Argentine : Les forces du ciel
Par Sergio Wischñevsky
Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine-Bolivar Infos
La haine anti-péroniste qui est ces jours-ci en haute saison recommence à bannir les dirigeants populaires. Il y a 70 ans, ils ont mis un œuvre le moment le plus extrême de leurs 80 ans d’existence.
Le 16 juin 1955, une coalition formée par les forces armées, de partis conservateurs, l’UCR, l'élite économique argentine, l'ambassade des États-Unis, l'église et un groupe important de médias ont essayé d'assassiner le président de l’époque, Juan Domingo Perón et tout son cabinet de faire un coup d’Etat et de chasser le péronisme du pouvoir. Enlever du milieu e dirigeant pour créer le désarroi dans tout le mouvement populaire. Quelque chose qui ressemble à ce qui se passe actuellement et ce n’est pas un hasard.
Pour triompher, ils avaient besoin de l’effet de surprise mais ils ont échoué parce qu’une travailleuse les a dénoncés et a mis en alerte les services de renseignement du Gouvernement. Dans les procès-verbaux des procès réalisés par le Conseil supérieur des Forces Armées, il apparaît qu’une grande partie de l’opération a été révélée par l’employée de maison du lieutenant de vaisseau Carlos Massera, pilote de navire, frère d’Emilio Eduardo Massera, l’amiral du coup d’Etat de 1976.
Le commandement civil putschiste a pris Radio Mitre et diffusé une proclamation: «Argentins, écoutez cette annonce du ciel enfin renversé sur la terre argentine. Le tyran est mort. Aujourd’hui, notre Patrie est libre. Dieu soit loué (…) En ce moment, les forces de la libération économique, démocratique et républicaine en ont fini avec le tyran. L’aviation de la Patrie au service de la liberté a détruit son refuge (…) Citoyens, ouvriers, étudiants: l’ère de la liberté et des droits de l’homme est venue. »
Florencio Arnaudo, l’un de ces commandants civils parmi lesquels se trouvait aussi Mariano Grondona, a raconté des années plus tard dans le livre « L’année où on a brûlé les églises »: « Le bombardement devait commencer à 10 heures et devait durer 3 minutes, le temps que devait mettre l’escadrille pour décharger ses bombes. Après, la Maison du Gouvernement serait pratiquement rasée. Alors, l’infanterie de marine d’une part et les civils qui étaient dans les environs à ce moment-là devaient attaquer les ruines du bâtiment pour tuer Perón. » La tentative a échoué, les putschistes ont fui à Montevideo, sauf exceptions comme l’amiral Benjamín Gargiulo qui a opté pour le suicide.
L’Armée de l’Air avait, grâce au soutien de Perón, les avions les plus modernes du monde. La Marine n’avait que quelques avions nord-américains datant de la seconde guerre mondiale, conçus pour l’entrainement et l’exploration plus que pour l’attaque mais ils étaient forts, fiables et pouvaient réussir leur mission à condition de ne pas être attaqués par les puissants jets de l’Armée de l’Air. On avait promis aux marins que la base de Morón où étaient stationnés ces formidables avions se soulèverait. Mais une partie des pilotes est restée loyale envers Perón. Ernesto Adradas, un pilote de jet loyal, a abattu un Texan Naval putschiste sur le Río de la Plata. Il a payé cher cette loyauté quand le coup d’Etat a réussi, trois mois plus tard. Perón avait été prévenu par quatre voies différentes de l’imminence de l’attaque et s’était réfugié dans l’immeuble Libertador, siège du Gouvernement, à 150 mètres seulement de la Maison Rose.
