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Amérique Latine : L'Amérique Latine menacée d'un retour en arrière

20 Juillet 2018, 16:41pm

Publié par Bolivar Infos

 

par Frei Betto

Il n'y a eu sur aucun autre contient, des changements aussi importants pendant ces 30 dernières années, qu'en Amérique Latine et dans les Caraïbes. Les défis qui se présentent aux 33 pays et à leurs 600 millions d'habitants sont grands.

 

Après l'échec du TLCAN (Traité de Libre Commerce entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, avec le Chili comme associé) et le rejet de la proposition de la ZELA (Zone de Libre Commerce des Amériques) par la majorité des pays du Continent, celui-ci a commencé son parcours par son propre chemin. L'Amérique Latine et les Caraïbes ont atteint, finalement, leur majorité.

 

Beaucoup de facteurs ont contribué à cette avancée. D'abord, la résistance de la Révolution Cubaine qui n'a pas succombé aux agressions des Etats-Unis ni à la suite de la chute du Mur de Berlin ni à la suite de l'échec de l'Union Soviétique.

 

Vint ensuite le rejet, aux élections, des candidats qui incarnaient la proposition néolibérale et la victoire de ceux qui s'identifiaient aux revendications du peuple et en particulier des plus pauvres : Chávez, Daniel Ortega, Lula, Bachelet, Kirchner, Mujica, Correa, Morales, etc... Plusieurs organismes ont été créés pour renforcer l'intégration du continent : l'ALBA, la CELAC, Telesur, l'UNASUR, la CARICOM, l'ALADI, le Parlatino, le Sica, etc...

 

Beaucoup de difficultés, cependant, se profilent à l'horizon. Dans cette économie mondialisée et dans laquelle le capitalisme néolibéral a l'hégémonie, la crise des monnaies fortes comme le dollar et l'euro affecte négativement les pays du continent. Bien qu'il y ait des avancées dans le combat contre la pauvreté extrême, la région abrite encore aujourd'hui des millions de miséreux, les salaires des travailleurs sont bas par rapport à l'inflation qui fait augmenter le prix des besoins vitaux, les inégalités sociales augmentent de façon vertigineuse (sur les 15 pays où les inégalités sont les plus fortes, 10 se trouvent sur le Continent).

 

En Europe, où la crise économique a mis au chômage plus de 30 millions de personnes, des jeunes pour la plupart, il n'y a plus de gauche capable de proposer des alternatives. Le Mur de Berlin est tombé sur la tête des partis et des militants de gauche, presque tous cooptés par le néolibéralisme. Et maintenant, les attentats terroristes renforcent la xénophobie, la politique des portes fermées aux réfugiés, les partis de droite qui défendent une «  Europe pour les Européens » et un Etat policier.

 

Dans les pays de la CELAC, la dépendance traditionnelle de l'économie envers le marché extérieur donne des indices d'une crise qui tend à s'aggraver. Les indices de croissance du PIB s'effondrent, l'inflation ressurgit et la désindustrialisation et l'exode rural s'aggravent avec l'expansion consécutive de la grande propriété.

 

L'appauvrissement

 

Il ne suffit pas de tenir un discours et d'avoir des politiques progressistes s'ils n'ont pas de correspondance dans les programmes économiques et si ceux-ci ne leur sont pas conformes. Et nos économies continuent à être sous la pression des pays de la métropole, d'organismes complètement contrôlés par les patrons du système (FMI, Banque Mondiale, OCDE, etc...), d'un système de tarifs, en particulier du prix des aliments, intrinsèquement injustes et selon lequel les bénéfices privés du marché ont plus d'importance que la vie des gens.

 

La Banque Mondiale (BM) alerte sur la fait que 241 millions de Latino-américains peuvent tomber dans la pauvreté. C'est ce Bauman a appelé la précarisation ou l'appauvrissement. Ces 241 millions ne sont pas pauvres et ne peuvent pas non plus être considérés comme faisant partie de la classe moyenne. Ils constituent 38% de la population du Continent où sont considérés comme pauvres ceux qui se voient obligés de survivre avec moins de 4 dollars par jour.

 

Aujourd'hui, la moitié de la population adulte de l'Amérique Latine vit du travail illégal à cause de la crise économique qui affecte les pays émergents comme le Brésil, le Mexique, l'Argentine et le Venezuela.

 

Depuis que les Espagnols et les Portugais sont arrivés sur notre terre natale, l'économie du continent dépend de l'exportation des matières premières. Cependant, les grands importateurs comme la Chine et l'Europe Occidentale donnent des signes de déclin.

 

Aujourd'hui, sont considérées comme pauvres, en Amérique Latine, 167 millions de personnes et 71 millions sont dans la misère (elles survivent avec au lus 1 dollar par jour). Au Brésil, la misère atteint maintenant 12% de la population et est aggravée par l'ajustement fiscal du Gouvernement putschiste de Temer qui affecte les politiques sociales et inhibe la croissance du PIB.

