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Économie : Le mythe de l'indépendance des banques centrales

5 Octobre 2025, 15:08pm

Publié par Bolivar Infos

 

Thomas Fazi

Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine–Bolivar Infos

A Washington, la scène était prête pour un affrontement classique. Stephen Miran, l'un des principaux conseillers économiques de Trump était assis face au comité bancaire du Sénat pour témoigner sur sa nomination à la puissante direction de la réserve fédérale. L’ implacable campagne du président pour mettre à genoux la banque centrale la plus influente du monde devant sa volonté prenait de l’ampleur.

Pendant des années, Trump a critiqué le président de la FED, Jérôme Powell, le qualifiant « d'imbécile » et de « têtu comme une mule » parce qu'il refusait de baisser les taux d'intérêt quand on le lui ordonnait. Mais maintenant, la rhétorique s'est transformée en action et Trump a licencié la gouverneur, Lisa Cook en l'accusant de fraude hypothécaire (bien qu'une juge ai dit que ce licenciement n'était pas légal). Miran, un acolyte qui a défendu publiquement le droit du président à destituer les gouverneurs de la FED selon son bon plaisir mais qui a promis dans son témoignage écrit de défendre la précaire indépendance de la FED, entre en scène.

Cet affrontement dramatique a créé un froid dans les couloirs des finances mondiales : l'indépendance des banques centrales, nous dit-on, est gravement menacé. Les gardiens de l'orthodoxie économique –des gouverneurs des banques centrales aux économistes et aux experts les plus connus– tirent la sonnette d'alarme en prévenant que le contrôle politique de la politique monétaire serait « un très grave danger » pour l'économie mondiale et « saperait les ciments même de notre démocratie. » Cela a été le refrain dominant pendant ces 40 dernières années. Le discours est clair : les banques centrales indépendantes sont des bastions technocratiques contre les caprices populistes et à court terme des politiciens et leur autonomie synonyme de stabilité économique et de santé démocratique.

Le concept d'indépendance de la banque centrale est né de la crise de la stagflation des années 70. Selon les économistes de l'école de Chicago, il ne serait pas possible d'avoir confiance dans des politiciens myopes et avides de voix pour gérer la politique monétaire : ils seraient tentés de stimuler l'économie avec des taux bas avant les élections en prenant le risque d'une inflation à long terme en échange de bénéfices à court terme. La solution était de remettre les clés de l’économie à un groupe d'experts soi-disant apolitiques et neutres, des technocrates insensibles aux pressions électorales qui pourraient prendre des décisions difficiles et nécessaires pour la santé à long terme de l’économie.

Cette idée s'est répandue dans le monde entier dans les années 80 90. Des pays comme le Royaume-Uni, le Canada et la Suisse ont accordé à leur banque centrale une indépendance légale. Le point culminant de ce mouvement a été la création de la banque centrale européenne en 1998, conçue à partir de rien pour être férocement indépendante et exclusivement centrée sur la stabilité des prix. Jusqu'à présent, cela reste un dogme irréfutable. Comme la déclarer au début de cette année, la directrice du  FMI  Kristalina Georgieva, « L'indépendance essentielle pour gagner la lutte contre l'inflation et obtenir une croissance économique stable à long terme. » Toute menace, celle-ci est considéré comme une hérésie économique. Mais ce dogme s'effondre à l’examen.

La réfutation, la plus convaincante est aussi la plus simple : le mythe de l'indépendance a toujours été seulement un mythe. Comme le disait l'économiste, James Galbraith, les, rapports historiques, montrent que, depuis sa création, la FD a été un enfant de l'État. Créée par le Congrès en 1913, ses pouvoirs sont accordés, limités et révisés par la loi. La loi Humphrey-Hawkins de 1978 l’a également soumise à l'examen périodique du Congrès. En d'autres termes, le Congrès a toujours le dernier mot. Il nomme les dirigeants de la FED et, ce qui est plus important, a la faculté légale d'exiger des changements en politique, une menace qu’il a exercée en 1982. Le président de la FED lui-même, Ben Bernanke, a admis un jour que « la FED fera ce que le Congrès lui dira de faire. » Par conséquent, le débat ne devrait pas être centré sur la défense d'une fiction mais sur le fait de décider devant qui doit répondre la FED : le Gouvernement –comme le voudrait Trump–, le pouvoir législatif, ou, dans l'idéal, le public.

