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Venezuela : Le Venezuela et le « capitalisme du désastre » 

16 Février 2019, 18:15pm

Publié par Bolivar Infos

 

Par Reinaldo Iturriza

Lundi 28 janvier, le Département du Trésor des Etats-Unis a annoncé que tous les bien et les intérêts de PDVSA sous juridiction étasunienne avaient été « bloqués » et qu'il était interdit aux Etasuniens de faire n'importe quelle sorte de transaction avec l'entreprise vénézuélienne. Le secrétaire Steve Mnuchin a ajouté que « si les Vénézuéliens voulaient continuer à vendre du pétrole, » ils ne l'accepteraient que si l'argent allait à « des comptes bloqués » qui, éventuellement, ils mettraient à la disposition du « Gouvernement de transition. »

 

Selon John Bolton, conseiller à la Sécurité Nationale du Gouvernement Trump présent à la même conférence de presse, ces sanctions contre PDVSA provoqueraient des pertes estimées à 11 000 000 000 de dollars en exportations au Venezuela en 2019 et le gel de 7 000 000 000 de dollars de biens.

 

Jeudi 24 janvier, Bolton avait affirmé à la chaîne FOX Business, qu'il « y aurait une grande différence pour les Etats-Unis, économiquement, si nous pouvions avoir des compagnies étasuniennes qui investissent et qui produisent du pétrole au Venezuela. » a peine 2 minutes avant d'avoir explicité les véritables intentions de l'impérialisme étasunien, il soutenait que Chávez et Maduro avaient « appauvri le Venezuela : nous avons maintenant entre 3 000 000 et 4 000 000 de réfugiés qui ont fui le pays, un fait sans précédent dans l’hémisphère occidental. Maduro et Chávez avant lui ont pillé systématiquement les ressources pétrolières du pays, il n'y pas d'investissement de capital, les revenus ont diminué, littéralement, la société civile s'effondre, » raison pour laquelle le Gouvernement Trump a décidé de reconnaître Juan Guaidó comme “Président par interim. »

 

Quelques heures après que les sanctions contre PDVSA aient été rendues publiques, le mardi 29 janvier, l'Assemblée Nationale a approuvé un « Accord pour la promotion du plan de sauvetage du pays » dans lequel on peut lire qu'au Venezuela s'est produit un « effondrement économique et social qui a occasionné une « urgence humanitaire, » une situation qui est la conséquence des politiques du « régime de Nicolás Maduro » qui a imposé « un modèle économique et politique totalitaire, de domination et de contrôle social » connu sous le nom de « socialisme du XXI° siècle. »

 

A partir de là un petit résumé, un exemple la façon dont les agents étrangers agissent de ce que Naomi Klein définit comme le « capitalisme du désastre » dans son livre « La doctrine du choc » très utile pour comprendre ce qui se passe au Venezuela au moment où des mêmes forces continuent à porter atteinte sévèrement, peut-être de façon irréversible, à notre capacité d'interpréter notre présent.

 

Naomi Klein appelle « capitalisme du désastre » les « attaques organisées contre les institutions et les biens publics, toujours après des événements de caractère catastrophique en les déclarant en même temps attractifs pour les opportunités du marché. » C'est ce qui s'est passé, d'abord, au Chili sous la dictature de Pinochet mais aussi à la Nouvelle Orleans, États-Unis, après le passage de l'ouragan Katrina, en 2005; au Sri Lanka après le tsunami de 2004, en Irak après l'invasion dirigée par le Gouvernement étasunien, en 2003 et aux États-Unis même après le 11 septembre en Chine après Tiananmen, en 1989, dans la Russie gouvernée par Yeltsin, en 1993 etc, etc...

 

Dans tous les cas, dit Klein, les attaques ont été dirigées par de fervents défenseurs des politiques d'ajustement néolibéral qui ont été ensuite appliquées implacablement.

