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Cuba: Lettre du Che à Fidel du 26 mars 1965, quoi de neuf ?

8 Octobre 2023, 17:38pm

Publié par Bolivar Infos

 

 

Ces jours-ci a été publiée presque intégralement une lettre écrite par le Che à Fidel à la fin de son étape en tant que dirigeant révolutionnaire à Cuba.

 

(…)

 

Ce qui est nouveau…

 

En ce qui concerne ce qui a été publié précédemment, j'identifie les éléments nouveaux suivants dans la lettre du 26 mars 1965 :

 

1. Son  analyse des problèmes du commerce extérieur et de la manière de les résoudre.

 

Bien que cela ait déjà été traité dans les rapports au Conseil des ministres, ou dans l'article Cuba, son économie, son commerce extérieur..., ici il s'étend dans l'explication, nous offrant un large aperçu des problématiques affrontées dans cette sphère.

 

Je souligne, pour sa validité, son idée de compléter les grands secteurs avec de petites exportations diversifiées, de chercher « jusqu'au dernier recoin pour essayer de tirer un petit peu plus de  chaque chose » et de faire « un pas qui aurait pu être suivi d'un autre et d'un autre » dans le domaine de l'obtention de nouvelles sources de devises.

 

2. Ses conclusions sur le problème de la participation ouvrière, et sa relation avec la motivation professionnelle.

 

Ce n'est pas un sujet nouveau dans son travail. Dès son plus jeune âge, il a développé des réflexions et des propositions pour stimuler la participation ouvrière et l'a conçu comme une sorte d'incitation. Le débat soulevé en termes de stimulations morales et matérielles a un peu obscurci cette difficulté mais il faut garder à l'esprit que pour le Che la participation est l'une des « prémisses de l'organisation » du développement de la conscience. Il est important de souligner, cependant, qu'une caractéristique de sa pensée est de ne pas voir de contradiction entre le de déposer la prise de décision sur les dirigeants et en même temps de faire participer les ouvriers à la direction, une approche qui transparaît également dans la lettre de 1965. La nouveauté de cette dernière est qu'elle y présente ses réflexions concluantes et qu’il reconnaît ne pas avoir trouvé le moyen de parvenir à une véritable participation ouvrière.

 

Je considère cependant que le Che a eu des intuitions très fertiles, dont on peut lire la plus importante dans les procès-verbaux de la réunion bimestrielle de février 1964. Là, il affirme que les ouvriers des industries ont montré peu d'intérêt pour les espaces de participation « parce qu'ils voient que rien n'est résolu là-bas » et parce qu'un « échec constant » du ministère a été de ne pas canaliser correctement les initiatives et les demandes émises par les bases.

 

Il estime que pour modifier cette situation, les dirigeants doivent commencer à rendre des comptes dans les assemblées et être obligés de gérer des solutions efficaces aux remarques reçues avec des comités auxiliaires qui contrôlent l'État de conformité. Il a ainsi esquissé un principe de participation contraignant.

 

3. Sa proposition pour l'organisation du Parti.

 

La plupart des critères contenus dans la lettre de 1965 sur le Parti sont déjà présents dans les écrits ou les interventions antérieurs du Che mais ici, il les relie à une série de tâches à accomplir pour organiser le Parti dans ce scénario d'une manière qui n'entrave pas le fonctionnement du Gouvernement, et qui aurait comme objectif central à la formation de l'homme nouveau.

 

4. Les limites du nouveau plan de développement.

 

Au moment où le Che écrit cette lettre, le Gouvernement révolutionnaire a adopté un plan de développement beaucoup plus adapté aux réalités du pays avec trois lignes fondamentales : le sucre, le nickel et le bétail. Dans l'article Cuba, son économie, son commerce extérieur, sa signification dans le monde d'aujourd'hui, ou dans l'interview accordée à la revue Économie mondiale et relations internationales, tous deux de 1964, il ne fait aucune réserve concernant ces lignes, il se contente de les décrire comme une voie prometteuse. Dans la lettre, cependant, il soulève les limites d'un développement basé sur les matières premières, remet en question les avantages réels d'exportation que le bétail offrirait, défend la possibilité d'établir des plans à long terme et réaffirme le rôle qui devait être réservé à l'industrie dans ces plans.

 

Ses analyses bénéficient du travail effectué par la Direction de la planification de la perspective de son propre ministère. Là, les méthodes que le Che a proposées à la JUCEPLAN ont été mises en pratique, c'est-à-dire incorporer en tant qu’exigences d'une bonne planification l'étude approfondie de la situation de l'économie nationale, des perspectives de l'économie mondiale, et des principales tendances du développement technologique international.

