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Amérique latine: Assiettes vides sur un continent riche

19 Novembre 2023, 18:35pm

Publié par Bolivar Infos

 

 

Par Sergio Ferrari

 

Les choses ne vont pas bien dans le monde, et l'Amérique latine et les Caraïbes ne font pas exception : la faim frappe encore plus fort qu'avant la pandémie. Les inégalités persistantes dans la région ont un impact significatif sur l'insécurité alimentaire des plus vulnérables.

 

Plus de 42 000 000  d'habitants d'Amérique latine et des Caraïbes souffrent de la faim. C’est 6,5 % de sa population totale de 662 000 000. Là, l'optimisme ne déborde pas puisque la faim aujourd'hui est plus importante que pendant l'étape pré-Covid 19. Avec le fait aggravant que 248 000 000 souffrent d'insécurité alimentaire et qu’1 personne sur 5 ne parvient pas à avoir une alimentation vraiment équilibrée et saine. Aujourd'hui, dans le monde, près d’1 personne sur 10 souffre de la faim.

 

Cette constatation est inquiétante : si entre 2021 et 2022, certains progrès ont été réalisés sur le continent en termes de réduction de la faim et de l'insécurité alimentaire, ces progrès sont loin des objectifs de l'objectif numéro 2 de développement soutenable pour 2030 : l'éliminer définitivement.

 

C'est la conclusion du rapport Amérique latine et Caraïbes – Panorama régional de la sécurité alimentaire et de la nutrition-2023 élaboré par plusieurs agences des Nations Unies : FAO (alimentation et agriculture), UNICEF (enfance), FIDA (développement agricole), OPS/OMS (santé) et le Programme alimentaire mondial, et publié la première semaine de novembre.

 

La FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) a joué un rôle central dans l'élaboration de ce rapport et son « indicateur de prévalence de la sous-alimentation » (c'est-à-dire un thermomètre de la faim) est dérivé de données nationales sur l'approvisionnement alimentaire et sa consommation, ainsi que sur les besoins énergétiques de la population en tenant compte de l'âge, du sexe et des niveaux d'activité physique. Cet indicateur a été conçu pour identifier un état chronique de privation d'énergie, c'est-à-dire sans tenir compte des effets éphémères des crises temporaires.

 

Entre 2021 et 2022 en Amérique du Sud, le nombre de personnes souffrant de. la faim a diminué de 3 500 000. Néanmoins, le nombre de personnes sous-alimentées a augmenté de 6 000 000 par rapport au chiffre pré-pandémie. En 2022, en Amérique centrale, plus de 9 000 000 ont souffert de la faim alors que dans les Caraïbes, 7 200 000 ont souffert de la faim extrême. C'était 700 000 de plus qu'en 2021 et Haïti a enregistré l'incidence la plus élevée. Près d’un Haïtien sur 2  souffre aujourd'hui de ce fléau.

 

Insécurité alimentaire

 

Le rapport de l'ONU indique que l'insécurité alimentaire - aussi bien modérée que grave - dans la région est bien supérieure à l'estimation moyenne mondiale, qui représente 29,6 % de sa population totale. En effet, en 2022, 37,5 % des habitants d'Amérique latine et des Caraïbes ont été touchés par cette condition. En chiffres absolus, 248 000 000 de personnes ont été obligées de réduire la qualité ou la quantité de leur nourriture (insécurité alimentaire modérée) et, dans le cas le plus extrême, ont passé plusieurs jours sans manger, ce qui a mis leur santé et leur bien-être en grave danger (insécurité alimentaire grave). En 2022 en Amérique du Sud, 31,4 % de sa population souffrait de cette condition, en Amérique Centrale, 34,5 %, et dans les Caraïbes, 60,6 %.

 

D'autre part, l'insécurité alimentaire dans l'une ou l'autre de ses expressions continue d'affecter plus les femmes que les hommes et d'avoir un impact de 8 % plus important dans les zones rurales que dans les zones urbaines.

 

Le régime sain le plus cher au monde

 

L'Amérique latine et les Caraïbes constituent la région du monde où manger sainement coûte plus cher que dans n'importe quel autre endroit sur la planète.

 

Entre 2020 et 2021, le coût d'une alimentation saine dans cette région a augmenté de 5,3 % en raison de l'inflation alimentaire due aux confinements de la pandémie, aux perturbations de la chaîne d'approvisionnement mondiale et à la pénurie de ressources humaines. Plus de 133 000 000 de personnes n'ont pas pu avoir une alimentation saine : une augmentation de plus de 11 000 000  par rapport à 2020.

 

L'indicateur d'une alimentation saine est basé essentiellement en le prix d'achat des aliments les moins chers et disponibles localement nécessaires pour couvrir 2 330 calories par jour.

