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Equateur : Quand le discours anti-corruption devient une arme politique

29 Avril 2018, 17:10pm

Publié par Bolivar Infos

 

Par Martín Pastor

La corruption est sans doute l'un des maux dont souffre le pays mais ce n'est pas le pire problème de l'Equateur. Cependant, pendant toute cette période, le président Lenín Moreno s'est consacré presque exclusivement à la combattre. Les patrons, des foules enflammées, des médias et l'opposition qui considèrent la corruption comme la cause de tous les maux se font l'écho de sa lutte. Pendant ce temps, ils ignorent les dommages financiers beaucoup plus importants pour le pays.

 

Récapitulons brièvement

 

Le « détonateur » a été le scandale politique de l'affaire Odebrecht et Petroecuador concernant l'ex-vice-président Jorge Glas et des ex-fonctionnaires du Gouvernement de Correa. Moreno est arrivé à rendre responsable de tout le Gouvernement de son prédécesseur en accusant ses membres d'être des « mafieux. » Sa réponse a été d'installer un Front Anti-corruption et d'engager une croisade dans toute la fonction publique. Mais cette lutte est-elle justifiée ou est-elle démagogique ?

 

Selon le Procureur Général de l'Equateur, Diego García, on estime que plus de 50 millions de dollars étasuniens ont été remis en pots-de-vin dans l'affaire Odebrecht (l'entreprise brésilienne reconnaît 33,5 millions de dollars étasuniens). Cela a déchaîné des débats, des publications diverses et des marches qui ont été canalisés pour qu'ils entrent dans les standards du calendrier anti-corruption.

 

Cependant, ce chiffre est infime comparé aux 400 millions de dollars étasuniens que perd approximativement l'Equateur chaque année à cause de l'évasion fiscale. « De 2000 à mars 2016, presque 4 500 millions n'ont pas été perçus par l'Etat, » a affirmé le directeur du Collège des Économistes de Pichincha. Donc pendant que les millions d'Odebrecht font souffrir et indignent les Equatoriens, les milliers de millions de fraude fiscale sont ignorés.

 

Entre 2012 et 2016, les 200 groupes économiques les plus importants d'Equateur ont sorti à l'étranger environ 49 000 de dollars étasuniens et en ont introduit 35 000 millions. La différence de 14 000 millions équivaut à 14% du Produit Intérieur Brut (PBI) ou à environ 50% du budget général de l'Etat équatorien pour 2018. Cet argent, qui reste dans des paradis fiscaux, affecte la collecte des impôts et le développement du pays.

 

Cela veut dire qu'il y a des problèmes beaucoup plus importants qui touchent le porte-monnaie des Equatoriens. Et bien qu'il doive y avoir zéro tolérance envers la corruption à tous les niveaux se l'Etat quel qu'en soit le chiffre, ce n'est pas le problème le plus grave. C'est un problème causé par des défauts structurels causées par la structure actuelle et par la libéralisation (dérégulation) du marché financier international.

 

L'ironie est que, comme dit l'économiste Juan Valerdi, « ceux qui luttent contre la corruption sont des amis de ceux qui font ces opérations. » Dans une économie néolibérale, en déréglant le marché et en réduisant la taille de l'Etat, le contrôle fiscal et le contrôle pour « lutter » contre la corruption seraient impossibles. Pour comprendre cela, il est important de rappeler la crise mondiale de 2008 et la façon dont le lobbying (corruption légalisée) a cause la débâcle financière.

 

Anja Rohwer, de l'Institut de Recherche Economique de l'Université de Munich éclaire mieux ce sujet : la corruption est « une variable qui ne peut pas être mesurée directement » et cela, selon des économistes de Harvard et du Massachusetts Institute of Technology (MIT), constitue un problème empirique car comment peut-on quantifier le problèùe de quelque chose qui, par définition, est oculte et ne peut pas « se mesurer ? »

 

Cela ne signifie pas qu'on doit justifier ou ignorer la corruption mais chercher la source du problème.

