Nicaragua: Ortega et Bukele: Une étude de contrastes
Par Rita Jill Clark-Gollub
Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine-Bolivar Infos
Les médias d’opposition du Nicaragua et du Salvador, le Washington Post, Amnesty International et Human Rights Watch essaient de dénigrer le président nicaraguayen Daniel Ortega en le comparant au président du Salvador, Nayib Bukele. Bien qu’Ortega et Bukele aient tous deux été réélus et jouissent d’une grande popularité parmi la population de leurs pays respectifs, ces deux présidents sont, en réalité, très différents.
Crime et châtiment
On fait l’éloge de Bukele parce qu’il a réduit de façon drastique la violence au Salvador mais en réalité, sa carrière politique est basée sur le fait de rester au pouvoir. Tout d’abord, un peu d’histoire: le problème des bandes criminelles (maras) dans le pays a son origine dans la guerre sanglante des années 1980 pendant laquelle des escadrons de la mort ont été financés et entraînés par les Etats-Unis et Israël et des milliers de jeunes se sont vus obligés de fuir vers les Etats-Unis pour ne pas être recrutés par l’armée. En tant que classe marginale d’immigrés sans papiers et sans le soutien de leur famille, beaucoup de ces gens ont fini dans les bandes de rue ou les prisons de Los Ángeles. Vers. la moitié de la décennie de 1990, des milliers de ces membres de bandes criminelles ont été déportés au Salvador, amenant à nouveau la violence dans un pays qui venait de perdre 75 000 vies par an dans. un conflit brutal. Comme l’écrit Hillary Goodfriend, « le panorama économique néolibéral dévasté s’est montré un terrain fertile pour la culture des bandes criminelles étasuniennes importée par les jeunes salvadoriens déportés de Los Angeles dans les années 90. » Les Gouvernements de droite de l’alliance Républicaine Nationaliste (ARENA) des années d’après-guerre on t répondu aux « maras » par la main dure.
Ensuite, entre 2009 et 2019, tandis que l’ancienne guérilla (le Front Farabundo Martí de Libération Nationale-FMLN) était au pouvoir, on a cherché à mettre en oeuvre un point de vue préventif. Les problèmes structuraux ont été abordés grâce à « une augmentation sans précédent des dépenses sociales dont l’éducation critique, les soins de santé, la terre, les infrastructures et les investissements agricoles. » Mais ces efforts ont été contrecarrés par des législateurs majoritairement d’opposition qui ont limité ces dépenses et le financement de l’USAID pour un point de vue du secteur privé qui favorisait l’opposition. Le FMLN a également commis des erreurs comme les négociations secrètes (avec l’Eglise catholique) pour une trêve entre les maras qui a été un succès au début mais a finalement été très coûteuse politiquement. Il y a quand même eu des avancées à mesure que les jeunes trouvaient plus d’opportunités.
Nayib Bukele est arrivé sur la scène politique du pays en tant que candidat du FMLN à la mairie de San Salvador en 2014. On a soupçonné son ascension politique d’être due à des traités secrets aves les bandes criminelles et de plus en plus de médias internationaux donnent des détails sur la façon dont cela a fonctionné. On dit qu’il a soudoyé les bandes criminelles pour qu’elles lui soient loyales pour les élections à la mairie où il a dépassé le candidat d’ARENA à 2 contre 1. Bukele a rapidement rompu avec le FMLN et s’est présenté contre ce parti lors des élections présidentielles de 2019. On dit que les dirigeants du MS-13 ont négocié avec lui avant l’élection en exigeant la fin des extraditions des Etats-Unis, des peines plus courtes et le contrôle de certains territoires. En échange, leurs crimes ont été occultés pour faire baisser le taux d’homicides. Après l’élection de Bukele, le taux officiel d’assassinats a baissé mais les disparitions forcées ont augmenté. Les maras l’ont également aidé à mobiliser les électeurs pour sa super-majorité aux élections législatives de 2021, souvent de façon violente. Pendant que Bukele collabore en secret avec les maras, le visage public de sa lutte contre la délinquance est un retour à la répression des années d’ARENA.
