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Salvador: Que faut-il pour que la communauté internationale reconnaisse que c’est une dictature?

8 Juin 2025, 16:40pm

Publié par Bolivar Infos

 

 

Par Angèlica Càrcamo

 

Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine-Bolivar Infos

 

15 jours sont passés depuis l’arrestation arbitraire de la célèbre avocate Ruth López, l’une des manifestations les plus graves de l’escalade autoritaire au Salvador. Ça a été un mois de mai extraordinaire et le silence d’une grande partie de la communauté internationale se remarque déjà. Il est alarmant et inquiétant que la diplomatie se joigne au choeur des bouches fermées qui préfèrent ne rien dire.

 

Hell Salvador (Salvador enfer ) est une expression très populaire pour décrire ce que beaucoup d’entre nous ressentent à propos de ce que nous vivions aujourd’hui au Salvador. En ce moment, être un journaliste ou quelqu’un qui défend les droits de l’homme implique  une série gratuite d’attaques, de menaces et, dans le pire des cas, de surveillance, de persécution ou d’arrestation arbitraire. 

 

En mai, dans ce qu’on appelle le Petit Poucet de l’Amérique, la dictature « cool » d’un régime qui, pendant 6 ans a démantelé toute forme de démocratie, s’est renforcée. Nayib Bukele a ôté le masque et a décidé d’exercer le pouvoir grâce aux outils classiques d’un dictateur: cooptation des pouvoirs de l’Etat, réélection anticonstitutionnelle, persécutions politique, répression des protestations  sociales, censure des médias non alignés.

 

Ce n’est ni une exagération ni de la rhétorique, c’est un appel urgent basé sur des faits vérifiables à une grande partie de la communauté internationale qui, tellement  loquace dans d’autres contextes, garde aujourd’hui un silence qui gêne, qui fait mal et qui la rend complice par omission.

 

La recrudescence des attaques a débuté le 25 février avec l’arrestation de l’activiste Fidel Zavala qui, de sa prison, s’est consacré à dénoncer les tortures et les mauvais traitements dans les prisons du Salvador. Tout en sachant ce qui pouvait lui arriver, Zavala a porté plainte contre le vice-ministre de la sécurité publique et le directeur des centres pénitentiaires, Osiris Luna, pour abus commis sur les personnes privées de liberté.  Être critique lui a coûté sa liberté.

 

Le mois de mai a débuté ainsi. Le premier jour du mois, Le Phare a publié une enquête dans laquelle un chef de bande raconte de son exil - facilité par le Gouvernement  salvadorien lui-même- comment le régime de Bukele a pactisé avec eux . Même si ce n’est pas la première fois que la presse révèle comment ceux qui gouvernement  ont passé des actes avec ces groupes criminels pour avoir le contrôle du récit concernant leurs réussites dans les plans de sécurité, c’est la première fois qu’un membre de bande de haut rang donne des détails sur une série d’événements qui n’ont pas fait bonne impression dans les bureaux de la présidence. La réponse? Persécuter le messager.

 

Pendant une émission en ligne, le directeur de ce journal, Carlos Dada, a prévenu que le Procureur Général de la République pourrait émettre des mandats d’arrêt contre les 7 journalistes qui ont participé à la publication, ce qui a poussé plusieurs journalistes à partir. Cette dénonciation a été faite le 3 mai, Jour née Internationale de la Liberté de la Presse. Un symbole regrettable du fait qu’exercer le journalisme au Salvador est aujourd’hui un acte à haut risque.

 

La vague croissante d’agressivité n’est pas née de rien. Dans son rapport annuel 2024, l’association des Journalistes du Salvador (APES) révélait que 7 journalistes sur 10 affrontaient certaines attaques d’un fonction noire public. La donnée la plus alarmante est l’augmentation de 154% de traitement des cas, avec 789 agressions contre la presse en 2024 contre  311 en 2023.