 

Même en termes mondiaux, la corruption ne représente pas les pires dommages. Selon un rapport du Réseau de Justice Fiscale d'Amérique Latine et des Caraïbes, 63% des flux illégaux du monde sont générés par de grandes banques, des transnationales et des élites économiques, 37% par la criminalité sous toutes ses formes et seulement 3% correspond à la corruption gouvernementale. Ces flux financiers illégaux (FFI) sont des mouvements d'argent entre des pays qui a été gagné de façon illégale.

 

Pour l'économiste Dev Kar, les FFI sont les véritables raisons des dommages que subissent les pays en développement. Un rapport de Global Financial Integrity estime que l'Equateur, entre 2004 et 2013, a perdu environ 25 000 millions de dollars étasuniens en fausses factures. C'est à dire que 98% des FFI correspondent à des sous-facturations ou à des surfacturations en douane. En 2017, ils représentaient environ 87% pour la région.

 

L'impact des FFI est quelque chose que Moreno comprend. Lors de la première réunion Plénière du G77+ la Chine, il a affirmé que « l'évasion fiscale internationale est un problème qui touche beaucoup les pays en développement. Chaque dollar qui se perd par l'évasion fiscale représente moins de ressources pour financer le développement. » Alors, pourquoi n'a-t-on pas crée de « fronts » anti-évasion fiscale ou anti-sortie illégale de capitaux ?

 

Si à cette réalité, nous ajoutons le silence des médias et des politiciens de l'opposition sur le sujet, on peut en inférer que le discours anti-corruption, alors, n'est pas une véritable lutte pour arrêter la corruption mais une arme politique. A travers ça, on ignore le rôle du patronat et des structures légales et illégales qui permettent le flux illégal de capitaux en manipulant la population.

 

La situation est tellement absurde que les porte-parole « anti-corruption » sont des patrons et des hommes politiques comme Guillermo Lasso, ex-candidat à la présidence de l'Equateur ou les chambres patronales et les syndicats du secteur privé qui régulièrement, effectuent des fuites de capitaux et actuellement doivent au Service des revenus Internes presque 2 200 millions de dollars étasuniens.

 

C'est ainsi que le discours « anti-corruption » devient le « bouc émissaire » parfait pour détourner l'attention des défauts du système duquel ils profitent. La fuite de capitaux, l'impunité du patronat, l’iniquité structurelle et l'exploitation n'ont rien à voir. Les coupables sont l'Etat et la fonction publique.

 

Comme l'explique Dan Hough, Directeur du Centre d'Etude de la Corruption à l'Université de Sussex, cela génère un problème puisque la perception commune relie la corruption seulement au secteur public.

 

Dans la région, l'Organisation des Etats Américains (OEA) définit un acte de corruption comme un acte lié à la fonction publique. Une logique influencée par les logiques du néolibéralisme : on met toute la faute de la corruption sur le secteur public et on ignore activement le rôle que tient le secteur privé. Le résultat est de diaboliser l'Etat pour le réduire.

 

A leur tour, les entreprises privées et les patrons, en tant que porte-parole de « l'anti-corruption » véhiculent une image opposée à la transparence. Cela est destiné à ce que la conclusion « logique » soit de privatiser l'Etat et que celui-ci soit géré par les patrons. En réalisant ainsi fermement l'un des 10 postulats du Consensus de Washington et de sa révision postérieure, une recette du néolibéralisme pour le « tiers » monde.

 

Si la lutte est honnête, elle doit commencer par les structures qui permettent et favorisent la corruption. En d'autres termes, en « prenant le taureau par les cornes », on éviterait des images ambigües comme des fronts anti-corruption et plus de démagogie. Une lutte réelle impliquerait une forte réforme des douanes, des politiques de tolérance zéro de l'évasion fiscale et de la sortie illégale de capitaux et un contrôle constant des groupes économiques qui devraient le plus rapporter.

 

traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos

 

Source en espagnol :

http://www.resumenlatinoamericano.org/2018/04/26/ecuador-cuando-el-discurso-anticorrupcion-se-vuelve-un-arma-politica-opinion/

URL de cet article :

http://bolivarinfos.over-blog.com/ 2018/04/equateur-quand-le-discours-anti-corruption-devient-une-arme-politique.html