Pérou : Nouveau coup de la droite contre les institutions
Par Carlos Noriega
Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine–Bolivar Infos
Délia Espinoza a enquêté sur la présidente Dina Boluarte et l'accusée, elle et son frère, ainsi que des ministres des membres du Congrès.
Un coup contre les institutions démocratiques –ce qu'il en reste– pour instrumentaliser politiquement le système judiciaire. Ce coup a été donné par le Gouvernement de Dina Boluarte et ses alliés d’extrême-droite qui contrôlent le Congrès et la maintiennent au pouvoir.
La procureur de la nation, Délia Espinoza, qui a enquêté sur Boluarte et l’a accusée, ainsi que son frère, des ministres et des membres du Congrès, a été destituée par le Conseil Nationale de la Justice (JNJ) nommé par la majorité de droite qui contrôle le Congrès. La veille de sa destitution, la procureur générale avait dénoncé le parti fujimoriste Force Populaire (FP) pour « conduite antidémocratique » et demandé au pouvoir judiciaire que ce groupe politique dirigé par Keiko Fujimori, soit rendu illégal.
L'accusation du procureur contre FP, qui se réclame de la dictature d'Alberto Fujimori (1990–2000) est divisée en quatre charges distinctes. La première évoque les attaques, les menaces et les hostilités des dirigeants de FP contre les procureurs qui ont enquêté sur Keiko Fujimori et l'ont accusée de blanchiment d'argent et d'organisation criminelle, contre des magistrats du système électoral qui ne sont pas prêtés à leurs intérêts et contre des journalistes qui critiquent le fujimorisme et cherchent à promouvoir « une campagne de persécution » et « des attentats contre l'intégrité » de ces personnes.
Le second point indique que FP fonctionne comme une organisation dictatoriale dans laquelle on organise des opérations de représailles contre les militants qui ont une opinion différente de celle de Keiko Fujimori.
Le troisième point remet en question le récit fujimoriste qui nie les violations des droits de l'homme commises par les forces de sécurité pendant le conflit armé interne entre 1980 et 2000 et qui justifie des massacres comme ceux de La Cantuta, Barrios Altos et d'autres, commis par l’escadron de la mort Colina qui opérait sous les ordres du Gouvernement d'Alberto Fujimori et l'accuse de se servir de son pouvoir au Congrès pour faire passer des lois d’impunité pour ceux qui violent les droits de l'homme, comme la récente loi d’amnistie.
Le quatrième point de l'accusation signale que FP légitime l'violence comme méthode politique, ce qui, dit la procureur, s'exprime par la promotion de groupe violent qui attaque. Il remet aussi en question la tentative du Fujimorisme d'annuler les élections de 2020, gagné par Pedro Castillo, avec une fausse dénonciation de fraude électorale.
Si la dénonciation de la procureur est prise en considération, le Fujimorisme ne pourra pas participer aux élections générales de 2026. Mais c'est à la Cour Suprême que revient la décision finale dans cette affaire. Le Gouvernement de Boluarte est rapidement venu défendre ses alliés fujimoristes et attaquer la procureur pour cette dénonciation. Une réaction révélatrice. Espinoza a accusé le Gouvernement de violer l'autonomie du procureur et la neutralité électorale. Cette accusation contre le parti fujimoriste a été la dernière action d'Espinoza en tant que chef du bureau du procureur de la Nation.
De quoi l’accuse-t-on ?
La destitution de la procureur générale s'est concrétisé sous la figure d'une suspension pour six mois qu'il l'éloigne de sa charge. Après, ce délai viendra la destitution définitive. Le JNJ, un organe qui nomme et destitue les procureurs et les juges, l'accuse d'avoir refusé de respecter une décision du JNJ lui-même qui, en juin dernier, avait réinstallé comme procureur de la nation Patricia Benavides, qui avait été séparée de sa charge par le JNJ précédent, en novembre 2023, parce qu'elle avait été accusée de corruption, ce qui incluait l'achat de voix au Congrès en échange de l'archivage de dossiers d'accusation contre des législateurs, de la destitution d'une procureur qui enquêtait sur sa sœur juge accusée de libérer des trafiquants de drogue en échange de pots-de-vin et de l'archivage postérieur de cette accusation, entre autres charges. En tant que procureur de la nation, Benavides soutenait les intérêts de la majorité parlementaire de droite.