 

Ces données coïncident avec la divulgation de la classification mondiale sur la liberté de la presse de Reporters sans Frontières qui classe le Salvador 135ème  sur 180 pays (le premier, étant le meilleur et le 180ème, le pire pour exercer le journalisme).

 

Et cette année, c'est encore pire. Seulement pendant le mois de mai 2024, l’APES a enregistré environ 30 mobilisations préventives ou déplacements forcés de journalistes qui ont peur des abus des corps de sécurité. Il y a même des noms personnes liées à la police qui sont derrière des opérations d'intimidation des défenseurs des droits de l'homme et des journalistes.

 

En 2019, quand Bukele est devenu président, le Salvador se trouvait à la 81e place : il a perdu 54 points en six ans. Mais défendre les droits est également un crime. Le 12 mai, des familles de la communauté d’El Bosque on protester près de la résidence du président située à Los Sueños, un endroit où se trouve un grand nombre de militaires, et même un petit char d'assaut à l'entrée de la résidence dans le pays qui se dit « le plus sûr du monde. »

 

La communauté, qui affronte un ordre d'expulsion, a opté, dans son désespoir, pour la seule possibilité qui reste à ceux qui n'ont plus rien à perdre : descendre dans la rue et exiger ses droits. La réponse a été violente : irruption de la police et de l'armée, dirigeants communautaires frappés et agression de représentants des organisations sociales, ce qui a fini par l’arrestation du pasteur évangélique José Perez et, le lendemain, de l'avocat environnementaliste Alejandro Henríquez. 

 

À nouveau, le régime a utilisé le pouvoir pour faire taire ceux qui réclament leurs droits fondamentaux : « La répression ne doit pas être la réponse à des revendications sociales légitimes. Loin d'apporter une solution au fond des revendications, elle augmente les tensions et détériore la confiance dans les institutions, » dit un communiqué d'Amnesty International et d'autres organisations internationale des droits de l’homme.

 

Bukele, qui n’est pas satisfait des arrestations, a annoncé depuis son compte X (dans le style "Aló presidente" d’Hugo Chávez) qu’il enverrait au congrès (dominé par son parti) la proposition de loi sur les agents étrangers (LAEX). L’Assemblée législative a donné suite à cet ordre et adopté une loi sur les agents étrangers qui prévoit un impôt de 30 % sur tous les dons faits à ces ONG.

 

Cette loi a été approuvée de façon rapide et sans discussion. Elle est ferme. Elle est conçue pour asphyxiée les organisations sociales, les médias indépendants et les collectifs qui reçoivent une coopération internationale. En quelques mots, la LAEX est une extorsion envers toute personne ou tout organisation des droits de l'homme qui ne convient pas au régime. La loi oblige toute personne naturelle ou juridique liée à une organisation à s'inscrire au registre des agents étrangers et fixe des sanctions pouvant aller de 100 000 $ jusqu'à l'annulation de la personnalité juridique pour des activités qui -selon une définition ambiguë– pourraient « perturber l'ordre public » ou influencer politiquement le pays de l’étranger (article 9. b.). Dans la pratique, il s'agit d'un mécanisme légal, destiné à surveiller, à sanctionner, et éventuellement à faire taire tout organisation qui soit un contrepoids au pouvoir. Ainsi, il est clair que le régime utilise les lois comme châtiment face à la protestation sociale.

 

Ce n'est pas la première fois que le parti au pouvoir cherche à imposer cette règle. En 2021, le Gouvernement avait présenté une proposition similaire mais les pressions internationales avaient été immédiates: des ambassades comme celle d'Allemagne avaient prévenu qu'elles suspendaient les programmes de coopération si une législation de cette sorte était approuvée et plusieurs acteurs multilatéraux– même des agences européennes et des rapporteur de l’ONU– avaient exprimé leur rejet.

