner les militaires et les policiers qui intègrent le programme et un changement dans la ligne pédagogique. Des disciplines concernant la sécurité, la coopération et le respect des droits de l'homme ont été développées. En plus de tout cela, il y a un changement dans la gestion. Si auparavant le département de la Défense était responsable de l'école, maintenant, c’est le département d'État qui est en charge de l’unité.
Mais elle se demande jusqu'à quel point ces changements sont concrets et s’ils représentent un vrai changement de tournant pour cette unité, puisque les États-Unis continuent à avoir l'idée de combattre les menaces sur le continent.
« Jusqu'à quel point ces changements sont-ils effectifs ? Nous évoquons l'arrivée de militaires d'Amérique latine en provenance d'une institution gérée par la force. Pour les États-Unis, ce qui a changé, c'est sa perception des menaces en provenance d'Amérique latine. Pendant la guerre froide, c'était le communisme. Aujourd'hui, ils perçoivent des menaces comme le trafic de drogue et le crime organisé national. Par conséquent, la perception des menaces persiste. »
L'effet de cet entraînement persiste dans l'armée brésilienne jusqu'à aujourd'hui. Pour Domingos Neto, la Constitution de 1988 contient toujours l'idée que les forces armées ont aussi la tâche de maintenir l'ordre intérieur.
« L'héritage n'est pas terminé, il persiste. L'armée continue à souffrir de ce que j'appelle une perturbation d'identité. Ils ne savent pas s'ils ont des politiques ou des militaires. La Constitution de 1988, leur impose aussi la mission de contrôler l'ordre intérieur. Cela est également le cas dans d'autres pays. Aucune armée latino-américaine n’est prête à affronter l'ennemi extérieur, l'exception de celle de Cuba, » affirme-t-il.
Qui est resté dehors ?
Tous les pays d'Amérique latine ont envoyé du personnel militaire à l'Ecole des Amériques à un moment donné. Mais, pour les experts interviewés par Brasil de Fato, deux pays subissent beaucoup moins actuellement l'influence de cette institution : Cuba et le Venezuela.
Cuba a limité la participation de ses militaires peu après le processus révolutionnaire dirigé par Fidel Castro. Les Vénézuéliens ont envoyé au moins 3 590 soldats à l'Ecole tout au fil des ans mais, à l'arrivée de Hugo Chavez au pouvoir en 1999, le Gouvernement vénézuélien a changé de direction et a commencé à entraîner son personnel militaire dans les idées bolivariennes.
En plus de la différence idéologique avec les États-Unis, Caracas est également moins dépendante de l’armée étasunienne. L'achat d’armes qui, auparavant était limitées à des entreprises des États-Unis, se réalise actuellement à travers d'autres canaux. L'armée bolivarienne a commencé à acheter des armes russes et chinoises, ce qui a libéré le pays de cette dépendance. Selon lui, l'Europe a perdu son autonomie avec l’OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord).
Ce que les États-Unis ne pardonnent pas au Venezuela, c'est que le Pentagone n'a plus d'influence sur les forces armées. Chavez remplace l’état major. Aucune armée d'un pays non industrialisé n'a d'autonomie sur l'équipement, par exemple. Le Venezuela achète des armes à la Russie et à la Chine. Il rompe avec la dépendance qu'il avait envers les États-Unis. L'appareil européen avait la liberté, et maintenant ne l'a plus, il dépend du matériel fabriqué aux États-Unis. Et les Etasuniens décident donc que leurs armes ne peuvent pas être vendus à d'autres pays.
Source en espagnol :
URL de cet article :