Espinoza, avec le soutien d'autres procureurs suprêmes, avait refusé de remettre en place Benavides comme procureur de la nation, en disant que le JNJ pouvait la replacer comme procureur suprême mais n'avait pas la faculté de décider qui exerçait la charge de procureur de la nation, ce qui ne peut être décidé que par le Conseil des Procureurs Suprêmes. Par conséquent, elle l'avait dénoncé cette décision comme anticonstitutionnelle. Après une longue dispute, Benavides a été remise en place comme procureur suprême mais pas comme procureur de la nation et Espinoza est restée à son poste. Le JNJ a accepté cette décision mais, avec les applaudissements du Gouvernement et de la majorité parlementaire, a engagé le processus de destitution d’Espinoza.
La procureur de la nation destituée était attaquée en permanence par le Gouvernement et la droite parlementaire. Ses investigations sur d'importantes personnalités du pouvoir, dont la présidente et son entourage, le plus proche, il avait mise en point de mire. Espinoza, qui a été nommée procureur de la nation en octobre 2024, a accusé devant le Congrès Boluarte de la mort d'une cinquantaine de personnes pendant les protestations contre son gouvernement et de plusieurs affaires de corruption mais la présidente a eu la protection de la majorité parlementaire. Elle a également enquêté, pour trafic d'influence, organisation criminelle et d'autres charges, sur le frère de la présidente, le chef du cabinet ministériel, le ministre de la justice et plusieurs fonctionnaires du Gouvernement et membres du Congrès. La procureur a accusé Keiko Fujimori de blanchiment d'argent et d'organisation criminelle.
Mafia judiciaire
Le départ de la procureur de la nation ouvre la porte à la coalition de droite qui gouverne et dans laquelle le fujimorisme joue un rôle clé pour qu'elle prenne le contrôle du bureau du procureur de la nation. Espinoza doit être remplacée par un procureur suprême par intérim jusqu'à ce que le Conseil des Procureurs Suprêmes convoque une élection parmi ses membres.
Avec le départ d’Espinoza et le retour de Benavides et de deux autres procureurs suprême qui avaient été licenciés, accusé de faire partie d'une mafia judiciaire liée au fujimorisme -l'une de ces réintégrations s'est déjà concrétisée et l'autre est en marche– les procureurs suprêmes favorables à la coalition de droite qui gouverne restent bien placés pour choisir le nouveau procureur de la nation. Accaparer le système judiciaire est un objectif central pour cette coalition au pouvoir –connue comme « coalition mafieuse » avec Dina Boluarte et Keiko Fujimori à sa tête– pour obtenir l'impunité pour ses membres accusés de corruption et d’ autres méfaits. Elle a déjà le contrôle du tribunal constitutionnel, du comité national de justice et de la défense du peuple, et maintenant un pas important a été fait pour qu'elle s'accapare le bureau du procureur de la Nation.
Espinoza a qualifié sa destitution, « d'illégale et anticonstitutionnelle », et elle a dénoncé le fait qu’après qu’elle ait pris son poste de procureur de la nation, le Gouvernement lui a demandé « d'être aimable », ce qu'elle a refusé. « Ils ont commencé à voir les fruits de notre travail, des plaintes constitutionnelles dûment soutenues et ils nous ont insultés et menacés. En commençant par la présidente de la République, » a-t-elle signalé. La procureur destituée a prévenu que la Cour Suprême serait la prochaine victime du pouvoir politique qui cherche à capturer tout le système judiciaire.
Hier, une mobilisation contre le Gouvernement et le Congrès a rejeté cette opération de captation du système judiciaire et électoral par la droite parlementaire et le Gouvernement aux cris de « à bas la dictature ! » On a entendu le soutien à la procureur destituée Espinoza. La police a réprimé les manifestants dans le centre de Lima avec des gaz et des coups. Au moment où j'envoie cet article, les affrontements continuent.
Source en espagnol :
https://www.resumenlatinoamericano.org/2025/09/23/peru-nuevo-golpe-de-la-derecha-al-sistema-institucional-de-peru/
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