 

C'est exactement ce qui se passe au Venezuela avec la circonstance aggravante que la situation de choc est induite, dans une bonne mesure, par les élites locales et l'impérialisme étasunien avec l'apport décisif de leurs bases sociales d'appui respectives, provenant essentiellement des classes moyennes et haute, de façon très similaire à ce qui s'est passé au Chili sous le Gouvernement de Salvador Allende, en 1970-1973.dans les 2 cas, il s'agit de Gouvernements démocratiques, d'orientation socialiste, élus par le vote populaire, systématiquement assiégés et leurs économies respectives asphyxiées pour créer les conditions d'une issue par la force qui leur permette ensuite de « neutraliser » les classes populaires favorables au changement révolutionnaire.

 

C'est pourquoi, entre autres choses, les récentes déclarations d'Alfonso Guerra, ex-vice-président du Gouvernement espagnol qui a comparé le Gouvernement de Nicolás Maduro à la dictature de Pinochet. Selon Guerra, « le Venezuela subit une dictature, en plus incompétente parce que souvent, les dictatures liquident la liberté des peuples mais au moins sont efficaces sur le terrain de l'économie. » Plus loin, il dit : « Entre la dictature de Pinochet, horrible, et la dictature de Maduro, horrible, il y a une différence : à un endroit, l'économie ne s'est pas effondrée, dans l'autre, oui, elle s'est effondrée. »

 

Le « désastre » actuel de l'économie vénézuélienne n'est pas l'oeuvre, comme le dit le document de l'Assemblée Nationale, du « socialisme du XXI° siècle » ni même de « l'incompétence » du gouvernement mais essentiellement de l'action des puissances factuelles capitalistes mondiales et locales auxquelles s'ajoutent les difficultés politiques de la Révolution Bolivarienne pour résoudre le conflit en faveur de la majorité du peuple. Le Venezuela subit aujourd'hui un véritable « capitalisme du désastre, » presque un cas d'école.

 

Dans le récit dominant, la situation au Venezuela a été traduite comme une « urgence » mais surtout comme une « crise humanitaire. » Déterminer les conditions historiques qui ont rendu possible l’utilisation de ce concept et ses effets correspondants est encore une tâche en suspens.

 

Prendre comme référence les informations publiées dans « La Voix de l'Amérique, » un organe de propagande du Gouvernement étasunien, permet de suivre l'utilisation de ce concept en 2014. Curieusement, il apparaît associé au droit à la liberté d'expression. En effet, le 31 mars, lors de la seconde vague de violence anti-chaviste contre le Gouvernement de Nicolás Maduro, Rodrigo Diamanti, un économiste diplômé de l'Université Catholique Andrés Bello président de l'ONG « Un monde sans bâillon » déclarait  que « la crise politique au Venezuela combinée avec la crise économique et sociale provoque une crise humanitaire. » Contre toute évidence, Diamanti affirmait que le Gouvernement violait le droit à la manifestation pacifique et se livrait à une persécution sur les réseaux sociaux.

 

Dans toute l'année 2014, cette terme n'a été employé que dans une note concernant la situation hospitalière. Le porte-parle était alors José Manuel Olivares, « médecin résidant de l'hôpital universitaire de Caracas spécialiste en radiothérapie oncologique et en médecine nucléaire » qui soutenait que « le pays traverse actuellement une crise humanitaire. » « La Voix de l'Amérique » oubliait de faire savoir qu'Olivares était déjà alors militant du parti de droite Primero Justicia. En effet, il est actuellement député à l'Assemblée Nationale, élu aux élections législatives de 2015 pour l'état de Vargas comme le député Juan Guaidó.

 