 

Tous les Gouvernements progressistes qui sont regroupés aujourd'hui dans la CELAC savent qu'ils ont été élus par les mouvements sociaux et es segments les plus pauvres qui constituent la majorité de la population. Cependant, y a-t-il un travail effectif pour organiser les segments populaires ? Les mouvements sociaux sont-ils des acteurs des politiques des Gouvernements ou de simples bénéficiaires des programmes d'assistanat de combat contre la pauvreté qui ne les émancipent pas ?

 

Comme les Gouvernements populaires démocratiques d'Amérique Latine traitent-ils les segments de la population qui bénéficient de leurs politiques sociales ? Y a-t-il une détermination d'intense alphabétisation politique de la population ou une mentalité consumériste se répand-elle ? 

 

Individualisme et conservatisme 

 

Il est indéniable que le niveau d'exclusion et de misère provoqué par le néolibéralisme exige des mesures d'urgence qui n'échappent pas au simple assistanat. Cependant, cet assistanat se limite à l'accès à des bénéfices personnels (bons financiers, école, soins médicaux, crédit plus facile, dotation en produits de base, etc...) sans qu'il y soit complété par des processus pédagogiques de formation et d'organisation politiques.

 

Ainsi se créent des réduits électoraux sans adhésion à un projet politique alternatif au capitalisme. On donne des bénéfices sans donner d'espoir. On encourage l'accès à la consommation sans favoriser la naissance de nouveaux acteurs sociaux et politiques et, ce qui est plus grave, sans percevoir qu'au sein de l'actuel système de consommation, les marchandises recyclables sont imprégnées de symboles qui valorisent le consommateur et non le citoyen. Le capitalisme post-néolibéral introduit des « valeurs » comme la compétitivité et la marchandisation de tous les aspects de la vie et de la nature en renforçant l'individualisme et le conservatisme.

 

Nos gouvernements progressistes, dans leurs multiples contradictions, critiquent le capitalisme financier et en même temps, encouragent les segments les plus pauvres à utiliser les services d'une banque grâce à des cartes d'accès à des bénéfices monétaires, à des pensions et à des salaires et à la facilité du crédit malgré la difficulté à payer les intérêts et la liquidation des dettes.

 

Le danger est de renforcer, dans l'imaginaire de la société, l'idée que le capitalisme est pérenne (« L'histoire est finie, » a proclamé Francis Fukuyama) et que, sans lui, il ne peut y avoir de processus véritablement démocratique et civilisateur. Ce qui signifie diaboliser et exclure, même par la force, tous ceux qui n'acceptent pas cette « évidence » et ils sont considérés comme terroristes, ennemis de la démocratie, subversifs ou fondamentalistes.

 

Cette logique se renforce quand, dans des campagnes électorales, les candidats de gauche accentuent avec force leur confiance dans le marché, le désir d'attirer les investissements étrangers, la garantie que les patrons et les banquiers amèneront plus de bénéfices, etc...

 

Vers des réformes structurelles ?

 

Pendant un siècle, la logique de la gauche n'a jamais affronté l'idée de dépasser le capitalisme par étapes. C'est une donnée nouvelle qui exige beaucoup d'analyse pour mettre en place des politiques qui empêchent les processus démocratiques populaires actuels d'être renversés par le grand capital et par ses représentants politiques de droite.

 

Ce défi ne peut dépendre uniquement des Gouvernements. Il s'étend aux mouvements sociaux et aux partis progressistes qui, le plus vite possible, ont besoin d'agir comme des « intellectuels organiques » en socialisant le débat sur les avancées et les contradictions, les difficultés et les propositions pour toujours élargir plus l'imaginaire centré sur la libération du peuple et la conquête d'un modèle de société post-capitaliste véritablement émancipateur.

 

La tête pense où marchent les pieds. Nos gouvernements progressistes courent le sérieux danger d'être tués par la contradiction entre la politique de gauche et l'économie de droite s'ils ne mobilisent pas le peuple pour mettre en place des réformes structurelles. Et le principe du violon qui se tient avec la main gauche et se joue avec la droite...

 

Cela ne s'obtient pas simplement avec plus de haricots dans l'assiette et plus d'argent dans le porte-monnaie. Ce sera un oui s'il existe une formation capable d'imprimer dans chaque citoyen la conviction qu'il vaut la peine de vivre et de mourir pour que tous puissent vivre et vivre dans l'abondance, comme l'a dit Jésus (Jean 10, 10).

 

traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos

 

Source en espagnol:

http://www.cubadebate.cu/opinion/2018/07/19/america-latina-amenazada-con-retroceder/#boletin20180719

URL de cet article : 

http://bolivarinfos.over-blog.com/ 2018/07/amerique-latine-l-amerique-latine-menacee-d-un-retour-en-arriere.html