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Pensée critique : Comment les médias et le cinéma fabriquent un récit de crise au Venezuela

26 Septembre 2025, 16:58pm

Publié par Bolivar Infos

 

Par Diana Valido Cernuda,

Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine–Bolivar Infos

«Effondrement », « dictature », « crise humanitaire ». Pendant plus de 20 ans, l'image du Venezuela a été filtrée pour le monde à travers des titres et des écrans de cinéma qui répondent moins à un récit fidèle de la réalité qu’à un récit soigneusement élaboré. Derrière cette construction symbolique se cache un réseau d'intérêts liés à la politique étrangère des États-Unis.

En 2011, Amazon assorti, la seconde saison de la série Jack Ryan, le Venezuela est apparu sur les écrans de milliers de foyers comme un pays en ruine, gouverné par un dictateur corrompu. Pour beaucoup de spectateurs étrangers, cette série a été leur premier contact avec la réalité vénézuélienne.

Mais ce qui semblait une simples fiction coïncidait de manière suspecte avec l'ordre du jour de Washington de montrer Caracas comme un Etat défaillant, incapable de se soutenir sans intervention extérieure.

«Effondrement », « dictature », « crise humanitaire sans précédent». Pendant plus de 20 ans, l'image du Venezuela a été filtrée pour le monde à travers des titres et des écrans de cinéma qui, selon de plus en plus de spécialistes, répondent moins à un récit fidèle de la réalité qu’à un récit soigneusement construit. Derrière cette construction symbolique se cache un réseau d'intérêts politiques et économiques liés à la politique étrangère des États-Unis.

Un scénario médiatique écrit d’avance

Le chercheur britannique Alan MacLeod a étudié des milliers de notes de presse publiées par le New York Times, le Washington Post ou la BBC sur le Venezuela, entre 1998 et 2014. Sa conclusion est convaincante : « La couverture présente de manière systématique le Gouvernement comme illégitime, autoritaire et corrompu, alors qu'il amplifie la voix des opposants et réduit au silence d'autres sources locales. »

Selon lui, c'est un exemple classique du modèle de propagande de Herman et Chomsky : les élites médiatiques reproduisent et légitiment la politique étrangère des États-Unis sous l'apparence d'une information objective.

L’économiste Mark Weisbrot, co-directeur du Center for Economic and Policy Research (CEPR) dénonce la même chose. Pour Weisbrot, les grands médias « ont exagéré ou transformé des données économiques clé de l'inflation à la production pétrolière afin de renforcer l'image d'un pays en ruine, à cause de son propre modèle politique. »

Cette simplification a servi à justifier des sanctions et des blocus financiers qui, paradoxalement, ont aggravé les conditions que ces mêmes médias  dénoncent.

Quand on analyse la couverture journalistique occidentale du Venezuela, plusieurs lignes se détachent. On donne la priorité à des sources de l'opposition, on choisit des cadrage dans l'intention de montrer la violence, l'absence d'approvisionnement et l'incapacité du Gouvernement à gérer une crise.

Les médias en général omettent complètement dans leurs récit des facteurs structuraux comme les sanctions et la persécution financière imposées par les États-Unis. L'utilisation d'étiquettes répétées comme « dictateur », « narco-Etat », « désastre humanitaire » pour justifier un scénario de soi-disant effondrement fait aussi partie des éléments les plus importants de la manipulation.

L'écho d’Hollywood

Mais la construction d'imaginaires ne se produit pas seulement dans la presse. Le cinéma et les productions audiovisuelles jouent aussi un rôle décisif. La chercheuse Ximena Méndez Mihura a étudier la façon dont, dans les films d'Hollywood et les séries de télévision, les stéréotypes sur l'Amérique latine sont reproduits : pays violents, scènes de trafic de drogue, Gouvernements autoritaires incapables de garantir le bien-être.