C'est en 2015 que le terme s'installe définitivement dans l'ordre du jour. Le 24 février, est publié un rapport du think tank “International Crisis Group” dans lequel il est dit que le Venezuela « pourrait affronter une crise humanitaire si les mesures destinées à résoudre la crise du pays ne sont pas prises. » 2 semaines plus tard, le lundi 9 mars, le Gouvernement Obama qualifie le Venezuela de « menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique étrangère » des Etats-Unis et impose des sanctions à 7 fonctionnaires soi-disant coupables de violations des Droits de l'Homme. Dans une note datée du 11 mars, une fois de plus José Manuel Olivares, parlant à présent au nom de l'ONG « Médecins pour la Santé » soutient que le pays affronte « une crise humanitaire de la santé. » Le lendemain, sont rapportées des déclarations du sénateur républicain Marco Rubio: « Alors que les sanctions économiques individuelles envers ceux qui ont violé les Droits de l'Homme sont centrées sur la catastrophe que Nicolás Maduro et son régime ont infligée aux Vénézuéliens, on doit faire plus et faire plus attention à cette crise humanitaire et économique qui menace la sécurité de la région. » Le même jour, le secrétaire d'Etat John Kerry assure « que si le Venezuela arrête l'aide pétrolière qu'il offre aux pays de la région, une crise humanitaire pourrait se déclencher. » A partir de là, les porte-parole anti-chavistes emploieront de plus en plus ce terme.

 

En 2016, l'Assemblée Nationale, déjà contrôlée par l'opposition, deviendra la caisse de résonance de ce discours : le 26 janvier, elle déclarera la « crise humanitaire dans le domaine de la santé au Venezuela au vu de la pénurie de médicaments, de matériel médical et de la détérioration des infrastructures sanitaires » et le 14 février, elle déclarera « la crise humanitaire et l’inexistence de la sécurité alimentaire de la population vénézuélienne. » Le 23 janvier, l'équipe de Mission Vérité a publié un rapport dans lequel elle apporte certaines données qui permettent de démontrer le mensonge du « discours commun sur « l'absence de dollars » comme cause essentielle de la restriction de l'offre de médicaments produits » par quelques transnationales établies dans le pays. Le 15 février, le journaliste Víctor Hugo Majano prévient : « Les déclarations d'urgence, aussi ben alimentaire que pharmaceutique, venant de l'Assemblée Nationale, ont pour but principal d'obliger le Gouvernement à maintenir le flux de devises destinées à financer les importations de la couche commerciale de la grande bourgeoisie et des corporations transnationales qui se consacrent à la commercialisation des bien de consommation massive. »

 

En considérant les conditions dans lesquelles surgit ce discours, les porte-parole qui l'emploient, les raisons qui l'inspirent, il semble clair que quand on commence à parler de « crise humanitaire » au Venezuela, on le fait comme pour une prophétie auto-accomplie. Ceux qui parlent de langage « humanitaire, » plus qu'avertir de ce qui pourrait advenir, anticipent une réalité dans la matérialisation de laquelle ils sont engagés. D'autre part, plus que décrire une situation, on envisage le problème de telle sorte que le Gouvernement est le seul « coupable » et on propose en même temps la solution : « l’intervention humanitaire. » C'est ce qu'il est important de comprendre : il n'y a pas de « crise » sans « intervention. »

 

Un autre effet politique est la dégradation progressive du langage politique : « l'humanitarisation » du discours est l'expression la plus récente de la déshumanisation du chavisme qui est consubstantiel à l'anti-chavisme. Les « hordes » des premières années de la Révolution Bolivarienne sont l’équivalent du chavisme complice et criminel d'un « génocide » qui, comme Nicolás Maduro, en plus, est « usurpateur » comme Hugo Chávez était « illégitime. » La virulence actuelle des attaques contre le chavisme n'obéit pas, comme on pourrait le penser, à la « crise humanitaire : » c'est exactement la même virulence qu’il y a 20 ans, attisée par la brutalité avec laquelle s'exprime aujourd'hui le « capitalisme du désastre » au Venezuela.

 

Cette « humanitarisation » du discours politique est la trame à partir de laquelle on cherche à légitimer l'attaque sournoise du Gouvernement Trump contre PDVSA: elle se « justifie » parce que, plus ou moins, comme le disait John Bolton à Fox Business le 24 janvier dernier, nous parlons d'un Gouvernement « génocide » et « corrompu. » Où est le piège ? En ce que ce discours manipulé fonctionne comme un barrage : celui qui le met en doute, c'est parce qu'il « ne reconnaît pas » ou « justifie » la crise ou la corruption. Ainsi, les principaux responsables de la « catastrophe » sont exemptés de toute responsabilité.