Les pilotes, à cause des nuages, ont attaqué à très basse altitude, ce qui fait que beaucoup de bombes n’ont pas explosé. L’effet de surprise détruit, des canons anti-aériens attendaient les avions. Les pilotes putschistes ont manoeuvré pour éviter les tirs de la défense anti-aérienne et, du coup, beaucoup de bombes sont tombées sur la Promenade Colón. L’une d’elles a fait voler dans les airs un trolleybus plein de passagers. Ayant atterri à Ezeiza, qui avait déjà été prise par la marine, une nouvelle attaque a été décidée conjointement avec l’Armée de l’Air qui contrôlait déjà Morón, et les avions qui venaient de Bahía Blanca. Pendant ce temps, la CGT appelait les ouvrir à se réunir sur la place pour défendre le Gouvernement. La troisième attaque aérienne a eu lieu au pire moment de la bataille et le plus terrible a été le nombre de victimes. A la tombée de la nuit, les rebelles avaient perdu le contrôle des bases d’Ezeiza et de Morón et ils ont fui dans leurs avions gravement endommagés.
Même s’il y avait des manières plus simples d’assassiner le chef de l’Etat (Perón quittait tous les jours la résidence présidentielles à 5.45 du matin précises au volant de sa propre voiture, une Cadillac sans blindage, accompagné par une autre voiture avec ses gardes-du-corps), on avait cherché à le faire d’une façon tellement spectaculaire que ses millions de partisans n’auraient plus la volonté de lutter. Le bilan a été de 300 morts et 800 blessés dont près de 100 mutilés.
Le dirigeant de l’UCR Miguel Ángel Zavala Ortiz était l’un de ceux qui devaient faire partie du triumvirat qui aurait gouverné si Perón était tombé. Il a fui avec les avions en Uruguay. Il est revenu après le 16 septembre et a applaudi publiquement l’exécution du général Juan José Valle et les assassinats dans les décharges d’ordures de José León Suarez. A la grande honte des Argentins, l’ancien gouverneur de Buenos Aires, Enrique Olivera, a donné son nom à la petite place de l’avenue Leandro N. Alem et Rojas.
La construction de l’oubli a débuté le lendemain. Les journaux Clarín et La Nación ont largement couvert l’événement en montrant abondamment les dégâts matériels et en consacrant beaucoup moins d’espace aux victimes. Sur le même ton et selon le même point de vue, deux des principaux historiens argentins ont écrit les yeux bandés par l’idéologie. Tulio Halperín Donghi, en 1960, relate ainsi cet événement: « Le 16 juin, à la protestation sans armes a succédé une tentative de coup d’Etat: une partie de la marine et de l’aviation s’est soulevée contre le Gouvernement, bombardé et mitraillé des endroits centraux de Buenos Aires. Ce soir-là, le mouvement ayant été étouffé, ils ont brûlé les églises du centre-ville, pillées par la foule et incendiées par des équipes spécialisées qui ont agi avec rapidité et efficacité: à San Francisco, à Santo Domingo, le feu a tout emporté, jusqu’à ne laisser que la brique calcinée des murs; les dômes, soulevés et brisés par la pression des gaz de combustion, ont laissé place à des flammes gigantesques. » Une préoccupation méticuleuse pour les églises brûlées, pas un mot sur les personnes assassinées.
José Luis Romero s’exprimait à la même époque et sur le même ton: «Soudain, la vieille conspiration militaire a commencé à prospérer et s’est préparée pour un coup d’Etat qui a éclaté le 16 juin 1955. La Maison du Gouvernement a été bombardée par des avions de la marine mais les corps d’armée qui devaient se soulever n’ont pas bougé et le mouvement a échoué. Ce jour-là, des groupes armés ont envahi les rues de Buenos Aires avec un air menaçant, incendié des églises et des locaux politiques mais le Président a accusé le coup d’État parce qu’il avait mis à nu la faille du système qui le soutenait. »
Le massacre de la Place de Mai est resté impuni, ceux qui ont fui sont revenus en tant que « libérateurs » et un cycle de violence qui a duré des décennies s’est déchaîné. Maintenant que la haine politique revient à la mode, il est choquant de voir combien le peuple argentin ignore ces événements. Nous ne connaissons pas assez notre histoire.
Source en espagnol:
https://www.resumenlatinoamericano.org/2025/06/15/argentina-las-fuerzas-del-cielo/
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