« Quand un spectateur moyen entend le mot « Venezuela », souvent, cela évoque un souvenir visuel tissé par Hollywood : rues en chaos, militaires corrompu, forêts dangereuses, » signale Méndez Mihura.

Ces clichés fonctionnent comme « une toile de fond culturelle », qui normalise les récits médiatiques hostiles. Si la presse parle de crise et de dictature, le cinéma a déjà préparé le public à l'imaginer sans grande résistance.

Le cas du Venezuela est exemplaire dans cette guerre culturelle. Tandis que le Gouvernement de Donald Trump intensifie les châtiments économiques et les pressions diplomatiques sur Caracas, la culture audiovisuelle nord-américaine offre un récit parallèle qui valide l'idée que le pays a besoin d'une aide extérieure.

La seconde saison de la série Jack Ryan (Amazon Prime, 2019) se déroule dans un Venezuela fictif, gouverné par un dictateur corrompu entouré de militaires sanguinaires et de mafias du trafic de drogue. Dans cette fiction, le pays apparaît comme un Etat défaillant dans lequel le chaos social ne peut être contenu que grâce à l'intervention d'un agent des États-Unis.

Le récit est clair : le peuple Venezuela est condamné à la misère jusqu'à ce que Washington « sauve » la situation. Ce n'est pas un hasard que le dictateur qui gouverne le Venezuela s'appelle Nicolas et que son opposant politique est une femme.

Mais ce n'est pas un cas isolé. Des films, des journaux télévisés et des documentaires produits aux États-Unis répètent avec insistance des images d'absence d'approvisionnement, de longues queues, d’émigration massive et de violences de rue. Sorties de leur contexte, ces pièces construisent un imaginaire collectif dans lequel le Venezuela se résume à une seule formule : crise, perpétuelle.

Il y a d'autres exemples cinématographiques récents qui, même s'ils ne situent pas l’action principale au Venezuela, font allusion à ce pays en tant que route du trafic de drogue et ennemi des États-Unis. Hasard ?

Ce que beaucoup de spectateurs ne savent pas, c'est qu'une grande partie des super productions qui glorifient la politique étrangère des États-Unis n'aurait pas été possible sans l'intervention directe de l'État. Depuis des décennies, il existe une collaboration officielle bien que peu diffusé entre Hollywood, le département de la défense et la CIA.

Dans « Operation Hollywood » (2005), le journaliste David L. Robb révèle que le Pentagone a un bureau qui se consacre à réviser les scénarios. Sa fonction : garantir que les forces armées apparaissent toujours sous une lumière positive. En échange, les producteurs ont accès à du matériel très cher : avions de combat, bateaux de guerre, hélicoptères et bases militaire. Le pacte est simple : si tu veux utiliser les jouets les plus chers du monde, tu dois raconter l'histoire que le Pentagone veut.

Récits de crise et objectifs politiques

Pourquoi cette insistance à montrer le Venezuela sous un seul prisme ? La réponse, selon les spécialistes, se trouve dans les objectifs stratégiques.

En présentant la crise comme produite exclusivement par la soi-disant « inaptitude du Gouvernement », on omet l'impact des mesures de coercition économique imposées unilatéralement par les États-Unis et leur ingérence permanente dans les affaires intérieures du pays.

« Le récit médiatique construit l'idée que le Gouvernement est illégitime et, par conséquent, ouvre la porte à la reconnaissance de dirigeants alternatifs, note le chercheur MacLeod qui analyse la couverture de la reconnaissance de Juan Guaido en 2019. Bien que le format d'un président autoproclamé n'ait pas convenu à la Maison Blanche, ils ont repris la même façon d'agir avec Edmundo Gonzalez en 2024, en le reconnaissant comme le président bien qu'il ait perdu les élections.

Pour l’économiste Mark Weisbrot, le discours du « Venezuela défaillant » remplit aussi une fonction géopolitique : faciliter l'accès aux vastes ressources pétrolières et stratégiques du pays.

