Culture: Détournements sémantiques
Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine-Bolivar Infos
Le « sens » est contesté en utilisant le « détournement sémantique » pour manipuler les significations et perpétuer l'hégémonie économique et idéologique de la bourgeoisie. Ils détournent des concepts clef pour soumettre leur sens en conservant leur forme sémantique (signifiant) en profitant de leur charge symbolique pour servir des intérêts particuliers.
Le concept de « paix » en est un bon exemple. Actuellement, le détournement sémantique, est aggravé quand un groupe puissant redéfinit son sens pour le vider de sa base sociale et historique et le transformer en outil de domination. En contrôlant les médias, les institutions et les discours publics, ils imposent des récits qui rendent leur pouvoir naturel. Ils conservent le pouvoir non seulement par la coercition armée ou l’extorsion économique mais aussi en imposant des valeurs et des sens qui rendent légitime le statu quo.
Actuellement, la paix sert à masquer la stabilité économique qui convient à leurs affaires ou à feindre l’absence de toute sorte de conflits que, par définition, ils provoquent eux-mêmes. Ils promeuvent la « paix bourgeoise » qui donne la priorité à l’ordre sur la justice en criminalisant les protestations sociales en tant que « menaces pour la paix. » Cette paix, en tant qu’ordre néolibéral, est liée à la stabilité des marchés et à la tranquillité de leur propriété privée pour camoufler les inégalités systémiques. Leur récit concernant la paix justifie la répression de l’Etat ou la militarisation sous prétexte de « maintien de l’ordre. » Ils financent des campagnes de « responsabilité sociale » alors qu’ils exploitent les ressources ou les travailleurs. Ils ne se privent pas de manipuler des informations qui présentent les grèves comme des « ruptures de la paix sociale » en ignorant les revendications des travailleurs.
Grâce à ces doctrines de « sécurité nationale », ils restreignent les libertés civiques au nom de la « paix. » Leur « paix » bourgeoise perd sa dimension transformatrice et devient une simple coexistence dans des conditions injustes. Leur « paix », c’est la criminalisation de la résistance pour s’arroger le droit de qualifier de « violents » tous ceux qui subissent la violence de leur paix “fake”. Leur victoire « culturelle » est destinée à rendre l’oppression naturelle et à associer le mot « paix » à l’inaction qui rend légitimes des structures répressives comme si c’étaient des réussites de la civilisation. Il est indispensable de réclamer la paix politisée et démocratisée contre le détournement sémantique parce que ce doit être les luttes sociales qui redéfinissent la paix à partir de la base avec une redistribution juste des richesses, la défense des droits de l’homme et le démantèlement des structures répressives et créer de nouveaux signifiants. Le détournement de la n notion de « paix » par la bourgeoisie est révélateur du fait que le langage est un champ de bataille économique et idéologique. Et il faut démasquer ces opérations sémiotiques parce que c’est crucial pour construire une paix authentique, radicalement démocratique et émancipatrice.
Il n’y a pas de langage « neutre. » Tout reflète les moyens, les modes et les relations de production dominantes. Quand on détourne et qu’on transforme le concept de « paix » en marchandise, en le dépouillant de son contexte historique et en le présentant comme universel et intemporel, le langage est utilisé comme une arme qui, aux mains des enseignants et des publicitaires bourgeois, agit comme une munition idéologique de l’ordre. La « paix » est enseignée comme une soumission à l’Etat et au marché, pas en tant que justice sociale. Une paix dépolitisée. La bourgeoisie impose un « sens résiduel » (passif) au-dessus du « sens émergent » (critique) lié aux mouvements sociaux. Ils détournent le concept et le mot « paix » et en font un synonyme de la stabilité du marché qui est la garantie que le capital circule sans rencontrer d’obstacles. Le détournement de la paix vide la politique de son potentiel d’émancipation.
Cette « paix bourgeoise » détournée, c’est la dépolitisation des inégalités pour rendre l’exploitation normale en tant que partie de « l’ordre naturel. » La paix en tant que dispositif de domination qui monopolise la violence la définit. Ainsi, leur paix est principalement l’absence de conflits visibles mais le maintien de la violence structurelle grâce à des armées, des espions, des groupes de choc ou des polices pour « protéger la paix » dans des zones pauvres et en particulier, assurer la paix par le fétichisme de la consommation même s’il a fallu transformer la paix en spectacle financé par Coca Cola ou instituer la Journée de la Paix financée par des entreprises guerrières (Lockheed Martin). La paix a aussi été transformée en marchandise qui vend l’idée de l’harmonie sociale grâce au bonheur apporté à tous par la consommation qui occulte l’exploitation dans le travail et l’exploitation écologique.
Ils détournent la paix aussi pour masquer le racisme et la soumission au colonialisme alors qu’ils répriment les peuples grâce à toutes sortes de tortures physiques et psychologiques. Aux Etats-Unis, ils accusent Black Lives Matter de « troubler la paix » en dénonçant le racisme du système. Et sur l’un de leurs autels idéologiques les plus soigneusement surveillés, assurer la « paix domestique » en opprimant les femmes. Il n’y a rien comme la « paix des familles » qui rende plus naturel le travail non rémunéré des femmes et qui passe plus sous silence la violence machiste. La « paix du vainqueur » qui consacre l'oppression de ceux qui attaquent l'excédent. Et contre tout cela, rien n'est résolu par les formules illusionnistes de la paix messianique, ni par le verbiage rédempteur des opprimés.
Il n’y a pas de paix sans intervention des victimes des guerres, des exclus, des exploités, des paysans et des peuples originaires. Et il ne sert pratiquement à rien de sauver des définitions abstraites de la paix. La « paix » doit être redéfinie comme « dignité rebelle », capable de subvertir le récit bourgeois dans sa phase impériale, qui invoque la « paix mondiale » pour justifier les invasions et les investissements du plus grand vendeur d'armes au monde. Ni la « paix verte » des multinationales comme Shell ou BP qui tiennent des discours écologiques alors qu’elles mettent en oeuvres des projets extractivistes. Il n’y a pas de paix sans réformes agraires, sans justice pour la classe ouvrière.
Si la bourgeoisie détourne la « paix » pour en faire un signifiant pervers, sa signification ne peut être resémantisée que par la lutte des classes. La véritable paix, c’est l’abolition des conditions qui génèrent la violence (exploitation, racisme, patriarcat). Cela implique une révolution culturelle sémiotique: décoloniser le langage et construire une nouvelle sémantique à partir de ce qui est commun. Il faut une chronologie rigoureuse et critique, pas neutre, qui reflète les tensions entre la paix en tant qu’ordre hégémonique et la paix en tant qu’émancipation des luttes humaines et de leurs doctrines, organisée en axes thématiques et chronologiques avec des sources primaires, des controverses et des analyses de ses limites. Une historiographie académique révolutionnaire en théorie et dans la pratique politique, sans anachronismes ni simplifications, pour voir avec exactitude com bien de fois et de quelle manière la lutte pour la paix a été trahie par les pouvoirs de service, toujours avec une violence fourbe, préméditée et avantageuse. C’est à dire avec toutes les conditions aggravantes. Comme en a prévenu Walter Benjamin, « il n’y a aucun document de culture qui ne soit à la fois un document de barbarie. » La paix, de tout temps, a été un champ de bataille.
Source en espagnol:
https://www.telesurtv.net/blogs/secuestros-semanticos/
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