De plus, au niveau pratique et opérationnel, les banques centrales ne peuvent être totalement indépendantes du TRESOR. Les fonctions des deux doivent se coordonner Roman chaque jour pour garantir que les objectifs politique de chacun puisse être atteint. Ce sont deux ailes du même organisme gouvernemental, pas des entités séparées. C'est le cas dans la majorité des pays occidentaux : un ancien gouverneur de la banque de la réserve d'Australie, par exemple, a signalé en 1994 que la législation de la plupart des démocraties permettait au Gouvernement élu d'avoir la prééminence sur la banque centrale. En d'autres termes, l'indépendance a toujours été conditionnelle, une illusion soigneusement gérée. La seule exception réelle est la BCE, un point sur lequel nous reviendrons par la suite.

L'indépendance des banques centrales peut être une illusion mais c'est une illusion qui a été extraordinairement utile aux élites. Elle a été l'un des outils néolibéraux les plus puissants pour dépolitiser des mesures économiques impopulaires comme l'austérité ou les taux d'intérêt élevés en permettant au Gouvernement élu de détourner la responsabilité vers des entités « extérieures »  les bureaux du budget ou les banques centrales « indépendantes » pour des politiques qu’il soutenait mais avait peur de vendre public.

En Grande Bretagne et dans d'autres endroits, on accuse encore une fois les Gouvernements de « dépenser excessivement », et on dit aux citoyen que l'augmentation du déficit et le rendement des bons ne laissent pas d'autres possibilités que de faire baisser les dépenses ou d'augmenter les impôts (sauf pour les riches) et même, dans certains cas, d'envisager un sauvetage du FMI.

Mais ceci est un mythe de plus : bien que les déficits fiscaux soient habituellement liés à l'émission de bons –ce qui apparemment donne au marché privé une influence sur les Gouvernements– en réalité, les banques centrales peuvent toujours intervenir (et elles le font) en achetant elle-même des bons et en fixant les rendements selon leur bon plaisir. Le véritable problème réside dans les structures comptables délibérément opaques qui cachent ce fait en perpétrant l'illusion d'une discipline du marché qui en réalité n'existe pas.

Il n'est pas étonnant que la classe se dirigeante est paniquée, puisque les actions de Trump risque de laisser à découvert son cynique artifice. Surtout parce que l'air de la soi-disant indépendance des banques centrales a été un défilé d'échecs catastrophiques. Ces experts technocrates n'ont pas su prévoir la crise financière de 2008. Ils ont ensuite passé une décennie sans parvenir à ramener l'inflation à leurs objectifs. Et à partir de 2020, ils ont échoué lamentablement en ne voyant pas arriver la vague inflationniste, réagissant par le cycle de hausse des taux le plus agressif depuis des décennies, sans parvenir à réduire l’inflation. 

Cela n'est pas seulement dû au fait que les banques centrales privilégient des politiques qui bénéficient au secteur financier aux dépens de l'économie réelle. En dernière instance, c'est parce qu'on a exagéré leur pouvoir pour diriger l'économie. Dans le passé, la réserve fédérale pouvait influer sur l'économie grâce aux banques commerciales. Aujourd'hui, la banque dans l'ombre et le marché des capitaux mondiaux éclipsent leurs outils traditionnels parce qu'ils ne mentionnent pas le fait que le véritable moteur de l'inflation, l'offre et la demande, échappe dans une grande mesure au contrôle des banques centrales. Galbraith l’a dit sans détour : « il y a 50 ans, les actions de la réserve fédérale avaient de l'importance. Aujourd'hui, non. » Leur politique n'ont souvent rien fait d'autre qu'exacerber les inégalités et alimenter les bulles financières, ce qui montre que leur expérience technocratique est une nombre du pouvoir qui leur est attribué.