 

La crise humanitaire est une occasion pour faire des affaires comme l'a reconnu Bolton lors de l'interview qu'il a accordée à Fox Business et comme le montrent également les plans mis en place avec enthousiasme par l'Assemblée Nationale.

 

Le 19 décembre 2018, a été présenté, à l'initiative de l'Assemblée Nationale, le “Plan Pays, le lendemain” qui fixait la feuille de route à suivre pendant la « transition vers la démocratie. » Selon « Banque et Affaires, » le plan comprend :

 

« Réactiver l'appareil de production […] en accédant au financement de la banque multilatérale, » lire le « Fonds Monétaire International. »

 

« Démanteler le système de contrôle, de régulation, l'obstacle bureaucratique et les normes punitives. »

 

« Investissements étrangers dans un cadre de régulation qui génère la confiance et la protection efficace de la propriété privée.

 

« Ouverture des entreprises publiques à l'investissement privé. »

 

« Approbation d'une nouvelle loi sur les hydrocarbures qui […] permette au capital privé d'être actionnaire majoritaire dans les projets pétroliers. »

 

« Le secteur privé sera le responsable […] de l'opération des actifs des services publics. »

 

« Efficacité de l'Etat pour réduire sa taille. »

 

En matière sociale : « Il s'agit d'approvisionner et de donner accès en permanence aux biens et aux services de première nécessité, d'accorder une attention spéciale aux secteurs de la santé, de l'éducation et de l'alimentation des plus vulnérables et de stimuler des emplois de qualité et la protection du revenu familial. »

 

La 9 janvier 2019 a été distribué à l'Assemblée Nationale l'Avant-projet de « Loi sur le Statut qui régit la transition vers la démocratie et le rétablissement de la validité de la Constitution de al République Bolivarienne du Venezuela. » Dans son article 21, on peut lire : « L'Assemblée Nationale dictera les lois nécessaires à s'occuper de l'urgence humanitaire complexe et à encourager le sauvetage de l'économie vénézuélienne, conformément à l'Accord du Plan Pays approuvé le 18 décembre 2018. »

 

Immédiatement, on énumère les objectifs à atteindre : « rapide récupération économique grâce à l'assistance financière internationale extraordinaire des organismes multilatéraux » (paragraphe 1) : « On abolira les contrôles centralisés et les mesures arbitraires d'expropriation et autres mesures similaires, y compris le contrôle du change. A cette fin, on remplacera le modèle centralisé de contrôle de l'économie par un modèle de liberté et de marché basé sur le droit de tout Vénézuélien à travailler avec les garanties des droits de propriété et de liberté d'entreprise » (paragraphe 2) : « Les entreprises publiques seront soumises à un processus de restructuration qui assure leur gestion efficace et transparente, y compris grâce à des accords public-privé » (paragraphe 4).

 

Comme on peut le voir, aussi bien le « Plan Pays » que l'avant-projet de la « Loi de Transition » sont pleins de mesures néolibérales : dérégulation, privatisations massives (y compris de PDVSA), restructuration de l'Etat, etc... Et ce qu'on envisage comme mesures sociales qui, étant donné que nous traversons une « crise humanitaire, » devrait être au centre de toute proposition de « transition vers la démocratie, » n'est rien d'autre qu'une très modeste version des politiques mises en place pendant la Révolution Bolivarienne.

 

Telle est la trompeuse proposition des « capitalistes du désastre » au Venezuela: ils nous promettent de revenir au pays de Chávez qui aurait été détruit par le « socialisme du XXI° siècle » mais en appliquant les mêmes politiques néolibérales que pendant les années 80 et 90 contre lesquelles le peuple vénézuélien s'est déjà révolté.

 

traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos

 

Source en espagnol :

http://www.resumenlatinoamericano.org/2019/02/01/venezuela-y-el-capitalismo-del-desastre-por-reinaldo-iturriza/

URL de cet article :

http://bolivarinfos.over-blog.com/2019/02/venezuela-le-venezuela-et-le-capitalisme-du-desastre.html