En mars 2022, Bukele a instauré un état d’urgence qui perdure encore aujourd’hui et a conduit à l’emprisonnement de 85 000 autres personnes, ce fait du Salvador le pays avec le taux d’incarcération le plus élevé au monde. Plusieurs dirigeants de mouvements sociaux se trouvent parmi les personnes emprisonnées sans procès. Pendant ce temps, beaucoup de Salvadoriens jouissent d’une sécurité relative dans les rues du pays car la violence des maras est moins visible et les petites entreprises n’ont plus à payer d’extorsions. Ceci et une habile manipulation des réseaux sociaux a rendu le président extrêmement populaire dans un segment de la population, en particulier parmi les électeurs qui vivent dans la diaspora. A présent, Bukele accepte allègrement de servir de geôlier à l’étranger pour Donald Trump et semble éprouver un vif plaisir à voir des images de prisonniers traités de façon inhumaine dans des cellules bondées en déclarant qu’ils ne sortiraient jamais de là. Les conditions sont tortueuses, la réhabilitation inexistante. Comme le dit Alan MacLeod, « la cruauté est le but en soi. » Et la violence persiste.
Les photos qui sont en tête de cet article montrent le contraste marqué entre l’attitude envers les prisonniers au Nicaragua par rapport au Salvador. Alors que Bukele apporte cruauté et humiliation, le Nicaraguayen Daniel Ortega se concentre sur la dignité humaine et la réhabilitation, surtout par l’éducation. Un récent article parle de 8 400 prisonniers inscrits dans les universités, à des programmes de formation technique ou qui achèvent leur scolarité primaire ou secondaire. Les prisonniers peuvent aussi travailler s’ils le souhaitent et leur salaire est envoyé à leur famille. Souvent les peines sont réduites pour bonne conduite. La réconciliation est un symbole du sandinisme qui a aboli la peine de mort en 1979. Les rapports de médias corporatifs sur les « prisonniers politiques » font partie d’une campagne de propagande financée par les Etats-Unis et doivent être considérés avec scepticisme. Cet article donne des informations sur les crimes atroces commis par ces héros des médias étasuniens.
Au Nicaragua, les problèmes de trafic de drogues, de bandes criminelles et d’addiction aux drogues sont minimes. Le taux d’homicides du pays a baissé peu à peu depuis 2007 et se situe actuellement 6 pour 100 000 habitants, juste en-dessous de celui des Etats-Unis. Ceci est dû à la mise en place réussie de programmes sociaux comme ceux que El FMLN a essayé de mettre en place au Salvador, qui motivent les jeunes et ont énormément réduit la pauvreté. C’est un processus permanent et à long terme qui donne la priorité à la majorité pauvre auparavant, pas une illusion des réseaux sociaux. Les gens se prennent en charge grâce à des programmes créatifs qui aident les paysans à fournir des aliments à leur famille et à leur communauté, soutiennent les entrepreneurs pour qu’ils lancent un commerce, promeuvent la santé et la sécurité des femmes, rendent leurs droits aux afro-descendants et aux peuples indigènes et permettent aux Nicaraguayens de tout âge d’avoir accès à l’éducation. Ce ne sont pas des changements sur lesquels on peut facilement revenir et c’est la raison pour laquelle Daniel Ortega, à chaque élection, obtient de plus en plus de voix.