En tout cas, même si une véritable indépendance était possible, elle ne serait pas du tout souhaitable puisque l'institution ne devrait rendre de comptes à personne. Il suffit de regarder la seule banque centrale importante conçue pour être totalement indépendante des institutions démocratiques: la Banque Centrale Européenne. Alors que dans les pays qui émettent de la monnaie, la banque centrale dépend effectivement du Gouvernement ou des institutions représentatives, cette relation s'inverse dans la zone euro où les Gouvernements dépendent de leur banque centrale.

Suite à la crise financière, la BCE s'est révélée un acteur brutalement politique. En 2011, elle a obligé Silvio Berlusconi à démissionner de son poste en faveur de Mario Monti qui n'avait pas été élu et a provoqué réellement une crise fiscale en suspendant  les achats de bons italiens par la banque centrale. Ensuite, en 2015, elle a fermé arbitrairement le système bancaire grec pour obliger un Gouvernement élu à accepter l’austérité.

Bref, en adoptant l'euro, les pays européens ont non seulement cédé le contrôle de leur politique monétaire à une autorité supranationale –une mesure sans précédent dans l'histoire monétaire– mais ils l'ont cédé à une autorité qui a un ordre du jour socioéconomique clair, mis en place par l'élite. Cela met une évidence la réalité d'une banque centrale qui est véritablement indépendante des mécanismes démocratiques.

Mais même les Gouvernements qui émettent de la monnaie ne sont pas hors d'atteinte. Le destin de la première ministre britannique Liz Truss en est un bon exemple. Le récit dominant est que les « marchés » ont puni Truss à cause d'un budget irresponsable. La réalité, comme l’a signalé Narayana Kocherlakota, l'ancienne présidente de la réserve fédérale de Minneapolis, est que « les marchés n'ont pas renversé Truss, c'est la banque d'Angleterre qui l'a fait. » Le véritable péché de Truss était d'avoir défié le récit orthodoxe et remis en question les compétences de la Banque, pas ses politiques économiques, certainement discutables.

L'une de ses premières mesure et de le plus haut responsable du Trésor, symbole du conservatisme fiscal et de la déférence envers la banque centrale. En réponse, la banque d'Angleterre, en refusant délibérément de calmer rapidement les turbulences du marché à orchestre efficacement, ça chute. Truss est bien sûr responsable de ne pas avoir tenu tête à la banque centrale et de ne pas avoir insisté pour qu'elle s'aligne sur la politique du Gouvernement élu. Ce fut une dure leçon sur la manière dont le mythe de l'indépendance permet à des institutions qui ne rendent deux comptes à personne de bloquer le programme d'un Gouvernement élu.

Le véritable débat que nous devrions avoir, alors, ne concerne pas la préservation d'un mythe mais une nouvelle conception du système pour obtenir une véritable responsabilité démocratique. L'arrivée de l'assouplissement quantitatif a démontré ce que les critiques avaient toujours dit : l'argent ne se crée pas à partir de rien. La question urgente est: « Qui contrôle ce processus  et dans quel but? » L'idéal serait que la banque centrale et le trésor se renforcent officiellement. Il n'y a aucune raison technique pour qu'une partie de l'État « prête » à l’autre.

Cela mettrait fin à la confusion, ferait que la politique macro-économique serait pleinement responsable devant les électeurs et réorienterait nos efforts vers l'investissement. Les implications sont particulièrement graves pour les pays de la zone euro : la seule façon de rétablir une véritable responsabilité démocratique est d'abandonner la monnaie unique de récupérer sa souveraineté économique. Jusqu'à ce que nous brisions le mythe de l'indépendance de la banque centrale, nous continuerons à être coincés dans un système dans lequel le pouvoir économique s'exerce sans responsabilité, un système qui non seulement est inefficace mais corrode de la démocratie elle-même.

Source espagnol :
http://www.cubadebate.cu/especiales/2025/10/04/el-mito-de-la-independencia-de-los-bancos-centrales/
URL de cet article :

https://bolivarinfos.over-blog.com/2025/10/economie-le-mythe-de-l-independance-des-banques-centrales.html