Mais il existe des tentatives contre cette hégémonie du récit. Le documentaire « La révolution ne sera pas télévisée » (2003), dirigé par Kim Bartley et Donnacha Ó Briain, montre ont le rôle actif joué par les chaînes privées vénézuéliennes pendant le coup d'Etat de 2002.

Des années plus tard, Oliver Stone a lancé South of the Border (2009), un regard critique sur la politique de Washington envers l'Amérique du Sud. Ces productions ont été reçues avec scepticisme dans les circuits traditionnels mais sont devenues des pièces de référence pour comprendre que le récit sur le Venezuela n'est ni unique ni neutre.

Escalade dans les Caraïbes : le front militaire du récit

Parallèlement à la guerre médiatique et culturelle, les tensions ont explosé récemment avec le déploiement de bateaux des États-Unis dans les eaux proches du Venezuela. En septembre 2025, le président Donald Trump a ordonné une opération navale contre de soi-disant bateaux de trafiquants de drogue provenant du Venezuela.

Washington a justifié cette mesure dans le cadre de sa « guerre contre le trafic de drogue ». Mais des analystes internationaux signalent que cette action répond à des objectifs plus larges : le plus visible consiste à lier le Venezuela avec le trafic de drogue comme cadre discursif pour légitimer une intervention directe.

« Ces opérations navales envoient un message non seulement à Caracas, mais également à des puissances comme la Russie, la Chine et l'Iran qui ont augmenté leur présence au Venezuela, », soutient le chercheur Michael Shifter.

D'autre part, et ce n'est pas le moins important, les Caraïbes sont le corridor stratégique pour les routes du brut et du gaz vénézuélien. S'assurer cette zone permet aux États-Unis de poser leurs conditions aux exportations et de rendre difficiles les alliance énergétiques alternatives du Venezuela.

Selon l'analyste vénézuélienne Elsa Cardozo, le nouveau scénario de tensions entre Caracas et Washington conviennent à Trump car « il cherche à capitaliser politiquement l'image d'un président fort qui combat des ennemis étrangers, en renforçant ainsi son récit électoral d'ordre et de sécurité. »

Le fait que le président des États-Unis ait annoncé en moins de deux semaines à travers des vidéos, l'attaque de trois bateaux de soi-disant trafiquants de drogue   dans les Caraïbes qui a fait 14 morts attire l’attention.
Mais Washington n’a donné ni noms, ni  preuves, ni de drogue saisie. Au Sénat des États-Unis lui-même, on a remis en question non seulement la véracité des faits, mais la légalité de ceux-ci.

De cette façon, le front militaire dans les Caraïbes s'intègre dans  la même logique qui domine le récit médiatique et cinématographique : montrer le Venezuela comme une menace mondiale et non comme un État souverain. La différence est qu’ici, il ne s'agit pas de titres de films mais de bateaux de guerre dans une région déclarée zone de paix par la CELAC.

En dernier recours, ce qui est en litige autour du Venezuela, ce n'est pas seulement la représentation d'un pays mais le droit à décider de son propre destin. La manipulation médiatique et cinématographique cherche à créer des consensus internationaux qui justifient les sanctions, les blocus et les déploiements militaires.

Face à cela, le Gouvernement de Nicolas Maduro insiste sur le fait que sa stratégie n'est pas une stratégie d'affrontement mais de défense de la souveraineté nationale, convaincu que la bataille pour l'image est aussi décisive que la bataille militaire ou la bataille économique. Le défi, alors, n'est pas seulement de démonter un récit manipulé, mais de résister à l'imposition d'un ordre dicté de l’extérieur.

Source en espagnol :
https://www.resumenlatinoamericano.org/2025/09/23/pensamiento-critico-la-venezuela-de-los-otros-como-medios-y-cine-fabrican-una-narrativa-de-crisis/
URL de cet article :

https://bolivarinfos.over-blog.com/2025/09/pensee-critique-comment-les-medias-et-le-cinema-fabriquent-un-recit-de-crise-au-venezuela.html