 

J'ai souligné ces quatre points mais il ne fait aucun doute que la lettre, dans son désir d’intégralité, présente des enrichissements de ses idées sur les erreurs en matière de politique économique, sur le système budgétaire de financement et sur le rôle du parti, même s'il affirme lui-même n’avoir dit « rien de nouveau ». On pourrait dire la même chose de sa relation avec Fidel qui a été marquée par une grande harmonie mais c'est l'occasion de jeter un coup d'œil sur les débats internes qu'ils avaient aussi naturellement.

 

Avant de terminer, je voudrais m'arrêter sur un point.

 

Aurelio Alonso, dans ses commentaires récents sur la lettre de 1965, a déclaré que « ni le système budgétaire ne supposait (ni Che n'avait envisagé) une économie entièrement étatisée mais que le socialisme signifiait toujours pour lui une société avec une diversité de formes de propriété où l'entreprise d'État socialiste prévalait et gouvernait ».

 

Ce n'est pas correct. Le Che pariait sur la socialisation complète de la propriété et cela est mis en évidence dans de multiples écrits et discours. L'affirmation qu'il fait dans la lettre est en totale cohérence avec sa pensée. Il faut tenir compte du fait que les affirmations citées, comme le suggère Humberto Pérez, à un moment où les expropriations de la seconde moitié de 1960 n’ont pas eu lieu et où la participation des privés dans les plans économiques du Gouvernement a plus d'importance. Mais dès que la Première Déclaration de La Havane, approuvée par le peuple de Cuba entre septembre et octobre 1960, a condamné l'exploitation de l'homme par l'homme, le Che va vanter ce principe partout, jusqu'à la déclaration officielle du caractère socialiste de la Révolution en avril 1961.

 

Le fait est qu'il utilise deux critères par rapport au régime de propriété, l'un idéologique et l'autre technico-économique. Le premier l'amène à condamner toute forme d'appropriation privée de la plus-value, toute forme d'aliénation de la richesse collective, et est basé sur un principe de justice. Le second l'amène à préférer un rythme moins rapide dans l'expropriation de la petite propriété capitaliste, ce qu'il reconnaît avoir été pratiquement impossible à cause de l'intensité de la lutte des classes. Il explique que l'incorporation de ces petites propriétés, la plupart d'un caractère très artisanal, rendait la gestion économique difficile car elle diminuait la productivité globale des entreprises d'État et rendait plus complexe leur administration. Même s'il s'agissait d'usines très peu productives, il fallait payer des salaires parce que leurs ouvriers ne pouvaient pas être laissés sans défense, ce qui augmentait la charge budgétaire.


Lorsque, au Séminaire de Planification en Algérie, en 1963, il synthétise ses souhaits pour l'avenir, le croisement des deux critères se vérifie : « la socialisation des moyens de production se ferait, fondamentalement, selon les possibilités des cadres et de l'organisation générale de l'appareil d'État, mais en avançant sans défaillance sur cette voie ».

 

Personnellement, je partage le projet du Che de surmonter toute forme d'appropriation privée de la plus-value, ce qui ne signifie pas, on peut dire à partir d'aujourd'hui, qu'il doit y avoir une seule forme de propriété collective dans l'ensemble de la propriété sociale.

 

Le débat actuel…

 

Dans ses commentaires, Aurelio nous exhorte à ne pas oublier que la lettre à Fidel est « une analyse à la hauteur de 1965, et que nous la  lisons plus d'un demi-siècle plus tard ». Je pense que cette alerte est très valable. Or, il est inévitable de ne pas identifier certains problèmes de notre économie abordés par le Che qui ont montré une récurrence perverse : négligence des exportations, crise dans l'approvisionnement en intrants à la production, non-retour des investissements, dépendance par rapport aux importations, désordres intersectoriels, politique déchargements de cap, entre autres.

 

En ce moment, on fait beaucoup d'efforts pour modifier ce modèle. Je pense que dans une telle direction, il est essentiel, comme le dit le Che, de transformer ces efforts en méthodes de travail à tous les niveaux et d'impliquer le peuple dans le contrôle de toute la politique économique.

 

Traduction Françoise Lopez pour Bolivar infos

 

Source en espagnol

http://www.cubadebate.cu/especiales/2023/10/08/carta-del-che-a-fidel-el-26-de-marzo-de-1965-que-hay-de-nuevo/

URL de cet article:

http://bolivarinfos.over-blog.com/2023/10/cuba-lettre-du-che-a-fidel-du-26-mars-1965-quoi-de-neuf.html