Les ONG
Le Washington Post et Amnesty International comparent de façon incorrecte la nouvelle loi sur les Agents Etrangers du Salvador et celle sur les organisation sans but lucratif du Nicaragua. La loi nicaraguayenne exige que ces organisations informent sur leurs revenus en provenance de l’étranger et disent comment cet argent est dépensé et interdit d’utiliser de l’argent provenant de l’étranger dans des activités politiques. Elle cherche ainsi à freiner l’ingérence étrangère comme celle qui s’est manifestée lors de la tentative de coup d’Etat de 2018 qui a soumis la population du Nicaragua à 3 mois de terreur pour des raisons politiques. Cet article donne une documentation détaillée sur le large flux d’argent que l’USAID a donné à l’opposition nicaraguayenne et aux médias pour des activités de changement de régime avant 2022. Reconnaissant ouvertement que tout dépend encore du financement des Etats-Unis, l’opposition nicaraguayenne a pris les réseaux sociaux, au début du second mandat de Trump pour se lamenter sur la crise qu’elle subissait à cause de la suppression du financement des Etats-Unis. Contrairement à ce que le Washington Post et Amnesty International veulent nous faire croire, les médias qui dépendent du financement du Gouvernement des Etats-Unis ne sont pas « indépendants. » Malheureusement, pour les médias de l’opposition nicaraguayenne qui opèrent en dehors du pays, le financement de l’USAID/NED a déjà été rétabli.
Le Salvador a également été la cible de l’ingérence politique de l’USAID, même sous le gouvernement du FMLN. Maintenant, l’ingérence des Etats-Unis est moins probable contre Bukele à cause de son alignement étroit sur la politique du Gouvernement Trump. Les critiques semblent être valables à l’égard de la nouvelle loi qui impose une taxe de 30% sur les dons internationaux aux organisations à but non lucratif. Au Nicaragua, la plupart des organisations à but non lucratif paient une taxe administrative de 1 % sur les dons internationaux, tandis que les organisations plus riches payent jusqu’à 3 %, ce qui est bien loin du taux de 30 % de Bukele.
Le traitement des émigrés
Daniel Ortega n’a jamais participé aux manoeuvres des Gouvernements de Trump et de Biden destinées à réduire le flux des migrants comme l’ont fait ses voisins du Nord. Il n’a pas non plus imposé de « tarif spécial » aux migrants d’Afrique en transit comme l’a fait Bukele. Le Nicaragua a accepté des vols directs en provenance d’Haïti et de Cuba comme geste humanitaire pour alléger la crise que l’intervention des Etats-Unis a créée dans ces pays. Pendant un moment, le Nicaragua a été un pays de transit pour les migrants qui cherchaient une route bon marché et plus sûre vers les Etats-Unis qui éviterait le dangereux Pas du Darién. La Congrès des Etats-Unis l’a récompensé par des accusations sans fondement de « trafic de personnes ».
Pendant ce temps, Bukele collabore avec ferveur avec le plan de déportation/emprisonnement massif des migrants de Trump, y compris en refusant de libérer un Salvadorien déporté par erreur. Daniel Ortega l’a dénoncé fermement, a exigé la restitution des Vénézuéliens enlevés retenus au Salvador et a plaidé pour que tous les migrants soient respectés. Les émigrés nicaraguayens déportés des Etats-Unis sont reçus avec des bilans de santé gratuits, de la nourriture, on les amène à leur communauté d’origine et on sur donne un petit pécule pour qu’ils se réinstallent.
La gestion de la pandémie de COVID-19
Le Salvador a donné l’une des réponses les plus autoritaires à la pandémie. Le Gouvernement de Bukele a fermé l’économie, utilisé la répression militaire pour imposer une quarantaine dans tout le pays, déclaré l’état d’urgence et obligé les gens à entrer dans des centres de détention du COVID où beaucoup ont été contaminés et certains sont morts. Bukele a publié sur Twitter des photos sadiques de m’ombres de bandes criminelles serrés comme des sardines dans les prisons en se vantant de la répression qu’il exerçait sans tenir compte du danger de propagation du virus.
Le Président Ortega a fait exactement le contraire: l’économie et les écoles sont restées ouvertes et les enfants ont continué à recevoir leur goûter scolaire. Le Gouvernement a lancé une campagne massive de santé publique avec des visites d’information au porte-à-porte, préparé les hôpitaux publics à traiter le COVID-19, installé une ligne téléphonique directe pour le traçage des contacts et le suivi des patients et libéré certains prisonniers. Personne n’a été emprisonné ni n’a souffert de la faim à cause de la pandémie, le Gouvernement n’a pas contracté de dette excessive et le Nicaragua a eu le taux de vaccination le plus élevé d’Amérique Centrale.
