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Guatemala: L'avancée du capitalisme démocratique

1 Décembre 2023, 18:39pm

Publié par Bolivar Infos

 

 

Par Marcelo Colussi

 

Le Guatemala a été le premier pays d'Amérique latine à avoir une organisation d'État de défense des droits de l'homme, un médiateur. Cela ne signifiait pas que la situation de ces derniers s'améliorait considérablement au cours de ces années : c'était, fondamentalement, quelque chose de superficiel. Il y a maintenant un procureur des droits de l'homme mais la violation systématique des droits se poursuit : "Les droits établis, tant dans les lois nationales que dans les conventions internationales de l'OIT, sont systématiquement violés dans les grands domaines, même avec la complicité de l'État." (CODECA, 2013).

 

Avec cela, le pays a été le premier au monde à condamner un ancien chef d'État pour crime de génocide. Apparemment, une grande avancée, un grand changement. La vérité est qu'après la condamnation du général Ríos Montt, son annulation par la Cour constitutionnelle est venue presque instantanément, et le militaire est mort en liberté. La guerre interne, dans le discours officiel, est aujourd'hui vue comme quelque chose de lointain, de passé. On a tourné la page et rien n'a changé dans la structure.

 

Selon María del Carmen Culajay : « Si nous parlions de jeunes emmenés dans des coupes de café ou de canne à sucre dans des camions à partir de communautés perdues dans des régions éloignées, qui vivent ensuite dans des conditions épouvantables pendant la saison des récoltes, mal payés mais bien contrôlés, dans des conditions de semi-esclavage, on pourrait penser que nous parlons de la fin du XIXe siècle. [Au XXIe siècle] En pleine ère des technologies de l'information et de l'informatique, de la robotisation du travail, de l'avancement des conquêtes professionnelles et sociales (journée de travail de huit heures par jour, régime de retraite, assurance maladie), dans notre Macondo guatémaltèque, nous vivons des situations d'exploitation et d'inégalité impensables, pires que celles qu'un film pourrait nous montrer. » En d'autres termes : aucun changement.

 

Comme le dit la Commission pour la clarification historique, aujourd'hui complètement oubliée, qui a analysé en détail les circonstances du conflit armé passé : « Même si dans l'affrontement armé, l'armée et l'insurrection apparaissent comme des acteurs visibles, l'enquête menée par la CEH a mis en évidence la responsabilité et la participation de groupes de pouvoir économique, de partis politiques et de différents secteurs de la société civile » (CEH, 1998). En d'autres termes : cette oligarchie historique formée par les premiers Espagnols venus sur ces terres purement et simplement pour s'enrichir (au détriment des peuples originaires, bien sûr), est définie avec précision par Vinicio Sic lorsqu'il parle d’"entrepreneurs" : « Un euphémisme employé pour désigner cette classe dirigeante de l'économie qui s’est développée au milieu des privilèges et des protections qu'offrait une dictature, un Gouvernement militaire ou un président marionnette, qui existait ou existe au Guatemala. De grands agresseurs, incapables de toute innovation ou de toute modernité, avides de bénéfice immédiat, destructeurs infatigables de l'environnement. (...) Ils rejettent toute réforme de l'État qui porte atteinte à leur statu quo. (...) Ils ne reconnaissent jamais l'existence du peuple maya ; plus encore, ils l'ont soumis à des travaux forcés dans leurs domaines et ont encouragé son extermination en l'anéantissant et en lui volant ses terres et maintenant son patrimoine naturel. » Plus de cinq siècles d'histoire, et le changement continue de résister.

Aujourd'hui, le Guatemala est une économie prospère. En fait, il fait partie des dix premiers pays en volume en Amérique latine avec une croissance annuelle soutenue de l'ordre de 3 %. Les groupes de pouvoir traditionnels – héritiers de cette histoire de dépouillement qui commence au XVIe siècle, toujours liés à l'agro-exportation, aujourd'hui également diversifiés avec de nouvelles affaires – continuent de maintenir leurs privilèges inaltérables. Cela, depuis des siècles, n'a pas changé. Une guerre fratricide comme celle qui a eu lieu n'a pas modifié d'un millimètre la structure profonde du pays. L'un des principaux exportateurs de sucre, première puissance régionale en matière d'exportation d'éthanol, grand producteur mondial de palme africaine (destinée à l’éthanol), est en plus un paradis pour l'investissement minier-extractif de capitaux transnationaux et pour le blanchiment de la narco-économie. Au Guatemala, il y a beaucoup de richesse, sans aucun doute, mais la grande majorité de la population, hier comme aujourd'hui, est toujours en retard.

 

Sous le Gouvernement de Barack Obama aux Etats-Unis, la Commission internationale contre l'impunité au Guatemala - CICIG - a été fortement soutenue, mais une fois qu'elle est partie, la corruption et l'impunité sont restées les mêmes, ou se sont aggravées. Ce mal qui traîne depuis  la colonie ne donne pas l’impression de devoir finir.

 

En termes descriptifs, le pays est en train de changer définitivement ; et ces dernières années, beaucoup plus encore. La profusion de centres commerciaux de luxe peut faire penser à des changements substantiels, à des transformations importantes et profondes de la dynamique sociale. Au-delà des apparences, ce n'est pas le cas. « Le jour où chaque Indien aura un téléphone portable, nous serons entrés dans le développement », a pu dire le néolibéral, fondateur de l'Université Francisco Marroquín, Manuel Ayau.

 

Aujourd'hui, il y a plus de 23 millions d’équipements qui fonctionnent, soit une moyenne de près d'1,5 par personne, et nous n'entrons pas nécessairement dans le « développement ».  Il y a des changements superficiels mais à la base rien ne change : 14 universités privées et 1 publique, mais seulement 3% de la population qui accède à l'enseignement supérieur. Où est le changement ?

 

La démocratie ? Cela fait presque 40 ans que l'on accomplit le rite d'aller voter tous les quatre ans pour changer d'autorités. On pourrait dire qu'on est sorti de la « transition » et que nous sommes dans la « démocratie complète », par conséquent: grand changement. Est-ce le cas? La situation actuelle, avec une mafia qui ne veut pas quitter le Gouvernement, le prouve.

 

Traduction Françoise Lopez pour Bolivar infos

 

Source en espagnol :

https://www.resumenlatinoamericano.org/2023/11/30/guatemala-el-avance-del-capitalismo-democratico/

URL de cet article :

http://bolivarinfos.over-blog.com/2023/12/guatemala-l-avancee-du-capitalisme-democratique.html