 

Aujourd'hui, dans cette région, ce même régime coûte en moyenne 4,08 $ par jour et par personne. Techniquement identifié comme Parité du Pouvoir d'Achat (PPA), le coût de l'alimentation en Amérique latine et dans les Caraïbes est bien supérieur au PPA mondial de 3,66 $. Il est suivi par l'Asie (3,90 $ PPA) ; l'Afrique 3,57 $ PPA) ; l'Amérique du Nord et l'Europe (3.22 $ PPA) et enfin l'Océanie (3.20 $ PPA).

 

Perspectives incertaines

 

Le rapport note que la région est confrontée à un scénario complexe en raison d'une série de crises successives : la pandémie de Covid-19, les inégalités persistantes, les niveaux de pauvreté, la crise climatique et les effets du conflit Russie-Ukraine. Des facteurs qui ont contribué à l'augmentation des prix des denrées alimentaires et de l'inflation alimentaire et, par conséquent, ont menacé le fonctionnement, l'efficacité et la résilience des systèmes agroalimentaires. Dans ce contexte, conclut le rapport, la faim et la malnutrition restent parmi les principaux défis pour la région, et ni l'Amérique latine ni les Caraïbes ne sont en passe d'atteindre les objectifs que l'Assemblée mondiale de la santé a proposés en matière de faim, d'insécurité alimentaire et de malnutrition.

 

« L'Amérique latine et les Caraïbes, précise le rapport, s'affrontent un problème complexe de malnutrition qui englobe à la fois la malnutrition (retard de croissance, amaigrissement des enfants et carences en vitamines et minéraux) ainsi que le surpoids et l’obésité ». Preuve en est l'augmentation du surpoids que la région a connue entre 2000 et 2022 chez les garçons et les filles de moins de 5 ans, ainsi que l'obésité chez les adultes de 2000 à 2016. Les deux tendances dépassent les taux moyens mondiaux et, dans plusieurs pays, on constate encore un niveau très élevé de retard de croissance chez les garçons et les filles de moins de 5 ans.

 

Selon les Nations Unies, la capacité de la région en tant que productrice alimentaire est et restera un pilier essentiel pour contribuer à la sécurité alimentaire mondiale. Pour cette raison, il est nécessaire d'améliorer l'accès aux aliments nutritifs et de combler le fossé entre les pays, en mettant l'accent sur les groupes les plus vulnérables. Et il conclut que, dans la situation actuelle, il est impératif d'avancer vers la transformation des systèmes agroalimentaires en coordination avec le renforcement des systèmes de santé et de protection sociale et avec des actions intégrales et des approches systémiques et multisectorielles. Plus précisément, « il est crucial de donner la priorité au développement de chaînes de valeur soutenables qui favorisent la nutrition, dynamisent les marchés et le commerce agroalimentaire, réglementent la promotion et la publicité des aliments et encouragent le développement d'environnements alimentaires sains ».

 

De nombreuses institutions et organismes régionaux ont uni leurs efforts pour atteindre la sécurité alimentaire et une meilleure nutrition. Le rapport souligne le travail conjoint de plusieurs agences spécialisées qui suivent ce qui est proposé par le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires ; le processus de mise à jour du Plan pour la sécurité alimentaire et la nutrition et l'éradication de la faim 2024-2030 de la Communauté des États d'Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), et le travail du Front parlementaire contre la faim en Amérique latine et dans les Caraïbes, entre autres.

 

Malgré les chiffres inquiétants, les suggestions du Rapport de ces agences des Nations Unies flottent dans la superficialité, restent dans les généralités et ne risquent pas d'incorporer la réflexion et les propositions alternatives des principaux mouvements paysans du continent. À l'occasion de la Journée internationale d'octobre dernier, La Via Campesina – la plus grande organisation rurale du monde avec une présence fruitière en Amérique latine et dans les Caraïbes – a exposé son propre diagnostic de la situation alimentaire mondiale.

 

« Nous vivons un scénario de monopolisation généralisée de tous les maillons des systèmes alimentaires », affirme cette organisation. Et elle explique : «  Ils monopolisent notre production agricole, les graines, les terres, les territoires ; ils portent atteinte à nos droits paysans, aux revenus et à une vie digne, à la protestation et à l'autonomie de nos peuples ». Selon La Via Campesina, cette crise alimentaire sans précédent est étroitement liée à la crise climatique, aux guerres, à la corruption, au contrôle des médias, au racisme institutionnel et au néofascisme, tandis que les paysans continuent d'être criminalisés et que leurs moyens d'existence et de subsistance continuent d'être confisqués. Enfin, La via Campesina confirme et revendique ses engagements historiques essentiels comme seule alternative alimentaire à la faim dans le monde : la lutte contre le modèle de l'agrobusiness (grande production monopolistique de l'agriculture) et la promotion d'une véritable souveraineté alimentaire.

Traduction Françoise Lopez pour Bolivar infos

 

Source en espagnol :

https://www.resumenlatinoamericano.org/2023/11/19/nuestramerica-platos-vacios-en-un-continente-rico-america-latina-y-el-caribe-sufren-mas-hambre-que-antes-del-covid-19/

URL de cet article :

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