Le Nicaragua a eu l’un des taux de surmortalité à cause de la pandémie les plus bas du monde (292 pour 100 000 habitants). L’UNICEF a felicité le Nicaragua pour sa réponse à la pandémie parce que, à la différence des enfants qui ont dû affronter des confinements, les jeunes nicaraguayens n’ont pas couru plus de risques pour leur santé, n’ont pas été plus mal nourris, n’ont pas été moins vaccinés et n’on t pas eu de plus. mauvais résultats scolaires à cause de la pandémie.
Les enfants salvadoriens, malheureusement, ont affronté tous les effets néfastes d’une quarantaine extrême. La démocratie du pays s’en est ressentie, l’économie s’est fortement contractée et le Gouvernement a contracté une dette importante. Le taux de surmortalité due à la pandémie au Salvador était de 364 pour 100 000 habitants.
Israël/Palestine
La collaboration sioniste avec la répression de droite en Amérique Centrale a traditionnellement compris la vente de napalm aux Gouvernements d’ARENA pour qu’ils l’utilisent contre le peuple du Salvador et aide la dictature de Somosa et les « constras » au Nicaragua. Maintenant, bien que Bukele soit d’origine palestinienne, il s’est allié clairement avec Israël. Ses importations d’armes et de technologies de surveillance israéliennes augmentent à un rythme inquiétant et le Salvador est l’un des plus importants utilisateurs du programme espion israélien Pegasus qui a été déployé contre des dizaines de personnes critiques envers Bukele.
Au contraire, le Nicaragua sandiniste a une longue histoire de solidarité envers le peuple palestinien. Depuis le 7 octobre 2023, Ortega soutient fermement le droit du peuple palestinien à la paix et à l’autodétermination et la fin de l’agression israélienne. Son pays a été le premier à se joindre à la plainte déposée par l’Afrique du Sud devant la Cour Internationale de Justice pour la violation par Israël de la convention sur le Génocide et il a déposé sa propre plainte contre l’Allemagne pour complicité de génocide, ce qui a permis de réduire la vente d’armes à Israël et de rétablir le financement de l’UNRWA par l’Allemagne. Le Nicaragua a fait cela malgré les menaces de nouvelles sanctions du Congrès des États-Unis et d’Israël.
Dépenses sociales
Depuis que Bukele est président, les politiques néolibérales classiques ont fait des coupes dans l’éducation, la santé et les programmes de réduction de la pauvreté introduits par les Gouvernements du FMLN. On a fermé des écoles et la santé est de plus en plus inaccessible. Pendant ce temps, les dépenses militaires, policières et pénitentiaires augmentent constamment.
Les dépenses sociales sont une priorité au Nicaragua depuis que le président Ortega est arrivé au pouvoir en 2007 et maintenant, elles constituent 60% du budget du pays. De grosses améliorations ont été réalisées dans la santé, l’éducation, l’alimentation, le logement, l’eau potable, les routes et l’électricité. L’Indice de Développement Humain du pays dépasse celui du Salvador, ce qui est surprenant si on considère que le PIB par tête du Nicaragua (une composante importante de ce calcul) est la moitié de celui du Salvador. Et le Nicaragua est le troisième pays de l’hémisphère occidental qui a le moins de dépenses militaires. Il dépense encore moins que le Costa Rica qui dit ne pas avoir d’armée.
Les nombreuses différences entre les deux présidents se résument mieux si on les regarde dans une perspective historique. Malgré les tambours et les trompettes, le jeune Bukele n’offre rien de nouveau. Il perpétue le cycle de la violence physique et structurelle dans son pays, en connivence avec le Gouvernement des Etats-Unis. Ortega, par contre, le vieil homme d’État aide son pays à se libérer de la violence impérialiste. C’est quelque chose de nouveau.
Source en espagnol:
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