 

Cette initiative avait été abandonnée à cause de son coût diplomatique. Mais cette fois, en mai 2025, le Gouvernement a réussi ce qui n'a pas pu alors : faire approuver sans résistance, une loi qui copie des schémas appliqués en Russie et au Nicaragua où cette sorte de législation a été utilisée pour criminaliser le travail social, fermer des organisations sociales et éliminer les voix dissidentes. Le plus inquiétant est qu’à la différence de 2021, jusqu'à présent il n'y a pas eu une seule réaction publique d'une grande partie de la communauté internationale.

 

Ni les ambassades ni les organismes multilatéraux ni les agences de coopération n’ont condamné -au moins publiquement- l'approbation d'une loi qui représente une menace frontale pour le droit d'association, la liberté d'expression et le travail de défense des droits de l'homme. Ce silence n'est pas seulement inquiétant : il pourrait être le symptôme de la nouvelle normalité diplomatique face à des régimes autoritaire qui, comme celui du Salvador, continuent à concentrer le pouvoir sous le récit de l'ordre, de l'efficacité et du développement.

 

Le point de rupture a été atteint le soir du 18 mai, le camp des agents de police ont arrêté l'avocate Ruth Lopez, directrice anti-corruption de CRISTOSAL, une voix critique du régime. Ruth a été reconnue en 2024 comme l'une des 100 femmes les plus influentes du monde par la BBC. Sa captura a été réalisée vers minuit non par stratégie, mais par crainte : le régime persécute en silence ceux qu’il ne peut affronter pendant le jour. Son arrestation est un signe sans équivoque du fait que la persécution politique n'est plus une menace, mais peut commencer à être une politique d’État.

 

Trois jours auparavant, le 15 mai, un groupe d'organisations réunies à la table pour le droit de défendre les droits a publié un rapport dans lequel on rapporte 533, agressions de journalistes et de personnes qui défendent les droits de l'homme : Ce rapport recommande d’« Arrêter la persécution et la criminalisation des personnes qui défendent les droits de l’homme et les journalistes par la FGR en évitant les arrestations arbitraires, les perquisitions de logements et la persécution pour l'exercice de la libre expression et de la libre association et respecter le travail d'investigation journalistique. »

 

Aucun des faits expliquer dans cet article ne peuvent être « erreur isolé », ils répondent un schéma et à une méthode.

 

Le plus grave et que tout cela arrive face au silence d'une grande partie de la communauté internationale. Des pays et des organismes qui, auparavant, défendaient la démocratie, les droits de l'homme et l'État de droit, aujourd'hui se limitent à des déclarations diplomatiques vides -quand ils en font- ou s’accommodent du récit officiel.

 

Pendant que Bukele se présente dans des forums internationaux comme le garant de la sécurité, son Gouvernement met en place une stratégie systématique destinée à éradiquer toute forme d'opposition. Le Salvador ne va pas vers une dictature, elle est déjà là, et il devient la seconde dictature d'Amérique centrale.

 

Où sont maintenant les ambassades qui ont financé des programmes de renforcement de la démocratie ? Où sont les agences de coopération qui encourageaient le journalisme indépendant et la protection des personnes qui défendent les droits de l'homme ? Peut-être la nouvelle diplomatie est-elle l'indifférence face aux dictatures efficaces ? Les seules voix critiques dans cet environnement sont celles des organisations internationale des droits de l'homme et nous leur disons : merci de nous soutenir.

 

Et face à ce scénario, nous, les organisations sociales, les journalistes, les avocats et les citoyens qui résistons encore, avons une seule certitude : le silence n'est pas une option. Ceux d'entre nous qui croient fermement en un Etat de droit, ornt le devoir de parler, même si cela nous coûte cher, parce que si nous nous taisons aujourd'hui, demain, il n'y aura plus personne qui puisse parler.

 

Source en espagnol :

https://www.resumenlatinoamericano.org/2025/06/07/el-salvador-que-mas-debe-pasar-para-que-la-comunidad-internacional-reconozca-que-hay-una-dictadura/

URL de cet article :

 

https://bolivarinfos.over-blog.com/2025/06/salvador-que-faut-il-pour-que-la-communaute-internationale-reconnaisse-que-c-est-une-dictature.html